S’il a fait jusqu’à présent l’objet de moins d’attention que d’autres accords commerciaux similaires, tel le Partenariat de commerce et d’investissement négocié entre l’UE et les USA (TTIP) ou le Canada (CETA), l’Accord sur le commerce des services (ACS ou TiSA, pour "Trade in Services Agreement" en anglais) négocié actuellement entre 23 membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont l’Union européenne, revêt une importance majeure pour l’UE. Cet accord, qui vise à libéraliser une large part du commerce des services, soulève également des questions au vu du vaste nombre de domaines qu’il pourrait concerner.
Dans ce contexte, l’ancienne commissaire européenne désormais députée au Parlement européen au sein du groupe PPE, Viviane Reding avait convié la presse, le 9 janvier 2015 à Luxembourg, afin d’évoquer ce projet, ses enjeux et ses conséquences positives potentielles. Membre de la commission parlementaire du Commerce international (INTA) et rapporteure sur le projet TiSA, elle a surtout mis en avant les lignes rouges que le Parlement européen devrait refuser de voir franchies, alors que l'institution aura à approuver l’accord.
Pour mémoire, la négociation de l’accord TiSA a été initiée par les USA et l’Australie en mars 2013, suite à l'impasse des négociations multilatérales du cycle de Doha à l’OMC pour ce qui est du commerce des services. Il est discuté par 23 membres de l'OMC qui représentent environ 68 % du commerce des services (Australie, Canada, Chili, Hong Kong (Chine), Colombie, Corée, Costa Rica, États-Unis d'Amérique, Islande, Israël, Japon, Liechtenstein, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Panama, Paraguay, Pérou, Suisse, Taipei chinois, Turquie et Union européenne). Aucun des grands pays émergents membres des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) n’en fait cependant partie. Si l'UE soutient le souhait de la Chine et l’Uruguay de prendre part aux négociations, les USA s’opposent à la candidature chinoise.
Son objectif est de libéraliser le commerce des services, c’est-à-dire accroître l’ouverture des marchés domestiques à la concurrence internationale et ainsi permettre aux fournisseurs d’un pays de proposer leurs services dans un autre. Le TiSA vise ainsi "à ouvrir les marchés et améliorer les règles dans des domaines tels que l’octroi de licences, les services financiers, les télécommunications, le commerce électronique, le transport maritime et les travailleurs qui se déplacent temporairement à l’étranger pour fournir des services", explique notamment la Commission européenne sur la page de son site dédiée à cet accord. Les discussions portent sur tous les domaines couverts par l’accord général sur le commerce des services de l’OMC (AGCS ou GATS en anglais), soit l'ensemble du secteur des services, sauf les droits de trafic aérien et les services fournis exclusivement par les gouvernements, tels que la justice, la police ou la défense.
Dans ce contexte, la Commission rappelle que l’UE "est le premier exportateur mondial de services: des dizaines de millions de personnes occupent un emploi dans le secteur des services dans l’ensemble de l’Europe" et le secteur compte pour près des trois-quarts du PIB de l’UE. "Les services représentent, en 2011, 28 % des exportations de l'Union européenne et plus de la moitié de ses investissements directs étrangers dans les pays tiers", retenait ainsi le Parlement européen dans sa résolution du 4 juillet 2013 relative à l’ouverture de ces négociations, autorisée par le Conseil en mars 2013. Dès lors, "l’ouverture des marchés des services renforcera la croissance et l’emploi", estime encore la Commission qui poursuit : "En outre, en laissant les entreprises de pays tiers offrir leurs services dans l’UE, les entreprises et les consommateurs auront plus de choix et les prix baisseront".
Enfin, le TiSA est fondé sur l’accord général de l’OMC sur le commerce des services (GATS), auquel participent tous les membres de l’OMC. L’objectif est ainsi de rallier davantage de membres de l’OMC car, si un nombre suffisant y participe (représentant au total 90 % du commerce mondial des services), l’accord pourrait être étendu à l'ensemble de l’OMC et ses avantages pourraient profiter également aux pays qui n'y participent pas actuellement, justifie encore la Commission européenne.
Selon Viviane Reding, cet accord pourrait revêtir une grande importance pour l’UE et le Luxembourg, notamment en raison du caractère "dépassé" des règles issues du précédent accord sur les services, le GATS qui ne sont d’ailleurs "respectées que par peu de ses signataires", avance-t-elle. "Si l’accord fonctionne relativement bien dans l’UE et aux USA, d’autres pays ferment les portes de leurs marchés", explique la députée européenne chrétienne-sociale, qui note que si les coûts non-tarifaires dont les entreprises étrangères doivent s’acquitter pour avoir accès au marché européen sont d’environ 6 %, ils sont de 15 % pour les entreprises européennes voulant accéder au marché canadien, et de 68 % pour l’accès au marché chinois. Ces barrières en termes de réciprocité pourraient être abolies par un nouvel accord.
