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Migration et asile - Justice, liberté, sécurité et immigration
Lampedusa et le régime des frontières européennes - L’ethnologue luxembourgeois Gilles Reckinger a présenté les aspects anthropologiques du phénomène migratoire sur l’île italienne
19-12-2014


Gilles Reckinger est ethnologue et anthropologue culturelA l’occasion d’une conférence intitulée "Lampedusa et le régime des frontières européennes. Perspectives anthropologiques", organisée par le parti de gauche ‘Dei Lenk’ le 19 décembre 2014, l’ethnologue luxembourgeois Gilles Reckinger a exposé un point de vue anthropologique sur la question en se basant sur son livre "Lampedusa – Begegnungen am Rande Europas" (Lampedusa – rencontres au bord de l'Europe).

Gilles Reckinger est né au Luxembourg et est ethnologue et anthropologue culturel. Il a étudié et participé à plusieurs projets de recherche en Autriche, en Suisse, au Canada et au Luxembourg. Ses recherches actuelles portent sur les conditions de vie et de travail des migrants africains aux vergers du sud de l'Italie. De 2009 à 2012, il a dirigé un travail ethnographique sur l'île de Lampedusa, financé par le Fonds Culturel National (Luxembourg), et pour lequel il a obtenu le prix Theodor Körner. Gilles Reckinger a été chargé de cours dans plusieurs universités européennes et depuis le 1er Octobre 2013, il est professeur de communication interculturelle et de la recherche des risques à l'Université d'Innsbruck.

Lampedusa, une île marginalisée

"Quand on pense à Lampedusa, les images qui nous viennent en tête sont celles de bateaux remplis de migrants, des barques de toutes sortes transportant des gens qui pour la plupart sont de couleur de peau noire, et qui arrivent dans un état pitoyable", indique Gilles Reckinger en guise d’introduction. "Peut-être avons-nous également en tête les images de la catastrophe qui a eu lieu en octobre 2013, qui nous ont été véhiculées par les médias, et qui illustraient un grand ensemble de cercueils juxtaposés l’un près de l’autre dans le hall de l’aéroport de Lampedusa", a-t-il poursuivi. Selon lui, le mot "Lampedusa" a développé cette connotation qu’il n’aurait pas eue il y a 20 ans. Or, il constate que cette image est en contraste avec le caractère "idyllique" de l’île qui est souvent véhiculé sur internet par ses habitants. En tant qu’ethnologue qui étudie "le quotidien des personnes", Gilles Reckinger s’est rendu sur place afin d’étudier les réfugiés mais aussi les Lampédusiens, notamment la manière dont ils se positionnent par rapport au phénomène de migration auquel fait face l’île. Comment gèrent-ils la situation ? Sont-ils dépassés par les événements ? Quid du racisme ?

Gilles Reckinger constate que sur les cartes, Lampedusa n’est souvent pas tracée, non pas pour des raisons d’échelle, mais parce qu’elle est souvent oubliée. L’île aurait souvent eu un rôle de "périphérie". Longtemps, elle aurait été au bord de notre perception. "Dans l’UE, tout comme en Italie, on n’éprouvait pas le besoin d’apprendre à connaître cette île", relève-t-il. Même au sein des cours de géographie en Italie, l’île n’est pas évoquée. "Ceci n’est pas évident pour les Lampédusiens, d’un point de vue identitaire", explique Gilles Reckinger.

Quand il s’est rendu à Lampedusa avec son épouse début 2009, Gilles Reckinger a découvert une île qui était vraiment d’une beauté aussi grande que celle décrite par ses habitants. "On s’est adaptés au rythme de l’île", indique-t-il. "Nous avons dû prendre du temps pour sortir de l’alarmisme qui est véhiculé par les médias et par certains acteurs politiques par rapport à Lampedusa", a-t-il poursuivi. Selon l’ethnologue, "les discours anti-immigration, tels que ceux que prononce Marine Le Pen, ne trouvent pas écho sur l’île".

