Le candidat au poste de vice-président de la Commission européenne chargé du Marché numérique unique, Andrus Ansip, a été auditionné, le 6 octobre 2014 en soirée, par les députés du Parlement européen. Sa candidature a été acceptée à l’unanimité par les commissions IMCO, LIBE et ITRE.
Ce chimiste de formation, âgé de 57 ans, fut membre du Parti communiste estonien de 1978 à 1989, selon son CV, et aurait commencé son parcours professionnel au sein de l'Armée soviétique "en qualité de promoteur de l'idéologie communiste", selon l'AFP. A la chute du communisme, il s’est lancé dans le monde des affaires, puis, après un sérieux accident de la route, il entre en 1994 dans la vie politique en rejoignant les rangs du Parti estonien de la réforme (ADLE), de centre droit, qu’il allait présider de 2004 à 2014.
Nommé ministre de l’Economie et des communications en 2004, Andrus Ansip est devenu Premier Ministre de l’Estonie en mars 2005. Il est devenu populaire dans son pays en déplaçant, en avril 2007, un monument soviétique de Tallinn vers un cimetière loin du centre-ville. Cette décision avait déclenché des manifestations de citoyens russophones d'Estonie ainsi qu’une crise avec la Russie.
Sa volonté de mener une politique d’austérité sévère par la réduction des retraites et des salaires des fonctionnaires l’ont mené à se séparer en mai 2009 de ses partenaires de coalition sociaux-démocrates. Il a démissionné de son poste en mars 2014 puis a été élu eurodéputé aux élections de mai suivant.
Dans la lettre de mission que lui a adressée Jean-Claude Juncker, Andrus Ansip est invité à se concentrer sur les domaines suivants :
• Réunir les différents pouvoirs régulateurs de l’UE afin de mener à bien le marché numérique unique.
• Coordonner, durant les six premiers mois de mandat, des initiatives législatives ambitieuses vers un marché numérique unique connecté, moderniser la législation sur les droits d’auteurs à la lumière de la révolution numérique en cours – en tenant en compte de la riche diversité culturelle de l’Europe – et moderniser et simplifier les règles de consommateurs pour les achats en ligne et numériques.
• Superviser, durant les six premiers mois du mandat, la conclusion des négociations sur la réforme des règles de protection des données, ainsi que la révision de l’accord Safe Harbour avec les USA
• Soutenir le vice-président en charge de l’emploi, de la croissance, de l’investissement et de la compétitivité dans le projet de présenter, dans les trois premiers mois du mandat, le "Paquet emplois, croissance et investissements" annoncé. Ce paquet doit aider à mobiliser des investissements publics et privés supplémentaires pour les infrastructures tels que les réseaux à large bande.
• Coordonner le travail de mise en place des conditions qui permettront à tous les citoyens de l’UE de participer et de bénéficier de l’économie numérique, avec les mêmes libertés et protections en ligne qu’hors ligne, y compris en luttant contre la cybercriminalité.
• Soutenir le développement d’industries créatives, en aidant les secteurs culturels et audiovisuels d’Europe à atteindre de nouvelles audiences, à s’adapter à l’ère numérique et à s’épanouir au sein du marché numérique unique et connecté.
• Soutenir les moyens de rendre les administrations publiques plus ouvertes et efficaces en défendant les approches numériques et d’eGovernment à travers tous les Etats membres et au sein de la Commission, en coopération avec le Vice-Président pour le budget et les ressources humaines. Regarder comment améliorer l’interaction avec les administrations des Etats membres.
"En créant un marché numérique unique et connecté, il serait possible de produire une croissance supplémentaire de 250 milliards d’euros en Europe, durant le mandat de la Commission, en créant des milliers d’emplois, notamment pour les jeunes demandeurs", souligne la lettre de mission.
Si Jean-Claude Juncker a choisi de lui confier la supervision du développement du marché numérique, c’est notamment parce que l’Estonie est un pays pionnier dans l’UE en termes de numérisation. Dans ses réponses aux députés, Andrus Ansip souligne cette expérience. Il cite entre autres en exemple le fait que, lors des dernières élections européennes où il fut d’ailleurs élu, 33 % des votants en Estonie ont eu recours au système de vote électronique par internet, utilisé pour la première fois au monde lors d'élections de grande envergure en 2005. Il cite également la généralisation des signatures numériques dans les transactions publiques et privées (plus de 175 millions de signatures pour une population de 1,3 million de personnes) qui aurait fait gagner cinq jours ouvrables à l'économie estonienne chaque année.
Durant son audition, Andrus Ansip a déclaré, ainsi que le rapporte l’Agence Europe, qu’il veillerait "à ce que l'on pense numérique dans toutes les propositions". L’UE doit, selon lui, aspirer à un "vrai marché interne" qui mène à la numérisation de tous les services publics à tous les niveaux – y compris dans les institutions européennes. La Commission européenne devrait montrer la voie en acceptant les appels d'offres et les factures électroniques d'ici 2015. Les signatures électroniques devraient entrer en vigueur d'ici la fin de son mandat.
Le commissaire-désigné a souligné que les bases de l'économie numérique doivent être fondées sur les besoins et les droits des consommateurs, en portant une grande attention à la sécurité des données. "Il faut les mêmes libertés et protections en et hors ligne", a ainsi indiqué le commissaire-candidat, fidèle à la lettre de mission que lui a adressé Jean-Claude Juncker. Il a précisé qu’à ce sujet il allait se concentrer sur la finalisation des règles sur la protection des données au cours des six prochains mois, avec le soutien de la commissaire-candidate à la Justice, aux Consommateurs et à l'Égalité des genres, Vera Jourova, dont il supervisera le travail.
