Réunis en plénière, les eurodéputés ont approuvé l’accord informel permettant aux Etats membres de restreindre ou d’interdire les OGM sur leur territoire. L’accord, trouvé en trilogue dans nuit du 3 décembre 2014, a été approuvé par 480 voix pour (dont Georges Bach, Frank Engel Viviane Reding (tous L, PPE) et Charles Goerens (L, ALDE), 159 voix contre et 58 abstentions, (dont Mady Delvaux (L, S&D) et Claude Turmes (L, Verts), "rebelles" à leur groupe), rapporte un communiqué de presse du Parlement européen. De manière générale, l’accord prévoit que les Etats membres peuvent interdire la culture d’OGM ou un groupe d’OGM sur leur territoire même en cas de feu vert de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Les Etats membres ne seront pas obligés de négocier avec les fabricants des OGM, comme l’avait exigé le Conseil. Ils pourront interdire les OGM en invoquant pour motifs des objectifs de politique environnementale.
En juin 2014, les Etats membres avaient trouvé un accord politique lors d’un Conseil Environnement sur la "culture à la carte" des OGM dans l’UE, un projet de directive de la Commission datant de 2010 pour "faciliter" l’interdiction par les Etats membres d’OGM déjà autorisés au niveau européen ("opt-out"). Cette proposition de révision de la directive 2001/18/CE visait à garantir une sécurité juridique aux Etats membres qui veulent interdire les OGM.
L’accord du Conseil prévoyait une négociation obligatoire des Etats membres avec les entreprises qui veulent cultiver des OGM lors de la procédure d’autorisation. Le Conseil avait ainsi introduit une première phase de négociation avant que ne puisse être appliquée la procédure "unique à l'origine", celle visant les motifs juridiques que peut invoquer un État membre pour interdire la culture d'OGM, cette phase devenant alors la "phase 2".
Cette "première phase" (de négociation obligatoire) a finalement été rejetée par les eurodéputés de la commission de l’environnement le 11 novembre 2014 qui déploraient que cette procédure "instaure de nouvelles obligations auxquelles seront soumises les autorités nationales". Dans leur position, les eurodéputés ont rendu optionnelle cette première phase.
Dans la nuit du 4 décembre, Parlement européen, Conseil et Commission européen ont finalement dégagé un accord informel en trilogue, qui prend en compte les soucis de la commission ENVI. Autrement dit, les Etats membres pourront soit exiger de l'entreprise qui a sollicité une autorisation de mise en culture d'un OGM qu'elle les exclue du champ géographique de l'autorisation (phase 1), soit interdire ou limiter la culture sans formuler de requête préalable à l'entreprise de biotechnologie (phase 2).
Le Parlement européen a ainsi obtenu la levée de la conditionnalité entre phase 1 et 2, s’est félicitée Frédérique Ries (ALDE), rapporteure sur le dossier. "L’Etat membre a donc deux jokers au lieu d’un pour restreindre la culture d’OGM sur son territoire. Il peut négocier avec l’entreprise semencière, mais il n’est plus obligé de le faire, et il a désormais 10 ans et non deux, c’est essentiel, pour s’opposer à la culture des OGM sur son territoire et activer la phase 2 sur la base d’une liste ouverte de motifs", a-t-elle expliqué.
Quant à la première phase, elle a déclaré : "Le Parlement européen a grosso modo accepté la position du Conseil, face à une absence totale de marge de manœuvre des Etats membres". Frédérique Ries s’est toutefois félicitée des "avancées réelles" par rapport à la position du Conseil de juin 2014. "Les citoyens nous demandent de donner aux Etats membres les moyens de respecter leur choix légitime, avec cette législation nous les entendons", a-t-elle conclu.
Après le vote, la rapporteure s’est félicitée du résultat, tout en dénonçant ceux qui ont voté contre l’accord. "En réalité, tous ceux qui ont voté contre cet accord aujourd'hui, ont voté pour le statu quo, ce qui n'est tout simplement pas crédible". Elle a ajouté : "Dans la situation actuelle, les États ou les régions sont obligés de recourir à la justice s'ils veulent limiter ou interdire la culture d'OGM, c'est inacceptable."
Les Etats membres pourraient interdire les OGM en invoquant pour motifs des objectifs de politique environnementale, mais pas des motifs relevant de la compétence de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), précise le Parlement européen. Cela veut dire qu’un Etat membre qui veut un opt-out doit invoquer des raisons qui ne doivent pas être en conflit avec l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux réalisée par l'EFSA. Les Etats membres pourront invoquer des raisons socio-économiques, environnementales, de politique publique ou liées à l'utilisation des terres agricoles ou à l’aménagement urbain.