Le fonctionnement de l’île 

D'une longueur d'environ 9 kilomètres, d'une largeur maximale de 3 kilomètres et d’une altitude pouvant atteindre 130 mètres, l’île de Lampedusa comprend 5 500 habitants indigènes. Ce chiffre ne comprend pas les réfugiés (10 000 par an), "qui ne font que transiter", en passant par un centre d’accueil, ou "centro d’accoglienza". Selon Gilles Reckinger, le mot ‘accoglienza’, qui signifie ‘accueil’ en italien, "n’est pas sans être cynique au vu des conditions dans lesquelles les réfugiés sont reçus dans les centres".

Lampedusa sur la carteL’île se situe 220 km au sud de la Sicile, et 110 km à l’ouest de la Tunisie. Elle se trouve donc à la hauteur de l’Afrique, et aussi sur la plaque continentale africaine. "Ainsi, Lampedusa comprend une population qui est relativement isolée par rapport à l’Etat auquel elle appartient", explique Gilles Reckinger.

L’île appartenait jadis à la famille noble "Di Lampedusa". Pendant longtemps, celle-ci avait décidé de ne pas la développer. Au 19e siècle, elle avait plutôt l’intention de vendre l’île. C’est le Royaume de Sicile qui, après de longues hésitations, s’en était porté acquéreur. Il a commencé à peupler l’île, notamment à travers des subventions censées inciter les gens à s’y rendre. Les habitants avaient par la suite commencé à déboiser l’île, car la vente de charbon était lucrative. Mais ceci a eu pour conséquence que l’île est devenue très aride. De plus en plus, les gens sont devenus pêcheurs. Mais des difficultés conjoncturelles et structurelles –rareté du poisson, prix du carburant, une concurrence de plus en plus forte, éloignement des marchés - menacent leur survie. Ainsi, selon Gilles Reckinger, la question des réfugiés n’est pas la 1ère préoccupation des gens. "Leur priorité, c’est de survivre", signale-t-il.

En été, la population peut tirer des revenus du tourisme. Mais celui-ci est limité par le fait que ce secteur est mal développé sur l’île, car il est peu durable, et parce que les employés du secteur n’ont pas bénéficié d’une éducation appropriée. Gilles Reckinger indique que le taux de décrochage scolaire est très élevé sur l’île, et que par ailleurs, le marché de travail y est "catastrophique". Tout comme en Tunisie, et plus particulièrement à Djerba, pendant toute l’année, l’île de Lampedusa pourrait procurer une offre de tourisme. "Mais ils ne réussissent pas", indique Gilles Reckinger, notamment en raison d’un manque d’infrastructures.

L’eau douce est rare sur Lampedusa, car elle doit être livrée par bateau depuis la Sicile. L’ethnologue luxembourgeois indique que cet acheminement n’est pas fiable, car il ne peut se faire quand les conditions maritimes ne le permettent pas. "En hiver, il peut arriver que pendant des semaines, l’île n’est pas fournie en eau potable", indique Gilles Reckinger. "Par ailleurs, quand les bateaux ne viennent pas, on ne peut y acheter des produits frais", ajoute-t-il.

Dans ce contexte, l’arrivée de plusieurs milliers de réfugiés sur l’île a rendu la situation encore plus compliquée. Les infrastructures en matière d’électricité sont aussi précaires, et les câbles sous-marins destinés à acheminer des télécommunications, notamment internet, se trouvent régulièrement endommagés par les ancres des navires. Les infrastructures routières font également défaut et, surtout, il n’y a pas d’hôpital à Lampedusa. Un hélicoptère venant de Palerme (en Sicile) fait office d’ambulance. Gilles Reckinger indique que celui-ci met 2 heures pour venir sur l’île et deux heures pour retourner en Sicile. Pour ce qui est de l’offre de soins médicaux, l’ethnologue explique que souvent, ce sont des jeunes diplômés qui viennent travailler sur l’île, qui y restent aussi longtemps qu’ils le doivent. Il n’y a aucun médecin spécialiste à Lampedusa : les derniers se rendent sur l’île un jour par semaine, avec chaque jour un autre spécialiste. Ceci est extrêmement problématique pour les femmes enceintes, qui n’ont pas la possibilité de consulter à tout moment un gynécologue. Ainsi, la plupart des femmes en dernière phase de grossesse décident de quitter l’île pour aller accoucher en Sicile ou sur la péninsule italienne. L’ethnologue révèle qu’à Lampedusa, au vu des circonstances, il est courant que les femmes perdent leur enfant.