Il s’agirait cependant d’éviter de répéter certaines erreurs, estime la députée. Alors que comme pour chaque accord commercial négocié par l’UE depuis le traité de Lisbonne, le Parlement européen devra marquer son approbation, Viviane Reding dit espérer ne pas assister à "un nouvel ACTA", qui avait vu le Parlement européen rejeter en 2012 un accord international particulièrement contesté au sein de la société civile. Dans ce contexte, alors que la négociation du TTIP avec les USA fait également l’objet de polémiques pour son manque de transparence, entre autres, la députée se félicite d’une "relative transparence" adoptée par la Commission depuis 2014 dans le cadre de ses négociations commerciales.
Les négociations sur TiSA ne sont pas publiques et les documents concernés ne sont disponibles que pour les seuls participants, a rappelé Viviane Reding, qui note que l’équipe de négociateurs de la Commission informe régulièrement le Conseil et le Parlement européen. Les députés de la commission INTA sont ainsi informés en amont et en aval de chaque tour de négociation, de l’avancée des discussions. La commission INTA a mis en place dans cet objectif des "groupes de suivi" qui rassemblent des députés de toutes les formations représentées au Parlement européen "au sein desquels les députés influencent les discussions" ce qui doit permettre d’éviter de faire face à un choix binaire "à prendre ou à laisser", a encore expliqué Viviane Reding qui préside le groupe mis en place en septembre 2014 relativement à l’accord TiSA.
L’ancienne commissaire européenne a par ailleurs détaillé les principes que le Parlement européen souhaite voir respectés dans cet accord, de même que les "lignes rouges" que les eurodéputés n’accepteront pas de voir franchir.
Il s’agit notamment que l’accord garantisse une véritable réciprocité entre ses parties. "Ce doit être une situation gagnant-gagnant, on ne peut pas être concurrencés sur nos marchés sans avoir accès aux autres marchés, il y a un équilibre à restaurer", dit-elle. Par ailleurs, les standards européens ne devront pas être affaiblis, les nombreuses réformes ayant régulé des secteurs comme les services financiers ou les télécoms devant, au contraire, "être exportées", et la députée d’insister encore tout particulièrement sur la protection des consommateurs. Viviane Reding souligne également que pour que l’accord soit un succès, il devrait inclure les grandes entités mondiales. La députée estime "anormal" que la Chine en soit exclue. Mais surtout, l’accord devra être respecté par l’ensemble de ses signataires, ce qui nécessiterait la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends entre les Etats parties.
Concernant les lignes rouges qui pousseraient le Parlement européen à mettre son véto sur l’accord, la députée européenne compte cinq éléments dont les députés ne veulent pas :
Sur ce dernier élément, Viviane Reding a rappelé que la proposition des autorités américaines datée d'avril 2014 qui avait fuité sur les sites d'Associated Whistleblower Press ainsi que de Netzpolitik et selon laquelle l’accord mettrait en cause le niveau de protection des données dans l’UE n’était pas acceptable. "C’est ce que veulent les USA, mais je m’y oppose et le Parlement européen aussi", dit-elle.
Enfin, la députée européenne chrétienne-sociale s’est dite d’avis qu’il valait mieux conclure "un accord petit et bon qu’un accord trop large et plein de trous", et que dès lors, "il y a[vait] des choses à sortir" des discussions. "Le Parlement européen doit être écouté, il est prêt au compromis, mais pas à abandonner ses principes", a-t-elle conclu.
Pour mémoire, les négociations de ce nouvel accord sur la libéralisation des services suscitent des inquiétudes, notamment au Luxembourg. Ainsi la Confédération générale de la fonction publique (CGFP), principal syndicat de la fonction publique, a-t-il déjà fait part de ses craintes en août 2014 quant aux conséquences d’une accélération de la libéralisation des services publics.
Le Parlement européen, pour sa part, tout en soulignant l'intérêt potentiel d'un tel accord dans sa résolution relative à l’ouverture des négociations adoptée en juillet 2013, priait néanmoins la Commission de "défendre les sensibilités européennes en ce qui concerne les services publics et les services d'intérêt général (au sens des traités de l'UE), dans les domaines de l'éducation publique, de la santé publique, de l'approvisionnement en eau et de la gestion des déchets, et continuer, comme c'est le cas au titre de l'AGCS et des Accords de libre-échange bilatéraux, à ne prendre aucun engagement en ce qui concerne les services audiovisuels et culturels".
De son côté, le gouvernement luxembourgeois, en réponse à une question parlementaire en octobre 2014, avait confirmé son soutien à la conclusion d'un accord plurilatéral sur le commerce des services (TiSA) car, selon lui, il ne contraindrait en rien les Etats membres à privatiser leurs services publics.