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Emploi et politique sociale - Transports
La plénière du Parlement européen a rejeté un acte délégué de la Commission européenne censé établir une liste des infractions aux règles de l'UE pour les opérateurs de transport, au motif qu’elle ne prend pas en compte le volet social
17-12-2014


Camions passant la frontière. source : Ministère du Développement durable et des InfrastructuresRéunis en plénière, les députés européens ont rejeté le 17 décembre 2014 la liste des infractions aux règles de l'UE pour les opérateurs de transport proposée par la Commission européenne, en adoptant une résolution de sa commission des transports. La résolution, qui a été votée le 2 décembre 2014 par la commission des transports, dénonce le fait que cette liste ne reprend pas le dumping social et la concurrence déloyale. 453 députés ont voté pour la résolution, 180 contre et 79 se sont abstenus.

La proposition d’une telle liste est prévue par le règlement 1071/2009, qui stipule que "la Commission établit une liste des catégories, types et niveaux de gravité des infractions graves aux règles communautaires qui (…) peuvent aboutir à une perte de l’honorabilité". Il s’agit d’un acte délégué, un acte juridique créé par le Traité de Lisbonne qui est traité en procédure dite "de comitologie". Le législateur délègue à la Commission le pouvoir d’adopter des actes modifiant les éléments non essentiels d’un acte législatif, par exemple pour préciser certains détails techniques. La commission compétente du Parlement européen peut indiquer ses objections dans une résolution motivée et demander à la Commission européenne de présenter un nouvel acte délégué, selon le règlement du Parlement européen. Or, il est plutôt rare que le Parlement européen rejette des actes délégués.

La résolution critique le fait que la liste "a omis de prévoir une liste complète des infractions graves", puisqu’elle "n'inclut pas les transports de cabotage illégaux qui, eu égard à leurs effets néfastes sur les chauffeurs, doivent sans conteste être assimilés à une infraction grave".  Pour mémoire, les dispositifs sur le cabotage, entrés en vigueur en mai 2010, prévoient qu’un transporteur non résident peut effectuer, à la suite d’un transport international, jusqu’à trois transports de cabotage successifs dans le pays d’accueil. Un cabotage est un transport national dont les points de chargement et de déchargement se trouvent dans un même Etat membre et qui est effectué par un transporteur établi dans un autre Etat membre.

Les auteurs de la résolution critiquent en outre que la liste "utilise en substance des expressions très générales tels que "conforme" ou "en cours de validité" et que cette manière de procéder rend encore plus difficile l'interprétation des types et des niveaux des infractions graves par les autorités compétentes". Ils demandent à la Commission européenne de retirer l’acte délégué et de soumettre au comité une nouvelle liste.

Pour la commissaire Violeta Bulc, le cabotage illégal ne peut pas faire partie de la classification

Le 15 décembre 2014, les députés européens ont présenté leurs objections, lors d’un débat avec la commissaire chargée des Transports, Violeta Bulc, qui a fait sa première apparition au Parlement européen depuis son audition. A part l’ALDE, tous les groupes ont marqué leur désaccord avec la proposition de la Commission.

La commissaire Violeta Bulc a rappelé que la Commission avait travaillé durant deux ans à l'élaboration de cette liste "équilibrée" d'infractions et qu'un rejet aurait des conséquences négatives (incertitudes juridiques, traitement inégal des chauffeurs et des opérateurs, absence d'échange de données). Au sujet des infractions de nature sociale, la commissaire s'est contentée de dire que le verre pouvait être vu à moitié vide ou à moitié plein. Elle a promis d’analyser en profondeur les arguments avancés par les députés. Elle a néanmoins tenu à clarifier que le cabotage illégal ne fait pas partie de cette classification, qui tient seulement compte des infractions susceptibles d'entraîner un risque de décès ou de blessures graves. Elle a souligné que le cabotage illégal "n’est pas lié à ces risques", mais qu’il s’agit d’une infraction grave dans le contexte de la compétitivité.