Malgré la pauvreté, les Lampédusiens sont solidaires avec les migrants

LampedusaGilles Reckinger indique que néanmoins, malgré les conditions de vie difficiles, "les gens de Lampedusa ont une grande solidarité envers les migrants". Dans l’UE, le discours contre le racisme va pour lui souvent de pair avec une crise économique, mais à Lampedusa, les gens sont solidaires, et ce malgré leur pauvreté.

Gilles Reckinger constate que d’une manière générale, les Lampédusiens "se sentent trahis par l’Etat". Nombreux sont ceux qui émigrent, et jusque dans les années 60, ils ont même émigré en Tunisie, car ils ne pensaient pas que leur situation allait être meilleure en Europe. "L’Europe n’offre pas toujours ce que l’on pense qu’elle a à offrir", a insisté Gilles Reckinger. Pour lui, les Lampédusiens, qui ont eux-mêmes assisté directement ou indirectement à des naufrages, savent que "la mer donne la vie, mais qu’elle peut aussi l’enlever". Ceci expliquerait pourquoi ils sont prêts à aider les navires en détresse. "C’est notamment ce qui s’est passé quand les premiers migrants sont arrivés sur l’île", indique l’ethnologue.

Une agitation médiatique hypocrite, selon l’ethnologue

"L’histoire de l’île nous permet de comprendre que l’agitation politique et médiatique autour de Lampedusa n’est pas innocente, elle est hypocrite", révèle Gilles Reckinger. Pour lui, le fait que les réfugiés soient arrivés sur l’île est une conséquence directe de l’accord Schengen de 1985. "L’ouverture des frontières a eu pour effet collatéral le fait que nous ayons inventé une frontière supranationale qui doit être gérée collectivement", souligne-t-il. Or, l’ethnologue a l’impression qu’à ce moment-là, la plupart des signataires ne s’attendaient pas à de nouvelles dynamiques de gestion collective. Il explique qu’avec l’entrée en vigueur de la convention Schengen de 1990, Lampedusa est devenue une porte d’entrée vers l’Europe. Toujours est-il que la vague de réfugiés n’y est pas "massive", mais sporadique, et que la même vague déferle sur d’autres endroits, par exemple à Linosa (près de Lampedusa), à Malte, en Sicile, en Calabre, mais aussi dans d’autres pays européens, par exemple l’Espagne. Ceci ne serait néanmoins pas reflété dans les médias.

Selon lui, si l’Etat intervient, c’est pour contrôler ses frontières et ce qui se passe à Lampedusa, et non pour aider les migrants et les indigènes

Selon Gilles Reckinger, l’Etat italien est absent à Lampedusa. "Les seuls représentants de l’Etat sur l’île, c’est la gendarmerie", signale-t-il. La seule institution qui viendrait vraiment en aide aux migrants dès qu’ils sont sur l’île, ce serait l’Eglise. Aussi, "les réfugiés ne font que transiter sur l’île, pour être acheminés vers la Sicile, où la procédure est lancée". Ainsi, les îles comme Lampedusa ou Linosa ne seraient qu’un "intermezzo". En outre, selon lui, si l’Etat intervient, c’est pour contrôler ses frontières et ce qui se passe à Lampedusa, et non pour aider les migrants et les insulaires. Pour ce faire, l’Etat italien enverrait sa police des frontières sur l’île.

Les migrants iraient souvent ailleurs – ils ne débarqueraient pas systématiquement sur l’île de Lampedusa. Mais selon l’ethnologue, l’Etat italien souhaite que les migrants soient canalisés à travers Lampedusa où un camp de réfugiés a été prévu à cet effet, et pour les amener sur l’île, les gardes italiens vont à la rencontre des migrants lorsqu’ils sont en mer. "C’est pour des raisons logistiques que l’Etat italien vient à la rencontre des réfugiés en mer, par exemple dans le cadre de l’opération Mare Nostrum, et non pas pour les aider", répète l’ethnologue. Gilles Reckinger qui cite des cas où des migrants qui se trouvaient au large des côtes siciliennes ont été amenés à Lampedusa. Ce contrôle étatique serait également dû au lobbying exercé par d’autres îles, par exemple l’île de Pantelleria, où des personnes riches et propriétaires de villas sur l’île ne désireraient pas voir débarquer des réfugiés.