Selon l’accord, les interdictions pourraient également s'appliquer à des groupes d'OGM déterminés par culture ou caractéristique. Selon Frédérique Ries, le Conseil a "fini par plier" en acceptant cette extension des interdictions.
Les États membres autorisant des OGM devraient par ailleurs garantir que les cultures d'OGM ne contaminent pas d'autres produits et veiller à éviter toute contamination transfrontalière, en établissant par exemple des "zones tampons" avec les pays voisins. "Les deux co-législateurs ont fait des concessions, mais c’est tout de même la version du Parlement qui l’emporte", a jugé Frédérique Ries.
La base juridique "Marché intérieur" (article 114 TFUE) proposée par la Commission et par le Conseil a été maintenue, contrairement au souhait du Parlement européen de donner à ce texte l’article 192 (Environnement) comme base juridique.
Le commissaire en charge de la Santé et de la sécurité alimentaire, Vytenis Andriukaitis, a salué le vote du Parlement européen. Il estime que l’accord est "un pas en avant" pour donner aux Etats membres des moyens d’interdire sur leur territoire des OGM autorisés au niveau européen sur la base d’autres motifs que ceux liés aux risques relatifs à la santé et à l'environnement (relevant de la compétence de l’EFSA). "Cela va permettre aux États membres de prendre leurs décisions à partir du printemps 2015", a-t-il souligné.
Le groupe PPE a également salué le vote. La décision d’autoriser des OGM, une question "sensible et controversée" doit être laissée aux Etats membres, estime-t-il dans un communiqué. "Il s’agit d’une avancée historique. Après trois ans d’impasse, on a finalement trouvé une solution viable", s’est félicitée Elisabeth Köstinger, qui a participé aux négociations pour le groupe PPE. Elle a ajouté que le but principal était d’empêcher que les Etats membres soient amenés devant la justice par les fabricants d’OGM. "Les demandes exagérées des Verts ont été stoppées. Enfin on sait où on va. Les Etats membres, les régions, les citoyens, les paysans et l’industrie ont finalement une certitude juridique", a jugé Peter Liese, porte-parole du groupe PPE au sein de la commission ENVI. Le nouveau cadre "permet tout de même d'instaurer enfin de la stabilité juridique pour toutes les parties concernées", a jugé Angélique Delahaye. Mais "ce n'est qu'une première étape qui doit permettre de trouver à moyen terme une solution européenne", nécessaire "pour éviter les distorsions de concurrence entre agriculteurs européens", a-t-elle jugé.
Le groupe S&D a salué le vote d’une directive "plus restrictive, tout en regrettant le choix de la base juridique "marché intérieur" au dépend du prisme "environnement" défendu par le Parlement européen. Les Socialistes et Démocrates auraient également souhaité la mise en place d’un fonds d’indemnisation destiné aux agriculteurs en cas de contamination transfrontalière des cultures traditionnelles par les cultures OGM, rapporte le communiqué. "Même s'il y a des intérêts commerciaux en jeu, nos principales préoccupations sont la santé et la sécurité des citoyens européens et d'avoir des règles transparentes. C'est pourquoi le principe de précaution doit être appliqué", a déclaré Matthias Groote, porte-parole du groupe pour l’environnement et la santé. "C’était une négociation très dure, mais nous sommes parvenus à garantir la protection des consommateurs et la sécurité des agriculteurs", a jugé Gilles Pargneaux, responsable du dossier. Il s’est félicité du fait que la Commission européenne s'est engagée à réviser et à renforcer les règles de l’évaluation des risques menée par l’EFSA d'ici deux ans. Marc Tarabella s'est félicité que "les lobbies pro-OGM, menés par plusieurs multinationales et la Grande-Bretagne n'ont finalement pas eu gain de cause". "Une recherche publique et neutre est indispensable" pour faire avancer le débat, a-t-il relevé.
Julie Girling (CRE) a déploré que le texte prévoie "l'autorisation de groupes d'OGM au lieu d'une évaluation au cas par cas", et "sape l'évaluation scientifique".
