Sous la présidence de la Haute Représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Catherine Ashton, le Conseil Affaires étrangères s’est réuni le 20 octobre 2014 à Luxembourg.
Le Conseil a consacré la majeure partie de ses travaux à étudier les derniers développements de l’épidémie du virus Ebola et les moyens dont disposent l’UE et ses Etats membres pour soutenir la lutte internationale contre cette épidémie.
Alors que le virus pourrait faire 10 000 nouveaux cas d'infection par semaine d'ici à la fin de l'année 2014 dans les trois pays les plus touchés (Libéria, Sierra Leone, Guinée) et au-delà, le Conseil Affaires étrangères dit dans ses conclusions que l’UE entend "jouer un rôle actif dans le renforcement de la réponse internationale". Le Conseil est d’accord avec la résolution adoptée le 18 septembre 2014 par le Conseil de sécurité de l’ONU, pour dire que l’épidémie constitue "une menace pour la paix et la sécurité au niveau mondial". L’ONU estime qu’il faudrait disposer de 10 000 lits, et du nombreux personnel qui va avec, pour soigner les malades d'Ebola en Afrique.
Les conclusions du Conseil Affaires étrangères soulignent que l’UE s’engage à fournir un "effort accru" pour "endiguer" Ebola, en mettant "au moins un demi-milliard d'euros" à disposition du Liberia, de la Sierra Leone et de la Guinée. Jusqu’ici, l'aide devait atteindre 480 millions d'euros, dont 180 millions apportés par la Commission européenne.
Dans un courrier au président du Conseil européen, Herman Van Rompuy et à ses homologues, le Premier ministre britannique, David Cameron, a déclaré l’urgence d’agir, sans quoi "les pertes en vies humaines et les dégâts causés au tissu politique, économique et social de la région seront considérables et le risque pour nos citoyens augmentera aussi". Le Britannique estime qu’il faudrait porter l’aide à 1 milliard d'euros, et envoyer, d'ici à la mi-novembre, au moins 2 000 travailleurs, dont 1 000 membres du personnel médical sur place.
"Il faut agir très très vite", a dit le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn. "Les spécialistes disent que, si rien ne se passe, l’épidémie pourrait avoir infecté 1,5 million de personnes au début de l’année prochaine." Les ministres "devront tenir compte de la rapidité à laquelle nous pouvons transformer les promesses internationales d’aide en des lits dans les hôpitaux sur le terrain", avait d'ailleurs déclaré la présidente de la commission du développement au Parlement européen, Linda McAvan, quelques heures avant le débat du Parlement européen consacré à l'épidémie d'Ebola.
Le Conseil est en tout cas convaincu qu’"un effort uni, concerté et accru" des Etats membres est nécessaire. A cet effet, les Etats membres ont adopté l’idée de nommer un coordinateur de l’action de l’UE et des Etats membres. "Une bonne coordination entre tous est essentiel, nous préparons donc le mandat pour un coordinateur européen qui peut assurer l’engagement le plus efficace, entre l’UE, les Etats membres et l’ONU”, a déclaré la haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton. "Le principe a été adopté, le nom du coordinateur sera connu d’ici la fin de la semaine", a fait savoir Jean Asselborn, lors d’un point presse.
Le Conseil a salué le travail de certains Etats membres, dont le Royaume-Uni, très active en Sierra Leone (700 lits déjà installés), la France qui intervient en Guinée (où dix centres de traitement seront mis en place), mais aussi de l'Allemagne pour ce qui est des ressources de protection civile mises à disposition (moyens militaires à des fins logistiques et matériel médical).
Le Conseil a également créé le cadre pour une mission civile européenne, dont la création avait été suggérée la veille par le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier. Elle permettrait d'acheminer de l'aide, de former des bénévoles et de constituer des équipes d'experts médicaux.
En amont du Conseil, Jean Asselborn avait confié au Tageblatt qu’il la jugeait comme "une base saine, pour travailler dès aujourd’hui contre la catastrophe, de manière constructive".
Le SEAE, qui effectue une mission dans les trois pays du 21 au 27 octobre, envisage la mise en place d'une cellule de coordination, qui permettrait, si les besoins en ressources militaires à des fins civiles venaient à dépasser les moyens offerts par des pays comme le Royaume-Uni et la France, d'aider à coordonner les contributions éventuelles que des États membres plus petits pourraient fournir.
