Le 26 novembre 2014, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a présenté devant le Parlement européen réuni en plénière son plan d’investissement pour l’emploi et la croissance. Ce plan promis par Jean-Claude Juncker pour avant la Noël a été un véritable enjeu des discussions qui ont précédé et suivi les élections européennes.
Le président de la Commission européenne a choisi le Parlement européen pour "envoyer un message au peuple d’Europe", à savoir que l’Europe "tourne une page", "revient aux affaires" et "se met au travail". Selon lui, l’Europe a besoin de réformes structurelles, - et Jean-Claude Juncker ne perd pas de vue les sacrifices qui ont été faits par certains -, elle a aussi besoin de responsabilité budgétaire, mais il s’agit aussi de compléter ce cette vertueuse règle de trois en "boostant l’investissement".
Jean-Claude Juncker s’inquiète en effet du déficit d’investissement en Europe, où les niveaux d’investissement sont en-dessous des chiffres enregistrés avant la crise. Selon les chiffres avancés par Werner Hoyer, président de la BEI qui était aux côtés de Jean-Claude Juncker devant les eurodéputés, les investissements seraient 15 à 20 % en dessous de 2007. "Le manque d'investissement n'est pas imputable à un manque de ressources", a expliqué Werner Hoyer qui estime que les investisseurs, "éprouvés par une longue période de crise et préoccupés par les incertitudes réglementaires et économiques, fuient le risque".
"L’Europe est à la traîne", déplore le président de la Commission européenne qui pointe plusieurs "pathologies", comme le manque de confiance et de crédibilité, mais aussi le faible niveau de ressources publiques. L’enjeu, pour Jean-Claude Juncker, c’est l’économie réelle.
Son objectif est donc de mettre en place un système permettant de mobiliser des fonds privés et de veiller très soigneusement aux projets qu’ils serviront à financer.
L’objectif de Jean-Claude Juncker est que le Fonds européen d’investissements stratégiques (FEIS) qu’il veut mettre en place soit opérationnel dès le mois de juin 2015, ce qui sera possible essentiellement grâce à l’implication de la Banque européenne d’investissement dans ce projet.
Et il a donc appelé tous les acteurs institutionnels impliqués à faire en sorte que cela soit possible. Les Etats-membres ont ainsi été invités à adhérer au fonds, et Jean-Claude Juncker a souligné que les contributions des Etats membres au fonds ne seraient pas prises en compte pour le calcul du déficit public dans le cadre du pacte de stabilité. "Le fonds peut mobiliser plus que la somme annoncée", a insisté par ailleurs Jean-Claude Juncker. "Je compte sur le soutien du Parlement européen pour adopter le fonds rapidement", a ajouté le président de la Commission en s’adressant aux parlementaires auxquels il a assuré que les responsables du Fonds viendraient rendre compte devant eux régulièrement.
"Pas de jeu politique avec les projets, pas de liste de vœux nationales", a mis en garde Jean-Claude Juncker qui compte sur "le professionnalisme de la Banque européenne d’investissement (BEI)" pour mettre en place et faire fonctionner un mécanisme qu’il veut "souple et simple d’utilisation", qui doit "pouvoir évoluer et être crédible" et qui "drainera les investissements envisagés vers les pays qui en ont le plus besoin".
"Si ce plan fonctionne, et il fonctionnera, il sera reconduit en 2018, 2019 et 2020", a ajouté Jean-Claude Juncker avant de conclure en assurant que "oui, l’Europe peut devenir l’épicentre d’un élan d’investissements, oui, l’Europe peut connaître à nouveau la croissance, oui, le modèle social européen va perdurer".
Le plan présenté par Jean-Claude Juncker va reposer sur trois piliers.
Il s’agit en premier lieu de créer un nouveau fonds destiné aux investissements stratégiques (FEIS) qui sera en mesure de mobiliser 315 milliards sur les trois prochaines années (2015-2017).