Les Verts ont jugé pour leur part que l’UE "abdique" au profit des multinationales. "Avec cette procédure de renationalisation des autorisations des OGM, l'Union européenne jette l'éponge pour laisser aux Etats la possibilité théorique de négocier directement avec les compagnies leur opposition à l'introduction d'OGM sur leur territoire. La Commission européenne renonce par-là à ses fonctions de défense de l'intérêt général et lui préfère une Europe des OGM à la carte", a déclaré José Bové, cité dans un communiqué, en jugeant que la nouvelle procédure "institutionnalise le rôle des multinationales". Il estime "qu’aucune garantie juridique n'est donnée aux Etats récalcitrants dont la décision souveraine déplairait aux compagnies qui entameraient alors une procédure devant un tribunal arbitral ou devant l'OMC". Bart Staes et Rebecca Harms ont déploré en outre une renationalisation des autorisations. "Nous avons besoin plus que jamais d'une approche commune", ont-ils souligné.
Pour l’eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes, qui s’est abstenu alors que son groupe a voté contre le texte, l’accord sur la nouvelle directive rendra plus difficile la lutte pour une Europe sans OGM puisque les Etats membres ne "s’opposeront" plus à une autorisation d’une culture OGM au niveau européen. Dans un communiqué, Claude Turmes met en garde contre un "patchwork" des OGM en Europa qui servira avant tout les multinationales de l’agro-technologique. Il se félicite du fait que les Etats membres peuvent invoquer des motifs de politique environnementale pour interdire les OGM et des mesures de coexistence qui "garantiront la protection de l’agriculture luxembourgeoise" des cultures OGM dans des Etats membres voisins. "Le pire a pu être évité", estime-t-il, insistant sur le rôle des Verts et de la ministre luxembourgeoise Carole Dieschbourg. Il a néanmoins appelé le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, à entamer une "réforme urgente" des processus d’autorisation des OGM au niveau européen, en critiquant le fait que "la Commission européenne peut autoriser des OGM même sans la majorité nécessaire au Conseil".
Le groupe GUE/NGL a déclaré avoir voté contre l’accord, en jugeant qu’il n’est pas sans faille juridique. Lynn Boylan a critiqué des "lacunes juridiques" permettant aux compagnies biotechnologiques d’amener des Etats membres devant la justice. Selon elle, "la première lecture du Parlement était excellente", mais l'accord trouvé n'est pas acceptable, notamment parce que "le Conseil a introduit un système qui place sur le même pied un État membre souverain et une entreprise de biotechnologie". Kateřina Konečná s’est dite profondément déçue, tout en accusant des groupes de lobbying qui auraient financé la plupart des études d’impact sur les OGM.
L'industrie OGM a déploré que le droit ait été laissé aux États de dire non "sur des bases non-scientifiques". "C'est un signal d'arrêt à l'innovation européenne", a affirmé Jeff Rowe, un représentant d'EuropaBio.
Le gouvernement luxembourgeois a tenu à préciser dans un communiqué que la nouvelle directive "n’affectera pas la position très critique du gouvernement face à la dissémination des OGM : la culture des OGM restera interdite au Luxembourg". Le gouvernement rappelle que le Luxembourg s’est "activement impliqué afin que soient élargis les motifs d’interdiction des OGM et qu’il soit veillé à un maximum de garanties au niveau des mesures de coexistence entre les cultures OGM et non-OGM". Il se félicite du fait que "la directive donne à pays la possibilité d’interdire la culture d’un OGM ou d’un groupe d’OGM sur son territoire, sans devoir négocier avec les fabricants de ces OGM" et que les motifs d’interdiction peuvent inclure "des considérations d’ordre socioéconomique et écologique". "Ainsi, le champ d’action du Luxembourg dans le cadre des procédures d’interdiction de culture d’un OGM sera sensiblement étendu", explique le gouvernement. Les mesures de coexistence obligatoires sont qualifiées "d’une importance cruciale pour un pays exposé comme le Luxembourg" parce qu’elles garantissent que "des cultures OGM et non-OGM peuvent être avoisinantes sans risque de contamination".
Ces nouvelles règles étaient attendues par l'industrie semencière, alors que quatre maïs OGM, dont les emblématiques MON810 de Monsanto et TC1507 du groupe Pioneer, ont déjà reçu un avis favorable de l'EFSA. Les premières cultures ne devraient concerner que quelques pays. Le MON810, seul OGM actuellement autorisé dans l'UE, est cultivé dans trois États: 110 000 hectares en Espagne, 9 000 au Portugal et 3 000 en République tchèque. Dix-neuf États se sont opposés à la demande de culture du TC1507.