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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Transports
Après que le gouvernement allemand a précisé les modalités de l'introduction d’une vignette autoroutière en 2016, une grande majorité des députés européens de la commission des Transports s’est montrée sceptique face au projet
04-11-2014


Un panneau routier en Autriche indiquant un péage (Source: Asfinag)Le Parlement européen s’est penché le 4 novembre 2014au sein de la Commission du transport et du tourisme (TRAN) sur la question de l'introduction en Allemagne en 2016, d'une vignette autoroutière qui doit contribuer à financer son infrastructure routière. Une grande majorité des membres siégeant la commission des transports s’est prononcée contre le projet allemand de péage.

Le contexte

Le gouvernement allemand a précisé le 30 octobre 2014 dans un communiqué les modalités de l'introduction de cette vignette.

Son projet d’une redevance d’infrastructure ("Infrastrukturabgabe") prévoit qu'à partir de 2016, les automobilistes soient taxés, sous forme d'une vignette annuelle dont le coût dépendra de l'âge de la voiture, de la cylindrée du moteur et de critères environnementaux, pour un montant s’élevant en moyenne à 88 euros. Tandis que les automobilistes étrangers doivent payer normalement le prix d’une vignette, les automobilistes allemands verraient leur taxe sur le véhicule diminuée du prix de la vignette. 

La "Maut" a notamment été exigé par le parti bavarois CSU qui en avait fait une condition pour son entrée au gouvernement, car elle estime que le réseau autoroutier national ne pouvait être gratuit pour les non-résidents alors que les conducteurs allemands sont mis à contribution en France, en Autriche ou en Suisse.

Les automobilistes étrangérs seront éxonérés de la taxe sur les routes nationales ("Bundesstraßen")

Contrairement à ce qui était prévu en juin 2014, le projet de loi actuel ne s’étend plus à l’ensemble du réseau routier, mais seulement aux autoroutes fédérales ainsi qu'aux routes nationales ("Bundesstraßen"), indique le communiqué. Les routes départementales ("Landstraßen") et les routes communales ("Kreisstraßen") ne sont plus concernées par le péage, contrairement au projet initial. Selon le gouvernement fédéral allemand, les titulaires de véhicules et de mobil-homes non-immatriculés en Allemagne seront éxonérés de la taxe. Les représentants de nombreuses régions frontalières avaient fortement critiqué le projet de péage, craignant des effets négatifs sur le petit trafic frontalier et le commerce transfrontalier. 

Le prix d'une vignette électronique annuelle (liée au numéro d'enregistrement du véhicule) sera calculé en fonction de la performance écologique du véhicule, et le montant maximal s’élève à 130 euros par an. Une vignette valable dix jours devrait coûter 10 euros et une vignette valable deux mois, 22 euros. Elles pourront être achetées en ligne, dans des stations-service ou points de vente spécifiques.

Le gouvernement a indiqué que les revenus générés seront réinvestis dans l'infrastructure de transport, mais il n'est pas précisé si seul le réseau routier sera concerné. Le bénéfice annuel prévu est de 3,7 milliards, dont 3 milliards proviendraient des propriétaires de voitures enregistrées en Allemagne (qui ne paieront donc rien en plus) et 690 millions des conducteurs étrangers. Les coûts bureaucratiques sont estimés à 195 millions d’euros.

Le fait que les automobilistes allemands verront leur taxe sur la voiture diminuée du prix de la vignette fait débat

Le projet a suscité beaucoup de critiques à travers l’Europe mais aussi à l’intérieur du pays, du fait que la taxe dont s'acquitte déjà tout propriétaire de voiture en Allemagne sera diminuée du prix de la vignette, de sorte que pour eux le coût de la vignette sera neutre. Dans les faits, les automobilistes étrangers seraient donc les seuls à payer.

Ainsi, d’aucuns ont estimé que le projet ne respecte pas les prescriptions européennes relatives à la taxation de voitures particulières et qu’il va à l’encontre du principe de non-discrimination. Une étude du service scientifique du Bundestag, la chambre basse allemande, avait déjà indiqué le 3 août 2014 que le projet de péage pour les automobilistes prévu pour 2016 ne serait pas conforme aux normes européennes. Les juristes avaient notamment relevé une "discrimination indirecte" des citoyens de l’UE.

Pour rappel, le principe de non-discrimination, inscrit dans le traité de Lisbonne en tant qu’objectif de l’UE, "vise à assurer l'égalité de traitement entre les individus quels que soient la nationalité, le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle". Une clause horizontale établie dans l’article 10 du traité sur le fonctionnement de l’UE stipule que la lutte contre les discriminations soit intégrée dans l’ensemble des politiques et des actions de l’UE.

Le 28 octobre 2013, la Commission européenne avait indiqué dans une réponse à une question de l’eurodéputé allemand Michael Cramer (Verts/ALE) que pour qu’il n’y ait pas discrimination sur base de nationalité, l’Allemagne devrait veiller à ce qu’une réduction des taxes autoroutières se fasse conformément au principe d’une charge proportionnelle.