Il comprendra une garantie de 16 milliards d'euros provenant du budget de l'UE, combinée à 5 milliards d'euros engagés par la BEI. Selon des estimations prudentes, fondées sur les enseignements du passé, le Fonds aura un effet multiplicateur de 1 à 15. En d'autres termes, chaque euro d'argent public mobilisé par le Fonds générera au total 15 euros d'investissements qui, à défaut, n'auraient pas été réalisés.
Et Jean-Claude Juncker a tenu à souligner à l’attention de ceux qui s’inquiéteraient de voir une partie des fonds de l’UE attribués aux programmes Horizon 2020 ou Connecting Europe ne soient "perdus" en étant versés à ce fonds qu’il s’agissait avant tout de maximiser cet argent pour pouvoir aider mieux encore les projets qu’ils auraient soutenus.
En outre, à ces investissements viendra s'ajouter une optimisation de l'effet de levier des Fonds structurels et d'investissement européens 2014-2020, en recourant à des prêts, fonds propres et garanties en lieu et place des subventions classiques. Cela aura pour effet d'accroître l'effet de levier, dont le rapport se situera entre 1 à 3 et 1 à 4. Doubler le montant des instruments financiers innovants et se servir de l'effet de levier ainsi créé permettrait de mobiliser entre 20 et 35 milliards d'euros d'investissements supplémentaires pour l'économie réelle pendant la période 2015-2017. Il s’agit de faire un meilleur usage des fonds structurels, a expliqué Jyrki Katainen en insistant sur le fait que 92 % des fonds structurels sont actuellement alloués à des subventions, ce qui "doit changer".
Deuxième pilier de cette nouvelle architecture, une réserve de projets transparente permettant de recenser des projets viables au niveau de l'UE sera créée et fournira l'assistance technique nécessaire pour faciliter la sélection et la structuration des projets ainsi que le recours à des instruments financiers plus innovants. Un conseil d’experts expérimentés sera chargé d’évaluer les projets, car "ce n’est pas le travail des politiques que de choisir les projets", ainsi que l’a souligné Jean-Claude Juncker.
Le Fonds devrait surtout soutenir l'investissement dans les infrastructures, en particulier les réseaux à haut débit et les réseaux d'énergie, ainsi que les infrastructures de transport dans les centres industriels; l'éducation, la recherche et l'innovation; les énergies renouvelables, ainsi que dans les PME et les entreprises à moyenne capitalisation.
Les États membres fournissent déjà à la task force conjointe Commission-BEI, créée en septembre 2014, des listes de projets sélectionnés selon leur valeur ajoutée européenne, ainsi que leur viabilité et valeur économiques. Les projets figurant sur ces listes doivent être en mesure de mobiliser d'autres sources de financement. Leur taille et leur modularité (différenciation par secteur/sous-secteur) doivent également être raisonnables.
La Commission et la BEI lanceront également un vaste programme d'assistance technique pour recenser les projets et contribuer à les rendre plus attractifs pour les investisseurs privés.
L’enjeu, c’est de s’assurer que l’argent atteint bien l’économie réelle, ainsi que l’a résumé Jyrki Katainen en soulignant que c’est ce que demandent les investisseurs.
Enfin, troisième élément du système, il va s’agir d’établir une feuille de route pour rendre l’Europe plus attractive en améliorant son cadre réglementaire. L'objectif est de lever les obstacles à l’investissement en supprimant les réglementations spécifiques à certains secteurs qui entravent l'investissement. Afin d'améliorer l'environnement des entreprises et leurs conditions de financement, le plan se concentrera sur des mesures dans le secteur financier, par exemple, la création d'une union des marchés des capitaux pour améliorer l'offre de capitaux destinés aux PME et aux projets à long terme.
"Nous voulons créer un marché unique de l’énergie, du numérique, du capital et des services", a expliqué Jyrki Katainen. La priorité sera accordée à la suppression des obstacles réglementaires et non réglementaires qui subsistent dans la totalité des principaux secteurs d'infrastructures. La Commission présentera en décembre, dans son programme de travail 2015, une liste prioritaire des initiatives spécifiquement liées au plan d'investissement.
