Réunis le 11 novembre 2014 à Bruxelles, c’est à une large majorité que les députés de la commission de l’Environnement (ENVI) du Parlement européen ont défini leur position relative au projet de règlement autorisant les Etats membres à restreindre ou interdire la culture d'organismes génétiquement modifiés (OGM) sur leur territoire. La commission ENVI a en effet adopté la recommandation en seconde lecture de la rapporteure Frédérique Ries (ALDE, Belge) par 53 voix pour, 11 contre et 2 abstentions et a voté l'ouverture des négociations dites "en trilogue" avec la présidence italienne du Conseil.
"Les mesures approuvées aujourd'hui permettront aux Etats membres de restreindre ou d'interdire la culture d'OGM s'ils le souhaitent. Parallèlement, nous avons établi un processus clair pour l'autorisation d'OGM au niveau européen, avec de meilleures dispositions ainsi qu'un rôle central pour l'Autorité européenne de sécurité des aliments, élément important à nos yeux", a commenté Frédérique Ries, selon un communiqué diffusé par le service de presse du Parlement, la députée affirmant par ailleurs que "ce vote montre que nous avons atteint un large consensus entre groupes politiques du Parlement européen sur cette question sensible".
Pour rappel, le projet de rapport adopté en commission ENVI porte sur le projet de règlement de la Commission européenne, mis sur la table dès juillet 2010, modifiant la directive 2001/18/CE relative à la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement en y apportant notamment un article nouveau qui élargit les droits des Etats membres pour justifier juridiquement d'une interdiction nationale ou régionale de la culture d'un OGM. Cette proposition de révision vise ainsi à garantir une sécurité juridique aux Etats membres prenant une telle décision concernant une culture génétiquement modifiée autorisée au niveau de l'UE, soit au titre de la directive 2001/18/CE, soit au titre du règlement (CE) n° 1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.
Après trois ans de difficiles négociations sur ce sujet épineux (la directive y étant bloquée depuis 2011), le Conseil était finalement parvenu à dégager sa position sur la proposition de "culture à la carte" des OGM dans l'UE suite à un accord politique au Conseil Environnement au mois de juin 2014, un compromis sur lequel le Luxembourg s’était abstenu. L’enjeu sera désormais de parvenir à un accord en deuxième lecture avec le Parlement européen (qui avait adopté sa position en première lecture sur ce dossier dès juillet 2011), comme l’avait souligné la représentante de la Présidence italienne lors d’une audition devant la commission ENVI le 3 septembre 2014. Cet échange de vues avait d’ailleurs laissé présager de négociations en trilogues ardues entre les institutions.
La position adoptée par la commission ENVI du Parlement européen le 11 novembre 2014 "à l’égard de la position du Conseil en première lecture" se veut en très grande partie fidèle à celle déjà adoptée par le Parlement européen sous la précédente législature en juillet 2011.
Un des problèmes relevés déjà à l’époque par le Parlement était que le texte proposé par la Commission ne détaillait pas suffisamment la liste ouverte des motifs que pourraient invoquer les Etats membres pour interdire sur leur territoire la culture d’OGM. Ainsi, selon la proposition de la Commission, les Etats membres auraient pu invoquer n’importe quel motif, pourvu qu’ils ne se réfèrent pas à la protection de la santé et de l’environnement, sujets qui font en effet l’objet d’une évaluation au niveau communautaire avant toute autorisation.
Concernant cette liste, la rapporteure a estimé que "l'absence d'exemples concrets fragilise l'édifice juridique", lit-on dans son projet de rapport. Dès lors, les députés ont introduit un amendement précisant les différentes catégories de motifs invocables:
Pour ce qui est des raisons environnementales complémentaires de celles qui font l’objet d’une évaluation réalisée par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), les députés précisent qu’elles peuvent tenir compte d’aspects locaux, de contextes agronomiques donnés, de la résistance aux pesticides, de la préservation de la biodiversité, ou encore d’un manque de données relatives aux conséquences négatives sur l'environnement.
Pour les motifs fondés sur l’impact socio-économique de la culture d’OGM, le coût ou le risque – pas toujours maîtrisable – de la contamination des cultures traditionnelles ou organiques, est notamment précisé par les parlementaires européens.
Les députés ont également retenu, comme le proposait la Commission, les raisons liées à l’aménagement du territoire ou l’utilisation des sols, ainsi que celles liées aux incidences socio-économiques. Pour cette dernière catégorie, les députés citent en exemple l'impossibilité pratique ou les coûts élevés des mesures de coexistence ou l'impossibilité de mettre en œuvre de telles mesures en raison de conditions géographiques spécifiques, sur de petites îles ou dans des zones montagneuses.
Enfin, pour ce qui est des motifs visant des objectifs de politique agricole, ils pourront inclure entre autres la nécessité de protéger la diversité de la production agricole, le maintien et le développement de pratiques agricoles offrant de meilleures possibilités de concilier production et durabilité des écosystèmes, ou encore la nécessité de préserver la pureté des semences, soulignent encore les députés. Les membres de la commission ENVI n’ont en revanche pas retenu le motif de l’ordre public, ajouté par le Conseil dans sa position.
Un autre problème soulevé par les députés dans la position du Conseil est l'idée soutenue par celui-ci d’introduire une première phase de négociation avec l'entreprise d'OGM avant que ne puisse être appliquée la procédure "unique à l'origine", celle visant les motifs juridiques que peut invoquer un État membre pour interdire la culture d'OGM "qui figurait dans la proposition originale de la Commission comme dans la proposition modifiée du Parlement européen et qui devrait rester au cœur de la modification de la directive", lit-on dans le rapport.