Lampedusa est stigmatisée

frontex-eurosur-source-frontexAinsi, Lampedusa se serait vu accoler une étiquette de terre de réfugiés et de catastrophes liées à la migration, par exemple celle du 3 octobre 2013, où plus de 300 migrants avaient perdu la vie. Lors de chaque catastrophe de ce type, les journalistes convergent afin de relater ce qui s’y produit, avec pour effet la création d’une peur par rapport à la migration aux frontières de l’UE. Pour Gilles Reckinger, il est important de contrebalancer "ces discours alarmistes".

"En réalité, il ne s’agit pas de la peur des migrants, ni d’une politique raciste d’extrême droite, mais il s’agit de faire de l’argent", affirme Gilles Reckinger. Il y a selon lui de très grands intérêts derrière la mise en place de techniques militaires très complexes aux frontières de l’UE.

Gilles Reckinger rapporte qu’au début, le centre d’accueil de Lampedusa prévoyait 90 places. Leur nombre s’est accru au fil du temps, mais ceux-ci ne disposaient pas de toilettes et de douches. L’ethnologue explique que ce n’est qu’après que le journaliste italien Fabrizio Gatti s’est infiltré dans le camp et a dénoncé l’état catastrophique de celui-ci qu’un nouveau centre d’accueil a été construit, qui dispose de 850 places. Il est caché au milieu de l’île, alors que le précédent se trouvait près de l’aéroport. "Il s’agit de produire des images médiatiques de bateaux remplis de migrants, puis ceux-ci sont embarqués dans des autobus, et sont acheminés vers le centre de l’île, sans que l’on sache ce qui s’y produit", décrit l’ethnologue.

Gilles Reckinger rapporte que le 24 janvier 2014, un incident s’est produit à Lampedusa qui a gêné l’Etat italien

Gilles Reckinger rapporte qu’en 2008, le ministre de l’Intérieur Roberto Maroni de l’époque et membre dirigeant du parti xénophobe et d’extrême droite Lega Nord a décidé de réexpédier les migrants directement vers l’Afrique, sans passer par la Sicile ou par la Péninsule italienne. Ainsi, les migrants restaient sur l’île jusqu’à ce qu’ils soient contraints de repartir vers l’Afrique. Mais, en attendant, de nouvelles vagues de migrants déferlaient sur l’île, et "le camp a fini par avoir deux fois plus de migrants qu’il n’y avait de places prévues". La situation du centre "était devenue catastrophique" au point que le 24 janvier 2014, les migrants se sont évadés du camp pour aller manifester dans le village "contre les conditions de rétention et pour leurs droits". "Et il s’y est produit quelque chose d’historique, à savoir que contrairement aux attentes du gouvernement italien, la population lampédusienne s’est montrée solidaire envers les migrants et s’est jointe aux manifestants", explique Gilles Reckinger. "Ils voulaient notamment montrer au monde qu’ils avaient bien compris que l’Europe menait une politique qui se faisait dans le dos non seulement des réfugiés, mais aussi des Lampédusiens eux-mêmes, car ils n’ont pas les mêmes droits civils que les autres citoyens italiens, par exemple le droit à l’éducation et le droit à l’eau", ajoute l’ethnologue luxembourgeois. Selon Gilles Reckinger, cette politique a en réalité servi les intérêts du nord de l’Italie et du nord de l’Europe.

La Lega Nord avait réagi en envoyant plusieurs policiers sur place, non pas pour freiner les migrants, mais "pour stopper les insulaires eux-mêmes qui s’étaient montrés trop gentils par rapport aux migrants", ce qui n’est pas au diapason avec l’opinion publique européenne, explique l’ethnologue. Du coup, ce sont les indigènes eux-mêmes qui se sentaient prisonniers sur leur propre île.