Manfred Weber a assuré Jean-Claude Juncker du plein soutien du groupe PPE qu’il préside. Saluant "une belle journée pour l’Europe", il a toutefois précisé que les critères de sélection des projets devaient faire l’objet d’une décision politique, tout en rappelant que l’argent ne fait pas tout et qu’il faut donc poursuivre les réformes structurelles entamées. De même, Manfred Weber a rappelé que la stabilité budgétaire était indispensable pour assurer la crédibilité nécessaire à ce plan. Manfred Weber n’a pas manqué d’appeler les Etats membres à contribuer au FEIS.
Gianni Pittella, président du groupe S&D, a pour sa part salué le vent de changement apporté par la nouvelle Commission. "Ce plan est le fruit de notre bataille politique", s’est réjoui Gianni Pittella en rappelant à Jean-Claude Juncker qu’il avait obtenu le soutien du groupe S&D à cette condition. "Nous jugerons les résultats aux emplois créés", a assuré le parlementaire en soulignant qu’il reste encore beaucoup à faire. Gianni Pittella, qui a assuré Jean-Claude Juncker du soutien de son groupe à ce plan, a souligné que la priorité devrait être la transition énergétique. Gianni Pittella a invité lui aussi les Etats membres à contribuer au FEIS et s’est félicité de la neutralité de leur contribution au regard du pacte de stabilité, ce qui est pour lui "la fin d’un tabou" sur la rigidité du pacte.
Kamall Syed a émis au nom des conservateurs de l’ECR ses doutes quant au fait que l’argent mobilisé par le programme Juncker sera vraiment investi dans des projets utiles et cité des exemples où des investisseurs sont sortis de grands projets financés par des programmes européens à cause de la bureaucratie qu’ils impliquaient.
Le chef de file des libéraux européens Guy Verhofstadt a applaudi à la manière dont le manque d’investissements a été abordé par la Commission, des investissements qui ont chuté de 14 % en Europe. Pour que l’UE rattrape son retard, le libéral prône que les marchés du travail et des pensions soient soumis à des réformes structurelles. Les crédits européens pour de grands investissements devraient être soumis à des conditions, dont la première serait que l’Etat membre bénéficiaire ait fourni des efforts dans ces domaines."Sinon, pourquoi investir ?", a-t-il lancé. Un autre volet sera selon lui la création des marchés uniques de l’énergie, des capitaux, du numérique, qui devrait permettre de réduire les différences entre les régulateurs des Etats membres, voire d’envisager un régulateur unique au niveau de l’UE afin d’aplanir les obstacles aux synergies et à la connectivité. Sans soutien des 28 Etats membres, le programme de la Commission ne pourra pas fonctionner, a-t-il mis en garde. Finalement, il a estimé que ce devraient être la Commission et la BEI qui décideraient des projets dans lesquels les nouveaux dispositifs investiraient, et pas les Etats membres.
Dimitrios Papadimoulis (GUE/NGL) a mis en doute que le système proposé où le nouveau Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) mis sur pied avec la BEI puisse avoir un effet de levier ou multiplicateur de 1 à 15. Il a reproché à la Commission de ne pas avoir levé de l’argent frais et estimé qu’aucun économiste au monde ne pourrait croire à un tel effet de levier. "Il faut de l’argent frais, de nouveaux capitaux", a-t-il dit, jugeant que s’il n’y pas de fonds publics plus grands qui sont mobilisés, il n’y aura pas de reprise et pas de croissance. Il a conclu en reprochant à Jean-Claude Juncker d’avoir été à l’origine d’une politique qui aurait causé en Grèce la misère qu’il entend maintenant combattre et dénoncé "une Europe dominée par l’Allemagne et l’austérité".
