Le 18 mars 2015, la Chambre des députés a adopté à l'unanimité le projet de loi 6696 qui vise l’approbation de l’Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, signé à Bruxelles le 19 février 2013. Ce traité vise à mettre en place une juridiction unifiée du brevet (JUB ou UPC selon le nom en anglais "Unified Patent Court") pour le règlement des litiges liés aux brevets européens classiques et aux brevets européens à effet unitaire. Le Luxembourg va accueillir la Cour d’appel et le greffe compétents en matière de brevets.
L’Accord relatif à une juridiction du brevet (JUB) fait partie d’un paquet législatif de trois textes visant à mettre sur pied un brevet d’invention européen à effet unitaire. Les deux autres textes de cet ensemble sont les règlements communautaires n° 1257/2012 et n° 1260/2012, du 17 décembre 2012, mettant en œuvre une coopération renforcée dans les domaines respectifs de la création d’un brevet européen à effet unitaire et des modalités de traduction de ces brevets. Les deux règlements sont entrés en vigueur le 20 janvier 2013, mais ne produiront leurs effets que lorsque l’accord sur la JUB entrera en vigueur.
"Ce projet de loi est à mettre en relation avec les efforts continus de l’UE pour créer un brevet unitaire qui doit être créé à côté du brevet classique, sur base de la convention de Munich sur le brevet européen de 1973", a commenté la rapportrice Claudia Dall’Agnol (LSAP) en présentant le projet de loi. La députée socialiste explique que la mise en place du brevet européen à effet unitaire a pour objectif "de créer un brevet qui n’a pas les inconvénients du brevet européen classique" qui "ne correspond en fin de compte qu’à un ensemble de brevets nationaux", a-t-elle encore expliqué. Ce dernier pourra néanmoins encore être demandé auprès de l’Office européen des brevets.
Claudia Dall’Agnol rappelle ensuite qu’un autre objectif de la création d’un brevet européen, c’est de réduire les coûts, car "la procédure est chère, notamment à cause des traductions coûteuses, et dans le cas où il y aurait une violation dans certains pays, il faudrait adopter des mesures juridiques dans tous les pays concernés".
La rapportrice indique que les travaux pour modifier le brevet communautaire afin d’en limiter les inconvénients sont en cours depuis des décennies. "Un des problèmes centraux des négociations concernait la question des traductions et des frais qui y étaient liés", a-t-elle rappelé. "Ce fut notamment le cas pour le projet de règlement sur le régime linguistique de 2010 que l’Espagne et l’Italie n’ont pas accepté", alors que dans cette question, "l’unanimité au Conseil est exigée", souligne Claudia Dall’Agnol pour expliquer le blocage de la situation.
Pour mémoire, le 10 novembre 2010, les gouvernements de l'UE avaient échoué à se mettre d'accord sur la création d'un brevet commun aux 27 pays. Lors d'une réunion extraordinaire des ministres européens de l'Industrie et de la Recherche à Bruxelles, l'Espagne et l'Italie avaient rejeté une proposition de compromis limitant le nombre de traductions nécessaires dans l'UE pour permettre à un brevet d'être valable sur l'ensemble du territoire de l'Union.
"C’est pourquoi il a été décidé en 2011 de se servir du mécanisme de la coopération renforcée", indique la députée socialiste. Pour mémoire, dix pays, dont le Luxembourg, avaient demandé en décembre 2010 la mise en place d’une coopération renforcée. La Commission avait présenté aussitôt une proposition législative et suite à l’approbation du Parlement européen, le Conseil a autorisé en mars 2011, une coopération renforcée en vue de créer une protection par brevet unitaire entre 25 États membres, l'Espagne et l'Italie ayant refusé d’y participer. "C’est ainsi que les deux règlements européens concernés, un sur le brevet, qui a été finalement nommé brevet européen à effet unitaire, et un autre sur les modalités de traduction, sont entrés en vigueur en janvier 2013, mais ils ne produiront leurs effets que lorsque l’accord sur la JUB entrera en vigueur", explique Claudia Dall’Agnol.