"En tant que libéral, je crois aux droits fondamentaux des personnes", a déclaré encore Andrus Ansip, en n’excluant pas la suspension de l’accord Safe Harbor, qui règle la transmission des données personnelles de citoyens européens vers des entreprises américaines, conclu avec les USA. "Si le gouvernement américain ne fait pas une déclaration claire, nous devrons considérer sa suspension", a-t-il dit. Cette déclaration est semblable à celle prononcée par la commissaire-désignée en charge de la Justice Věra Jourová lors de son audition le 1er octobre. Le 15 janvier 2014, le Parlement européen avait voté en faveur d’une telle suspension. Le commissaire-désigné est d’avis que cet accord n'est de toute façon plus sûr. Il doit être changé de manière notamment à ce que le gouvernement américaine fasse des indications plus précises sur une clause d’exception, permettant une limite à la protection des données au nom de la sécurité nationale.
L’UE doit aussi aider les États membres à faire face à la croissance exponentielle de la cybercriminalité. Ces derniers sont confrontés à des menaces de plus en plus nombreuses et graves. De 2012 à 2013, les cyber-attaques ont augmenté de 48 %, ce qui correspond à près de 120 000 attaques par jour dans l'UE. Pour y remédier, Andrus Ansip a formulé son intention de faire aboutir la directive concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et de l'information dans l'Union (dite directive NIS) publié le 7 février 2013.
Pour ce qui est du commerce électronique, le commissaire candidat a souligné que si sa part, actuellement de 5 %, était portée à 15 % des ventes de détails, l'UE gagnerait 1,7 % de croissance annuelle. Il entend pour cela abattre les obstacles aux achats en ligne hors du territoire de l’État membre, dues à des législations différentes et au manque de transparence des règles. Par ailleurs, pour une meilleure résolution des litiges en ligne, plus rapide, plus transparente et moins onéreuse, Andrus Ansip a annoncé son intention de créer une plate-forme des litiges en ligne d'ici 2016.
La demande dans l'emploi numérique augmente de 4 % par an ; d'ici 2020, l'UE sera confrontée à 900 000 emplois vacants. "L'influence de l'économie numérique sur la main-d'œuvre ne peut être sous-estimée", a dit le commissaire-désigné. "L'UE dispose de capacités, on a les moyens de montrer la voie", mais le marché est fragmenté et cela pèse sur la compétitivité, a-t-il ajouté.
Ansip a déclaré qu’il veillerait à la suppression des frais de roaming pour les liaisons téléphoniques. Il a par ailleurs déploré le manque d'infrastructures dans l'UE pour la couverture 4 G : dans l'UE, seuls 25 % de la population totale et 4% de la population rurale ont accès à la 4G, contre plus de 90 % aux États-Unis. "Il faut un marché moins fragmenté pour encourager la demande et veiller à ce que le secteur privé fasse les investissements nécessaires", a–t-il dit.
Un projet-clé consiste dans la réforme du marché unique des télécommunications. Il a jugé en la matière que la neutralité du net est une notion "essentielle" et devrait figurer dans la législation. "Le trafic Internet doit être régi de la même façon et personne ne peut abuser de sa position dominante", a-t-il déclaré.
Par ailleurs, il juge "inacceptable" le geo-blocking qui empêche l’accès à un contenu pour l’internaute d’un autre Etat membre.
"Andrus Ansip doit démontrer une forte détermination pour rompre avec les perspectives nationales et mettre un véritable esprit européen dans son travail", a dit Andres Schwab, porte-parole du groupe PPE dans la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (IPCO). "La bonne volonté ne sera pas suffisante. Il faudra être ferme avec les Etats membres." Pour cause, les barrières au commerce et aux services en ligne pèsent particulièrement sur les PME. "Il faudra donc assurer la cohérence et la coordination dans les politiques qui sous-tendent le Marché unique numérique, pour mettre notamment fin aux différences significatives qui demeurent entre Etats membres pour les services postaux, les règles de TVA, le roaming, le droit d’auteur etc", dit le communiqué de presse.
Andrus Ansip a fait une "bonne impression" au groupe S&D, en montrant "une bonne connaissance technique de son portefeuille" selon la porte-parole pour le marché intérieur et la protection des consommateurs, Evelyne Gebhardt, et celle pour les libertés civiles, Birgit Sippel, Toutes deux regrettent toutefois qu’ "il a été très général et parfois trop vague et il a veillé à ne pas faire trop de promesses. Il devra être bien plus spécifique sur ses projets visant à assurer un haut niveau de protection des données, la neutralité du net et la protection des droits d’auteurs dans le monde numérique, questions pour lesquelles nous n’avons pas été complètement satisfaits par ses réponses", ajoutent-elles.
Andrus Ansip a aussi convaincu le groupe Verts/ALE. "[Il] connaît les défis de la numérisation, sait que la protection des données et la neutralité du net ne sont pas une contradiction mais bien une précondition pour un marché numérique unique vivant", a déclaré l’eurodéputé Vert, Jan Philipp Albrecht, interrogé par EurActiv.de. Au contraire, la désignation de Günther Oettinger, au marché numérique, fut une "mauvaise désignation". Il n’a rien dit sur les questions de la neutralité du net et de la protection des données, mais a le mérite de n’avoir "rien dit d’outrageant", à la différence de Günther Oettinger, a estimé Julia Reda.