Dans la résolution, les députés avaient pourtant jugé les infractions graves définies dans le règlement "ont de lourdes conséquences sur les conditions de travail et de vie, ce qui ne peut que favoriser le risque de décès ou de blessures graves". Par conséquent, "les autres règles concernant le cabotage illégal, notamment celles concernant l'exécution des opérations de cabotage dans des conditions contraires à la législation sociale nationale applicable au contrat, devraient figurer sur la liste des infractions graves au regard du risque de décès ou de blessures graves qu'elles peuvent représenter".

Les arguments des députés

L’Allemand Markus Ferber (PPE) a souligné le droit du Parlement européen de rejeter la proposition et dénoncé un texte "trop vague", en jugeant que la directive n’a pas été transposée comme il fallait et que "la volonté du législateur n’a pas été respectée". La liste aurait dû clarifier et spécifier les infractions graves au lieu de laisser ce travail aux administrations nationales, a-t-il estimé.

"Le facteur humain est central dans notre combat pour rendre les routes plus sûres", a estimé le député luxembourgeois Georges Bach (PPE), ajoutant que "beaucoup d’accidents sont dus à un manque d’attention ou de réaction ce qui est souvent lié aux mauvaises conditions de travail". Il estime que la proposition n’apporte pas d’amélioration de la sécurité quant aux aspects sociaux et que la Commission a raté une "réelle opportunité" de "s’attaquer aux faiblesses de la mise en œuvre de la législation sociale et du travail communautaire" ainsi qu’au problème du dumping social. Il juge que la liste est "incomplète" et reste très vague et appelle la Commission à proposer rapidement une nouvelle liste en prenant en compte les arguments du Parlement européen, car "nous en avons besoin pour améliorer la sécurité routière".

Pour l’Allemand Ismail Ertug (S&D), la liste présentée par la Commission, qui est "un héritage de l’ancien commissaire Siim Kallas", est insuffisante, parce les salariés sont laissés pour compte, alors que le secteur logistique ferait des bénéfices de 900 milliards d’euros par an. Elle a demandé à la Commission d’étendre la liste à des sujets comme le dumping social, le cabotage illégal ou des entreprises "boites aux lettres".

Le Polonais Tomasz Piotr Poręba (ECR) a regretté que la proposition ne soit pas équilibrée puisqu’elle ne prend pas en compte le volet social. Il a souligné qu’il faut respecter tant les intérêts des employeurs et des employés. "Il faut avoir les moyens pour lutter contre cabotage illégal", a-t-il soutenu.

L’Allemande Gesine Meissner (ALDE) a pour sa part estimé que la proposition va dans la bonne direction en matière de condamnation des "brebis galeuses" dans le trafic transfrontalier et qu’elle assure une meilleure application aux Etats membres. " Je ne pense pas que c’est le bon moment pour le Parlement européen de montrer sa force", a-t-elle jugé.

Pour la Finlandaise Merja Kyllönen (GUE), la Commission a encore beaucoup de travail à faire. Elle a dénoncé des "comportements inacceptables" en Europe et appelé à améliorer la sécurité routière et conditions de travail des chauffeurs, tout en s’attaquant aux problèmes du cabotage illégal ou des permis de conduire falsifiés.

La Française Karima Delli (Verts) a estimé que la proposition de la Commission ne renforce pas l’harmonisation des droits des salariés, mais la fragilise davantage. Le texte qui "n’est pas à la hauteur" aurait dû mettre fin aux disparités actuelles, souligne-t-elle, alors "qu’une infraction peut aujourd’hui être considérée grave dans un pays et mineure dans un autre". Elle constate que le processus d’harmonisation des normes sociales et salariales des conducteurs routiers "n’a pas progressé au même rythme que la libéralisation des marchés" et que  conducteurs sont les premières victimes du dumping social et de la concurrence déloyale.

La proposition "n’est pas du tout adaptée et insuffisante", a pour sa part jugé l’Italienne Daniela Aiuto (EFDD). Le dumping social et le cabotage illégal auraient détruit le secteur en Italie, estime-t-elle, puisque les sociétés italiennes "sont contraintes d’entrer en concurrence avec entreprises de l’étranger qui profitent d’une législation plus avantageuse, avec des prix plus bas, puis font faillite."