A noter qu’au cours du débat à la Chambre, le député Fernand Kartheiser (ADR) a émis des doutes quant à l’opportunité du mécanisme de la coopération renforcée. Il s’est notamment demandé si celle-ci "ne constitue pas un détournement de l’idée initiale de la coopération renforcée" et "si c’est dans l’intérêt d’un pays comme le Luxembourg d’admettre une coopération renforcée pour contourner le régime linguistique valable dans l’UE". Une telle coopération a été lancée "pour contourner des exigences de l’UE, car sans cette insistance de l’Espagne et de l’Italie qui me semble légitime, il n’aurait pas fallu avoir recours dans une coopération renforcée dans cette matière", a expliqué le diplomate.
Pour Claudia Dall’Agnol, "si nous avons un brevet à effet unitaire qui est d’application dans 25 Etats, il faut une juridiction unique", afin que "des violations contre un brevet puissent être traitées dans une seule procédure judiciaire", et que "les décisions d’une juridiction soient directement d’application dans tous les pays concernés". Cette juridiction sera compétente pour les litiges qui concernent le brevet européen à effet unitaire, tout comme pour les brevets européens dit classiques. La juridiction unifiée du brevet comprendra un tribunal de première instance, ainsi qu’une cour d’appel et un greffe qui auront leur siège au Luxembourg.
La première instance de la juridiction consistera en une division centrale et des divisions locales et régionales, "ces deux dernières catégories étant mises sur pied par les Etats ou groupes d’Etats qui le souhaitent", a rappelé Claudia Dall’Agnol. Selon l’accord trouvé, après maintes discussions, lors du Conseil Compétitivité de décembre 2012, l’activité de la division centrale a été répartie entre trois localités : son siège sera à Paris, des sections seront créées à Londres et à Munich. La députée socialiste a précisé que "les divisions locales ou régionales sont créées sur demande des Etats". Le Luxembourg n’a pas l’intention de créer une division locale, car "ici, il n’y a pratiquement aucun litige en relation avec les brevets", a-t-elle relevé. Ainsi, pour le Luxembourg, "la division centrale sera donc compétente en première instance", a-t-elle indiqué.
La juridiction fait en outre partie du système juridique des Etats et de celui de l’UE, "même si elle est créée par un accord international", a indiqué Claudia Dall’Agnol. Ainsi, elle a "l’obligation d’appliquer et de respecter le droit de l’UE" et "doit coopérer avec la Cour de Justice en appliquant la jurisprudence de celle-ci, et, si nécessaire, en la saisissant par des questions préjudicielles", a-t-elle expliqué.
"Dès le début de ces négociations, notre gouvernement s’était engagé pour que la Cour d’appel et le greffe aient leur siège au Luxembourg", a indiqué Claudia Dall’Agnol. Pour la rapportrice, le fait que le Luxembourg accueille la Cour d’appel et le greffe compétents en matière de brevets "est une bonne chose pour le Luxembourg en tant que siège de juridictions européennes et internationales". "Des postes de travails seront créés, et nous nous attendons à ce qu’une série d’avocats et de conseillers viennent s’établir au Luxembourg", s’est-elle félicitée.
Au cours du court débat qui a suivi la présentation du projet de loi, le ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, a souligné que "tout ce qui est bon pour le siège de Luxembourg est aussi bon pour le Luxembourg".
Le député libéral Gusty Graas (DP) s’est également félicité du fait que le Luxembourg va accueillir la Cour d’appel et le greffe de la JUB, en indiquant que ceci constitue "un atout pour l’image de marque de notre pays". Le député de l’ADR Fernand Kartheiser a partagé ce constat, mais a critiqué le fait qu’une révision du Traité puisse être faite par trois quarts des votes du comité administratif, sachant que "cette clause de révision concerne aussi l’article 87 relatif au siège". Ainsi, selon lui "une révision est possible aussi contre le vote du Luxembourg". A ses yeux, pour cet article, "il aurait plutôt fallu privilégier le consensus".
Claudia Dall’Agnol a indiqué que jusqu’à présent, six Etats ont ratifié l’accord : l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, Malte, et la Suède. "Pour entrer en vigueur cet accord doit être ratifié par au moins 13 Etats, y compris les Etats qui ont le plus de brevets en Europe, à savoir, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne", a-t-elle signalé. Un comité préparatoire, dont le Luxembourg est membre, travaille à la mise en place de tous les aspects de la juridiction. "Pour le moment, la juridiction n’est pas censée être active avant la fin de 2015", a indiuqé la députée socialiste.