Ensuite, le Conseil a décidé de répondre à une demande insistante des ONG, qui soignent sur place les patients contagieux, que soit mis en place un système d'évacuation médicale d'urgence des humanitaires, de manière à ne pas décourager les bonnes volontés. Le compte-rendu présenté aux ministres par la commissaire européenne en charge de l'Aide humanitaire, Kristalina Georgieva, relève que la maladie a fait sur les 4 500 morts causés par l’épidémie, 420 étaient membres du corps médical, surtout des médecins et infirmières locaux. L’UE fournit une garantie qu’en cas d’infection, les travailleurs de la santé internationaux seront traités avec les soins appropriés sur place ou par une évacuation médicale, que ce soit, dans ce dernier cas, par les moyens d’une compagnie commerciale spécialisée ou d’avions, militaires ou civils, fournis par les Etats membres. Ces évacuations pourront être financées par la Commission européenne et coordonnées par le Centre de coordination des réponses d'urgence, basé à Bruxelles. La Commission européenne a déjà un contrat avec une société américaine pour organiser trois évacuations médicales d'urgence par semaine.
Suite à la réunion d’urgence des ministres de la Santé à Bruxelles du 16 octobre 2014, le Conseil appelle la Commission, avec l’OMS, à pratiquer un audit de l’efficacité des systèmes de contrôle aux points de sortie dans les pays affectés par l’épidémie et d’aider à leur renforcement si nécessaire. Il demande également d’accroître la coordination sur la vérification des contrôles aux points d'entrée en Europe et d’échanger les meilleurs pratiques sur le traitement des cas d'Ebola pour réduire le risque de transmission de la maladie dans l'UE. Après la France et le Royaume-Uni, la Belgique avait annoncé, la veille, la mise en place de mesures de contrôle dans les aéroports belges pour dépister d'éventuels malades d'Ebola en provenance des trois pays africains où sévit le virus.
Le Conseil souligne ainsi l’importance de consultations et de partages d’informations continues au sujet des mesures à prendre pour protéger l’UE et ses citoyens. Le Conseil souligne le besoin d’assurer une information objective pour promouvoir la conscience et la préparation du public, y inclus à tous les points d’entrée. Il prie la Commission de mener des travaux qui pourraient aboutir à des protocoles et procédures communs. Il appelle d’ailleurs les Etats membres à considérer l’usage du potentiel du Système d’information visa et des informations détenues par les compagnies aériennes pour les aider à anticiper l’arrivée potentielle d’infections.
Le Conseil a reconnu le besoin d ‘établir un groupe de réserve d’experts de la santé des Etats membres, sur base volontaire, pour un déploiement rapide et ciblé en cas de crise sanitaire. Il encourage les efforts pour renforcer la recherche médicale et pharmaceutique dans le cas des maladies tropicales. Il salue l’organisation d’un atelier de travail sur les meilleures pratiques dans le contrôle des infections et la mise sur pied d’un réseau de cliniciens volontaires pour le traitement d’Ebola à l’échelle européenne.
Le Conseil a demandé à la Haute Représentante de l'UE d'élaborer une stratégie régionale globale de l'UE pour la Syrie et l'Irak et sur la menace de l'État islamique (EI). "Des politiques non inclusives en Irak et l’instabilité en Syrie cause par la guerre brutale du régime Assad contre son propre peuple ont permis à l’ISIL / Da’esh (ou EI, ndlr) de se développer", constate le Conseil Affaires étrangères dans ses conclusions. Pour ces raisons, "le régime Assad ne peut donc pas être un partenaire dans la lutte contre ISIL / Da'esh", lit-on encore. Le Conseil a d’ailleurs renforcé les mesures de restriction contre le régime syrien, en ajoutant 16 personnes et deux entités à une liste qui compte désormais 211 personnes et 63 entités sanctionnées.
Les ministres soulignent dans leurs conclusions que la situation dans la ville syrienne de Kobané et dans "d'autres régions assiégées et victimes de violents combats" contre l’EI était "un sujet de grave préoccupation". Ils disent apprécier les efforts déployés par la Turquie pour accueillir les réfugiés de Kobané et appellent le pays à ouvrir sa frontière pour toute fourniture à destination de la population de la ville. Le jour même, la Turquie a annoncé que son pays aidait les forces des peshmergas kurdes à rejoindre, via son territoire, Kobané, ce que Jean Asselborn a salué en conférence de presse.
Jean Asselborn, a souligné que "si les Américains n’étaient pas là pour agir militairement, la ville de Kobané serait déjà perdue". Il fallait éviter que "des milliers de personnes soient victimes d’une boucherie" et empêcher un nouveau Srebrenica, un nouveau Rwanda. De plus, il s’agissait d’éviter qu’une "poche soit ouverte" vers l’occupation de nouveaux territoires alors que l’Etat islamique contrôle déjà 40 % du territoire syrien.
