Le TTIP devrait inclure les services financiers et établir un mécanisme de coopération réglementaire sur ces services, ont plaidé plusieurs organisations professionnelles du secteur des services, des services bancaires et des assurances issues à l’occasion de la reprise des négociations sur le Partenariat transatlantique du commerce et d’investissement (TTIP) du 2 au 6 février 2015.
L’Association des Banques et Banquiers au Luxembourg (ABBL), contactée par Europaforum.lu, a pour sa part émis une certaine "réserve" à ce sujet. Elle estime que les exigences règlementaires sont beaucoup plus élevées dans l’UE qu’aux Etats-Unis, notamment en ce qui concerne les exigences prudentielles. Les Etats-Unis sont pour leur part opposés à une intégration des services financiers, ce qui a amené l’UE à ne pas inclure cet aspect dans les négociations "à ce stade".
Dans une déclaration commune datée du 30 janvier 2015, une dizaine d’associations représentant le secteur estiment que "prendre en compte les services financiers de manière holistique dans le TTIP accroîtrait l'efficacité des marchés financiers transatlantiques, faciliterait le commerce et l'investissement et réduirait les coûts pour les acteurs du marché". Les signataires, parmi lesquels les associations Insurance Europe ou l’organisation patronale européenne BusinessEurope, soulignent que l'UE et les États-Unis "sont les principaux marchés financiers mondiaux et sont reliés avec un degré d'interdépendance mutuelle profonde et de longue date" et que "ces résultats bénéficieraient aux consommateurs, aux investisseurs et à la société de l'UE et des États-Unis dans leur ensemble".
D’autres signataires sont la Fédération bancaire européenne, la Chambre de Commerce américaine, le Forum européen des services, la Coalition des industries de services ou encore l’Association des marchés financiers en Europe (AFME). "Le TTIP doit traiter des divergences réglementaires qui créent des obstacles aux échanges et à l'investissement à tous les niveaux. En outre, il devrait inclure un chapitre ambitieux sur la coopération réglementaire financière entre les deux juridictions, sans discriminer les pays tiers bien réglementés", conclut le communiqué.
L’ABBL, qui s’était déjà montré "sceptique" sur le sujet lors de l’audition publique qui s’est tenue à la Chambre en juillet dernier, a émis une certaine "réserve" à l’intégration des services financiers dans le TTIP. "On pourrait l’inclure dans le TTIP, mais pas à n’importe quelle condition", a déclaré Catherine Bourin, membre du comité de direction de l’ABBL, contactée par Europaforum.lu. "Il n’y a pas le même niveau en matière d’exigences règlementaires dans l’UE et aux Etats-Unis", a-t-elle souligné. Elle estime que les normes européennes resteront telles qu’elles sont et les Etats-Unis devraient donc "s’aligner" sur ces normes. Ce qu’elle juge peu probable puisque les exigences réglementaires sont une "source de coûts" élevés auxquels le Luxembourg et les banques "font face". La mise en conformité avec les nouvelles réglementations avait été chiffrée par l’ABBL à un 1 % du PIB luxembourgeois, selon une étude publiée en octobre 2014. Cela pourrait poser un "problème de concurrence" par rapport aux banques américaines qui ont beaucoup moins de coûts relatifs à la mise en application des règles, précise Catherine Bourin.
L’experte a donné plusieurs exemples comme la directive CRD IV sur les exigences de fonds propres des établissements financiers. "On n’est pas au même niveau, les exigences prudentielles sont plus élevées en Europe". Aux Etats-Unis, ces exigences s’appliqueraient "seulement aux grandes banques", tandis que dans l’UE, elles s’appliquent "à toutes les banques".
Elle a également évoqué les normes comptables (IFRS) qui imposent aux entreprises de valoriser leurs actifs au prix du marché et non sur la base du prix d'achat comme par le passé. Selon Catherine Bourin, il s’agit d’un "modèle international qui est appliqué par une centaine de juridictions, mais les Etats-Unis restent sur leur propre modèle". En matière d’anti-blanchiment, elle a évoqué les recommandations émises en février 2012 par le groupe d'action financière internationale (GAFI), estimant que "le Luxembourg est allé plus loin dans la pratique", alors que les Etats-Unis "n’en sont pas là non plus".