Alors que l’objectif de la proposition de la Commission européenne était "de donner plus de latitude et une plus grande sécurité juridique aux États membres", le Conseil veut introduire "une procédure qui instaure de nouvelles obligations auxquelles seront soumises les autorités nationales", déplorent les députés. "On a la désagréable impression que le principal devient l'accessoire dans la version du Conseil, ce qui contrevient à l'objectif du Parlement européen dans son vote du 5 juillet 2011", poursuit le rapport. Via l’introduction d’un amendement, les députés ont donc rendu optionnel le recours par l’Etat membre à cette première phase.
Par ailleurs, les membres de la commission ENVI ont réaffirmé dans la position adoptée le 11 novembre leur volonté de confirmer le choix fait par le Parlement européen en juillet 2011d'une base juridique reposant sur l’environnement et non sur le marché intérieur comme proposé par la Commission européenne.
Dans les considérants du projet de législation, les députés appellent également à renforcer la méthode d'évaluation des risques. Il s’agit ainsi de faire appliquer les conclusions du Conseil "Environnement" du 4 décembre 2008, qui appelaient à l'utilisation de méthodes d'évaluation des risques complètes et efficaces, "dans la mesure où les effets à long terme de la culture d'OGM n'ont jusqu'à présent pas été suffisamment pris en compte", lit-on dans le projet de rapport. Les évaluations de risque au cas par cas menées par l’EFSA devraient ainsi tenir compte des effets directs, indirects, immédiats, différés et cumulés des OGM sur la santé humaine et l'environnement, et prendre en considération le principe de précaution, selon les députés.
Il s’agit en outre pour les députés européens de rendre obligatoire la prise de mesures destinées à assurer la coexistence des cultures. Les États membres devraient ainsi garantir que les cultures d'OGM ne contaminent pas d'autres produits et veiller à empêcher toute contamination transfrontalière, en établissant par exemple des "zones tampons" avec les pays voisins, précisent-ils. Enfin, des modifications sont également proposées afin de garantir la transparence de la procédure de restriction ou d'interdiction de la culture d'un OGM et de veiller à ce que ces décisions importantes soient rendues publiques.
"Après de nombreuses tentatives, une interdiction de culture sans appel possible est enfin devenue envisageable", a commenté la députée Elisabeth Köstinger (Autrichienne), négociatrice sur le texte pour le groupe PPE. "Sur une question aussi sensible, il est absolument nécessaire que chaque État membre puisse décider pour lui-même», a-t-elle poursuivi, selon un communiqué diffusé par le PPE.
Pour le groupe S&D, le socialiste français Gilles Pargneaux, négociateur pour le groupe des socialistes et démocrates, a jugé que le rapport reprenait "la majorité des priorités du groupe S&D". "Je tiens à saluer l'adoption du rapport très complet et très équilibré de Frédérique Ries" qui "reflète fidèlement la position exprimée par le Parlement européen en première lecture", a-t-il dit, cité par un communiqué diffusé par son groupe politique.
Le groupe des Verts/ALE au Parlement européen a immédiatement réagi au vote en commission ENVI pour exprimer ses "préoccupations" persistantes face au nouveau système. Les pays désireux d’interdire ou de restreindre la culture d’OGM sur leur territoire "doivent avoir un cadre tout à fait légalement étanche pour le faire", souligne Bart Staes (Belge), porte-parole des Verts sur la sécurité alimentaire, dans un communiqué. "Toutefois, les Verts sont toujours très inquiets que ce nouveau régime d'opt-out soit une pente glissante vers la facilitation des autorisations d’OGM au niveau de l’UE et qu’il ne modifie pas fondamentalement un processus d'approbation de l'UE qui est imparfait en soi".
"Il y a un besoin certain de réformer le processus européen d'autorisation des OGM: nous ne pouvons pas continuer avec la situation actuelle où les autorisations se poursuivent en dépit des évaluations des risques erronées et de la constante opposition de la majorité des Etats membres de l'UE en Conseil et, surtout, d’une claire majorité des citoyens de l'UE. Cependant, la réponse ne peut pas consister en un compromis rendant plus facile les autorisations de l'UE en échange d’une simplification des interdictions nationales. Le Parlement européen doit maintenant se battre bec et ongles pour maintenir cette position sinon la nouvelle proposition est un cheval de Troie, ce qui risque finalement d'ouvrir la porte pour les organismes génétiquement modifiés à travers l'Europe, en dépit de l'opposition des citoyens ", a-t-il encore dit.
Greenpeace Luxembourg s’est pour sa part félicité du vote de la commission ENVI. Martina Holbach, chargée de la campagne agriculture durable, a ainsi estimé que "le nouveau Parlement a pris une décision courageuse au début de son mandat" qui "constitue un pas important afin d’assurer un environnement et une agriculture sans OGM en Europe", lit-on dans un communiqué diffusé par l’organisation environnementaliste. "Les parlementaires ont amélioré le texte qu’avait adopté le Conseil, texte fortement influencé par le gouvernement pro-OGM du Royaume Uni. Le vote d’aujourd’hui accorderait aux pays européens le droit incontestable d’interdire les cultures d’OGM sur leur territoire. Le Parlement a ainsi considérablement restreint les possibilités des industries de la biotechnologie de défier de telles interdictions devant les tribunaux", s’est-elle en outre réjouie.