Jean Asselborn, a toutefois déclaré que l'action militaire est "nécessaire mais pas suffisante". Ce n’est qu’un élément "d'un effort plus large comprenant des mesures dans les domaines diplomatique et politique, de lutte contre le terrorisme et le financement du terrorisme, dans les domaines humanitaire et de la communication", disent les conclusions du Conseil. "Une transition politique dirigée par les Syriens et une gouvernance politique inclusive en Irak sont essentielles pour une paix durable et la stabilité dans la région", souligne le Conseil. Saluant la formation d'un nouveau gouvernement irakien le 8 septembre et la nomination des postes-clés des ministres de la Défense et de l'Intérieur, le Conseil a souligné que la solution à la crise en Irak ne pouvait être "que politique". L'UE invite ainsi "instamment toutes les composantes de la société irakienne à s'unir dans la lutte contre l'EI et à soutenir un processus de réconciliation nationale", concluent les ministres.
C’est à une pareille union que les ministres appellent également les Libyens dans le combat contre le terrorisme. "La liberté durement acquise de la Libye est en danger si les groupes terroristes libyens et internationaux peuvent utiliser la Libye comme refuge", disent les ministres qui soulignent que l’instabilité de la Libye pose une "menace directe sur l’UE, à travers le terrorisme, les migrations illégales croissantes et le trafic de biens illicites, y compris des armes". Le Conseil encourage ainsi l’Assemblée constituante dans la poursuite de sa rédaction d’un texte qui doit protéger les droits de tous les Libyens.
Concernant l’Ukraine, le Conseil a pris note de la baisse généralisée de la violence, suite au cessez-le-feu, mais condamne dans le même temps les nombreuses violations de ce cessez-le-feu. Cette fois-ci, le Conseil n’a pas évoqué de possibles sanctions, ni dans un sens, ni dans l’autre, a fait savoir Jean Asselborn.
Le Conseil a axé son message sur la teneur du protocole de Minsk du 5 septembre 2014. Ce protocole ainsi que le "mémorandum de Minsk" du 19 septembre, constituent aux yeux des ministres européens "un pas vers une solution politique durable de la crise, qui doit être basée sur le respect de l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine". Ils attendent ainsi le plein engagement des partis à leur mise en œuvre. Ils appellent ainsi la Russie au retrait des groupes armés illégaux, à l’équipement militaire, et à permettre la sécurisation de la frontière russo-ukrainienne sous le contrôle de l’OSCE. A ce sujet, le Conseil a appris que la surveillance de la frontière russo-ukrainienne par les drones allemands et français, auxquels se joignent des drones russes, est acquise.
Les ministres sont également inquiets de l’impact humanitaire croissant de la crise à l’Est de l’Ukraine. Ils appellent à respecter le droit international pour protéger les citoyens, mais aussi permettre aux humanitaires de travailler et aux citoyens d’accéder à leur aide.
Comme l’a rappelé Jean Asselborn, l’Ukraine entre dans une période difficile, avec des élections législatives le 26 octobre, puis des "élections indépendantistes" le 2 novembre et des élections communales le 17 décembre. Le Conseil déclare d’ailleurs que l’UE ne reconnaît pas les élections locales du 14 septembre en Crimée "illégalement annexée".
Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères a fait savoir que le Conseil a aussi discuté de l’autorisation par le gouvernement israélien d’un projet de construction de 2 610 logements pour colons dans le quartier de Givat Hamatos à Jérusalem-est. Ce projet isolerait Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie. Selon Jean Asselborn, la réalisation de ce projet rendrait encore plus difficile l’espoir d’une solution négociée à deux Etats, qui "ne serait physiquement plus possible". Tous ses collègues au Conseil ont mis en question cette décision israélienne, a-t-il fait savoir.
La confirmation de la réalisation de ce projet serait une de ces situations dans laquelle il reviendrait alors aux Etats membres de prendre des décisions sur le choix de reconnaître ou non l’Etat de Palestine, comme l’ont fait récemment la Grande-Bretagne et la Suède. Jean Asselborn estime que pour être "efficace", cette dynamique de reconnaissance pourrait faire le moment venu l’objet de concertations au niveau de l’UE. Jean Asselborn a toutefois souligné qu’il existait des signes positifs en provenance d’Israël, et notamment en ce qui concerne la normalisation de la situation avec Gaza et la reconstruction.
Il est à noter que le Conseil a aussi adopté des conclusions sur la situation en Bosnie – Herzégovine, au Soudan, en Somalie, en Afghanistan et au Yémen, et que, lors de la séance de questions-réponses avec les journalistes, Jean Asselborn a fait savoir que le Luxembourg, était, avec l’Estonie et Chypre, opposé à la proposition de la Commission de réduire le nombre de sièges du Luxembourg au Comité économique et social européen (CESE) et au Comité des Régions.