Philippe Lamberts des Verts européens a fait dans son intervention la part des investisseurs qui investissent dans l’économie réelle et celle des "joueurs d’un jour", des "créateurs de bulles" et de ceux qui mettent des milliards dans le béton et des projets néfastes, parce que non durables. Pour lui, l’investissement financier et humain doit se mettre au service d’une cause, comme par exemple la transformation des infrastructures sous un angle écologique. Que 21 milliards d’ores et déjà alloués puissent mobiliser 315 milliards d’euros lui semble "peu crédible", d’autant plus qu’une partie de ces sommes a été soutirée au budget du programme de recherche Horizon 2020, ce qui n’est pas bon selon lui "pour faire avancer le schmilblick". Par ailleurs, la question de la socialisation des pertes et de la privatisation des bénéfices n’est toujours pas résolue. Néanmoins, les Verts veulent donner une contribution constructive et suggèrent à la Commission de "fermer l’économie-casino" qui a permis que des 1000 milliards de la BCE, 50 aillent seulement dans l’économie réelle et les autres 950 dans l’économie-casino. Ils suggèrent aussi de mobiliser l’argent issu de la lutte contre la fraude fiscale et de revoir la fiscalité des énergies fossiles qui coûte cher à l’Europe, parce qu’elle subventionne indirectement la Russie de Poutine et prolonge la dépendance énergétique de l’UE.
Pier Carlo Padoan, le ministre italien des Finances dont le pays préside actuellement le Conseil, a qualifié le plan Juncker "d’initiative opportune, car la croissance dans l’UE n’est pas satisfaisante". Il a évoqué un risque sérieux de stagnation et surtout d’inflation trop basse. Pour lui, "les chemins de la croissance sont plusieurs". Il a évoqué comme d’autres les réformes structurelles, une plus grande intégration de l’UE vers l’intérieur et l’extérieur, et surtout des investissements qui soutiennent la demande et renforcent l’offre. Toute réforme dans l’UE et ses Etats membres devrait, face à une chute des investissements "dramatique et généralisée", avoir pour but de créer un meilleur environnement pour les affaires. Les réformes dans les Etats membres auront des répercussions positives sur les autres pays. Il a évoqué l’Union bancaire et les nouvelles normes sur l’échange automatique des informations en matière financière et fiscale parce que ce sont des réformes qui changent "les règles, les comportements et les ressources". Quant aux projets du Fonds européens pour les investissements stratégiques, il est convaincu qu’ils seront profitables et augmenteront aussi les ressources.
Le Conseil ECOFIN va apporter sa contribution, a-t-il promis. Le Conseil ECOFIN s’est effectivement doté le 14 octobre 2014 (LIEN) d'un groupe de travail, co-présidé par la Banque européenne d'investissement (BEI) et la Commission, qui associe les États membres et qui est chargé d'analyser les principaux obstacles et les goulots d'étranglement à l'investissement et de proposer des solutions pratiques pour surmonter ces obstacles. Il est censé identifier les projets d'investissement potentiellement viables à réaliser dans le court et moyen terme et jeter les bases crédibles et transparentes d’un ensemble de projets visant à renforcer la compétitivité de l'UE et le potentiel de croissance à moyen et à long terme. Le groupe de travail s’est déjà réuni en octobre 2014 et la BEI et la Commission feront un premier rapport au Conseil ECOFIN de décembre sur les projets déjà identifiés.
Pier Carlo Padoan est convaincu que "les ressources publiques doivent être mobilisées pour servir de levier" car elles "ont une influence directe sur l’investissement privé". Si les marchés échouent, il y a un besoin d’intervention publique. Mais le marché unique des capitaux sera selon l’ancien banquier central une autre perspective qui permettra à la BEI et aux banques nationales de développement d’agir en réseau pour multiplier les capacités de sélection des projets.
Pier Carlo Padoan a conclu en mettant en exergue les attentes des citoyens qui ont autant grandi que les risques de désillusion. Pour lui, il faut arrêter la chute des investissements privés et percevoir le Plan Juncker comme "un premier pas d’un revirement de la politique économique de l’UE qui pourra mener à la croissance et la reprise".