Pour Antoine Kremer, conseiller pour les Affaires européennes à l’ABBL, le volet économique joue également un rôle important à côté du volet réglementaire. Il a insisté sur le fait que le marché des Etats-Unis est beaucoup plus "intégré" et "saturé" que celui de l’UE où des "barrières législatives" subsistent. "Vu qu’aux Etats-Unis, il n’y a pas de retraite obligatoire, il y a beaucoup plus de personnes privées qui investissent dans des fonds", explique-t-il. Il a également insisté sur les coûts, en donnant l’exemple de prospectus pour des fonds d’investissements qui doivent être traduits dans toutes les langues européennes. "L’UE a une monnaie unique, l’euro, mais seulement dans 18 Etats membres. Et Londres, l’un des centres les plus importants au monde, n’en fait pas partie", a-t-il déploré, tout en soulignant la nécessité de créer une union des marchés des capitaux – fonction dont est chargée le commissaire britannique Jonathan Hill.
Quant à la réticence des autorités américaines d’intégrer les services financiers dans le TTIP, Antoine Kremer estime que celles-ci ne "veulent pas se soumettre" à de nouvelles législations et mettre en jeu leur indépendance. L’industrie américaine des services financiers, qui souhaite s’approprier de nouveaux marchés, est pour cette intégration, souligne-t-il, vu la saturation du marché américain.
Une note explicative confidentielle sur la "proposition initiale" destinée aux Etats membres qui avait fuité et dont fait état un article d’Euractiv du 17 juin 2014 confirme bien que les Etats-Unis sont opposés à un mécanisme de coopération règlementaire dans le TTIP. Selon ce document, "l’opposition ferme" des Etats-Unis à ce mécanisme est la raison pour laquelle l’Union européenne a jugé "inopportun" le fait d’inclure des engagements relatifs aux services financiers dans les négociations à ce stade, sans pour autant exclure une intégration "ultérieurement". "La situation pourrait changer dans le futur si les Etats-Unis montrent leur volonté de s’engager fermement dans une coopération règlementaire", ajoute la note.
Selon Euractiv, l’intégration des services financiers est un "un point de désaccord majeur entre les États-Unis et l'UE". En juillet 2014, l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’UE a par ailleurs réitéré l’opposition des Etats-Unis dans une interview à Euractiv, en insistant sur les "sensibilités" de chaque côté. "Nous ne voyons pas la nécessité d'intégrer les services financiers" dans le TTIP, avait-il déjà déclaré lors d’une entrevue en mai 2014 avec l’ancien commissaire européen du Commerce, Karel de Gucht, en marge du Sommet européen des affaires (European Business Summit), en ajoutant : "Le Trésor américain a été très clair à ce sujet : à franchement parler, je ne pense pas qu'ils changeront leur position.". Karel de Gucht avait pour sa part estimé que "les services financiers devraient faire partie" du TTIP, rapporte Euractiv.
Dans une réponse, datée du 15 septembre 2014, à une question parlementaire de l’eurodéputé Marc Tarabella (S&D), Karel de Gucht confirme cette position au nom de la Commission européenne. Elle y considérait que "les services financiers devraient être inclus dans les négociations concernant le TTIP" parce qu’elle est d'avis que les questions réglementaires et l'accès au marché dans le domaine des services financiers sont étroitement liés et que ces deux éléments devraient entrer dans le champ des négociations.
Le 8e round des négociations sera consacré entre autres à la convergence réglementaire sectorielle, notamment dans les secteurs de l’automobile, du textile, de l’énergie, ainsi que de l’industrie pharmaceutique, cosmétique et des pesticides et des dispositifs médicaux. Sur le volet "accès au marché", des discussions approfondies sont attendues concernant les tarifs et l'accès au marché des services sur la base des offres déjà sur la table, et l'accès aux marchés publics, rapporte l’Agence Europe.
Le septième round a eu lieu du 29 septembre au 3 octobre 2014, encore sous l’ancienne Commission européenne. La (nouvelle) Commission européenne, en fonction depuis novembre 2014, avait publié dans un souci de transparence début janvier une série de textes juridiques relatifs aux négociations, notamment concernant les sujets mentionnés ci-dessus.