Le gouvernement Berlusconi avait également conclu un accord avec Kadhafi, notamment pour pouvoir faire des contrôles dans les eaux libyennes. In fine, à travers ces mesures, il n’y avait plus de réfugiés sur l’île, et les infrastructures d’accueil avaient été mises entre parenthèses. En attendant, d’une manière sporadique, des bateaux de migrants continuaient à arriver sur l’île, "mais ceux-ci n’étaient plus accueillis correctement". Dans ce contexte, de nombreux bateaux auraient coulé, et beaucoup de migrants auraient perdu la vie. "Pendant une nuit d’avril 2010, 300 personnes sont mortes, et cet événement a été peu relaté", révèle l’ethnologue. "Voilà pourquoi j’estime que le cas médiatisé d’octobre 2013 est hypocrite, car ce genre de catastrophes a lieu presque tous les jours sans qu’elles soient pour autant médiatisées", affirme-t-il. Gilles Reckinger estime qu’en octobre 2013, l’UE a saisi l’opportunité que présentait le naufrage afin de renforcer le système européen de surveillance des frontières extérieures (Eurosur). "Il s’agissait d’une mesure de sécurité, et non d’une mesure d’aide humanitaire", affirme l’ethnologue. L’Italie, à travers l’opération Mare Nostrum, serait venue en aide aux migrants non pas pour des raisons de valeurs, mais parce que la Cour européenne des droits de l’homme l’avait condamnée en 2012 après avoir prouvé que dans un cas, l’Italie avait repoussé des migrants dans les eaux internationales.

Les "arrières-portes" de l’’Europe forteresse’

 "De nos jours, tout semble différent sur l’île, mais en réalité, la situation est toujours la même", indique l’ethnologue. Pour Gilles Reckinger, l’île présente un tableau qui semble serein, mais derrière ses coulisses, de vraies tragédies se jouent, " et les conjonctures politiques ne reflètent pas ce qui s’y passe". La seule et véritable politique que l’UE met en œuvre consiste selon l’ethnologue en une stratégie du verrouillage. Cela renforce l’image d’une "Europe-forteresse", où "il y a de grands murs et un portail, souvent associé à Lampedusa, où les uns peuvent entrer et les autres pas". Mais "dans une forteresse, il y a non seulement un portail, mais il faut aussi plusieurs arrière-portes". Gilles Reckinger note en effet que 80 % des sans-papiers qui se trouvent en Europe ne sont pas passés par Lampedusa, mais sont arrivés en avion ou en train. Pour lui, l’arrivée massive de ces personnes est voulue, car elle sert selon lui les intérêts du capital en Europe, en alimentant le réservoir de main d’œuvre. L’ethnologue indique qu’il est actuellement en train d’enquêter sur cet aspect-là de la migration. "Il s’agit de découvrir ce qui se passe après Lampedusa", spécifie-t-il. Par exemple, il a lancé un projet de recherche sur les conditions de travail et de vie des récolteurs d'oranges en Calabre. Pour lui, les autorités "tiennent souvent un double discours, en disant d’un côté qu’il faut limiter l’immigration, mais d’un autre côté,  en favorisant son afflux". Les initiatives  à court-terme lancées par les acteurs politiques se limiteraient souvent à des "headlines" qui n’abordent pas les problèmes dans toutes leurs dimensions.

Frontex, un acteur "nébuleux"

Frontex est l'Agence européenne pour la surveillance des frontières extérieures de l’UEEn réponse à une question sur les actions menées par l’UE en Méditerranée, Gilles Reckinger indique que Mare Nostrum était une opération italienne, tandis que Triton est une opération européenne menée par Frontex. Pour lui, le problème avec Triton, c’est que son périmètre d’action est beaucoup plus restreint. "Elle est censée coordonner une coopération opérative sur les frontières extérieures de l’UE", souligne l’ethnologue. Selon lui, l’agence elle-même se considère comme un prestataire de services et un centre de recherche. "Le problème avec Frontex, c’est qu’elle prend les frontières comme des axiomes techniques, sans tenir compte du fait qu’une frontière, c’est quelque chose de fluide, de dynamique, en changement perpétuel, et lié à des catégories sociales". Un autre problème structurel est selon lui lié au fait que Frontex ne dispose pas de son propre personnel de frontières. L’agence se limite à les coordonner. Ainsi, son action serait "nébuleuse". "Souvent, l’avion en action peut provenir d’un pays, tandis que son équipage est issu d’un autre, et que l’action est commandée par encore un autre pays", relève Gille Reckinger. Par conséquent, en cas de catastrophe majeure, il serait difficile de nommer des coupables et d’attaquer Frontex, car le processus d’action ne serait pas transparent.