Le gouvernement allemand estime que l’introduction de cette vignette ne viole pas le principe de non-discrimination

Le gouvernement allemand affirme toutefois que, même couplée à cet allègement fiscal pour les résidents allemands, l'introduction de cette vignette n'enfreint pas, de manière directe ou indirecte, le principe de non-discrimination sur base de la nationalité ou du pays de résidence.

Dans une communication du Ministère des Transports allemand, Berlin estime que les États membres de l'UE ont la possibilité de faire des transferts de financements entre les différents piliers du financement des infrastructures. Il estime qu’il est possible d’accroître le financement provenant de l'utilisateur via l'introduction d'une taxe d'utilisation. Dans ce contexte, les revenus provenant de la taxe d'infrastructure seront intégralement affectées aux infrastructures de transport.

En outre, l’Allemagne explique que l'obligation de payer la redevance d'infrastructure s’applique indépendamment de la nationalité ou du lieu de résidence de l'utilisateur, et quel que soit le lieu d'immatriculation du véhicule à moteur. A l’avenir, tous les utilisateurs du réseau routier national allemand contribueront à son financement. Ainsi, l'introduction d'une redevance d'infrastructure pour l'utilisation du réseau routier national allemand, en combinaison avec des allègements appropriés pour les taxes sur les véhicules immatriculés en Allemagne, ne constituerait pas une discrimination indirecte fondée sur la nationalité.

Berlin met également en exergue le fait que la taxe d'infrastructure et la taxe de circulation sont légalement conçues de sorte qu'elles sont "indépendantes" l’une de l’autre. Ainsi, la redevance d'infrastructure sera définie selon des "critères différents", indépendamment de la taxe sur les véhicules à moteur.

Dans ses déclarations du 27 octobre 2014, le commissaire européen aux Transports sortant, Siim Kallas avait lui aussi indiqué que la Commission n’a pas constaté une entrave au principe de non-discrimination. Siim Kallas a estimé que le projet allemand qui lui a été soumis "va dans la bonne direction". Selon le commissaire, dans un contexte de "sous-investissement chronique", il est important que les usagers payent pour les routes qu’ils empruntent. Il a néanmoins souligné que l’égalité de traitement est un principe "non-négociable", auquel l’Allemagne doit se conformer. "Que vous soyez allemand, italien, autrichien ou néerlandais, vous devez payer la même charge que tout autre utilisateur sur la même autoroute, qu’elle soit allemande, française ou grecque", a-t-il souligné.

Violeta Bulc, qui a repris son portefeuille le 3 novembre 2014, a déjà témoigné de son attachement au principe de non-discrimination lors de son audition au Parlement européen.

Une majorité des députés européens de la commission transport s’est montrée sceptique face au projet allemand

Une grande majorité des membres siégeant la commission des transports s’est prononcée contre le projet allemand de péage. Le député luxembourgeois du Parti populaire européen (PPE) Georges Bach regrette que le sujet ait seulement été mis à l’ordre du jour dans l’UE que lorsque l’Allemagne a annoncé leur projet de vignette. Selon lui, l’UE aurait dû se saisir de la question beaucoup plus tôt.

"Bientôt, nos pare-brise seront remplis de vignettes", a indiqué Georges Bach, en regrettant que chaque Etat membre agisse pour son propre compte. Dans un communiqué du 5 novembre, le groupe du PPE a indiqué qu’il veut "empêcher 28 systèmes de péage routier différentes dans les États membres de l'UE". Selon lui, il est important que les États membres harmonisent leurs systèmes, afin de "rendre la vie plus facile pour les usagers de la route".

"Les conducteurs ne doivent pas être accablés par trop de stickers sur leur pare-brise (…) ni avec un système de l'UE", a ajouté le député hollandais Wim van de Camp, coordinateur du groupe PPE au sein de la commission des transports du Parlement européen.

Georges Bach a aussi tenu à souligner que "dans grand nombre d’Etats, il y a un besoin urgent de financement de grandes infrastructures".  Voilà pourquoi, selon lui, "un principe honnête de l'utilisateur-payeur est nécessaire".

Tout comme la grande majorité des députés qui siègent dans la commission des transports, Georges Bach est d’avis que le projet de péage allemand est discriminatoire et anti-européen. "L’Allemagne fait payer les étrangers et, à travers un détour, évite de faire payer ses propres citoyens", a-t-il expliqué.

Sylvie Peyrou, experte de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, a indiqué que le péage routier allemand contiendra probablement "une discrimination illégale". "La Cour de justice de l'UE pourrait se prononcer contre cela", a-t-elle dit.

Un projet que le Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel avait jugé contraire à l’esprit européen

Pour mémoire, lors de la réunion conjointe des ministres luxembourgeois et sarrois qui a eu lieu le 16 septembre 2014 à Sarrebruck, le Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel avait critiqué le projet de péage allemand,  le jugeant "contraire à l'esprit européen".