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Economie, finances et monnaie - Fiscalité
"Il y a un consensus en Europe pour considérer que l'échange automatique des rulings est la meilleure façon d'éviter le vrai débat", estime l’ancien député de Déi Lénk, Justin Turpel, dans un entretien accordé au Quotidien
04-05-2015


Le QuotidienDémissionnaire de la Chambre des députés, le 28 avril 2015, après 17 mois d’exercice d’un mandat auquel il a dû mettre fin pour raisons de santé, le désormais ex-député du parti Déi Lénk (gauche radicale), Justin Turpel, est revenu dans un entretien publié dans l’édition du 4 mai 2015 du journal luxembourgeois Le Quotidien sur les dossiers marquants qui ont égrené son action.

Dans cette longue interview, Justin Turpel confie notamment son sentiment de regret face à ce qu’il estime être une mise à l’écart des citoyens du débat politique et la "mainmise" sur l’Etat et la politique de puissants lobbies, le secteur de la finance en tête. Une réalité que l’affaire des révélations dites "Luxleaks", un dossier sur lequel le député s’est montré particulièrement actif, illustrerait d’ailleurs.

A ce sujet, l’ex-député dont la dernière séance à la Chambre aura justement été consacrée au premier débat parlementaire sur Luxleaks, a salué le travail de son parti, d'ONG ainsi que d'élus de la Gauche et des Verts au Parlement européen, grâce auxquels "le gouvernement a dû ouvrir le débat" cela après "des mois de blocages sur ce dossier". Mais cet échange "n’est pas allé très loin", a-t-il toutefois déploré. Et Justin Turpel d’estimer que la satisfaction affichée par les représentants des autres partis à l’issue du débat relevait de l’"hypocri[sie]" car en réalité, "personne ne veut rien changer".

"En fait, on veut changer ce qu'il faut changer pour ne pas changer", affirme-t-il, citant la proposition d’échange automatique des tax rulings (ou décisions fiscales anticipées en français) soumise le 18 mars 2015 par la Commission européenne dans le cadre de son paquet sur la transparence fiscale, qu’il qualifie de "tape-à-l'œil". "Le public ne verra jamais sur quoi portent les rulings", assure-t-il, alors que l'échange n’est effectivement prévu qu’entre administrations fiscales des Etats membres de l’Union européenne (UE). "Ce ne sera pas public et c'est fait exprès. Il y a un consensus en Europe pour considérer que l'échange automatique est la meilleure façon d'éviter le vrai débat", accuse ainsi l’ancien député de Déi Lénk.

Selon Justin Turpel, sur le fond, aussi bien I'OCDE, la Commission européenne que les partis au Luxembourg "entendent en effet maintenir la concurrence fiscale" inscrite dans le traité de Maastricht. Or, "il faut une imposition juste pour tout le monde, y compris les multinationales et les entreprises qui agissent aux dépens de l'État et des services publics", plaide l’ancien député. Mais de cela, "on en est loin", souligne-t-il, relevant à cet égard la volonté affichée par le DP (libéraux) et le CSV (chrétiens-sociaux) d'un abaissement de l'impôt sur les sociétés de 28,2 % à 15 ou 16 %.

"Le déséquilibre entre les impôts payés par les ménages, c'est-à-dire le travail, et le capital sera encore plus disproportionné", constate Justin Turpel, cela alors qu’en une douzaine d'années, "on est passé de moitié-moitié à un quart d'impôts payés par les sociétés contre trois quarts par les ménages". Et l’ancien député de relever encore que la volonté de changer  "ne pourra venir que de la mobilisation des gens contre l'austérité, les coupes budgétaires et la misère" car au niveau politique, "il n'y a aucune volonté" en ce sens.

Pour ce qui est précisément de l’affaire Luxleaks, l’ancien député considère que si le Luxembourg n’est, comme le justifie le gouvernement, effectivement pas le seul Etat membre de l’UE à pratiquer les rulings, "depuis 1929, le [pays] joue un rôle moteur dans l'évitement fiscal", dit-il. Justin Turpel estime ainsi qu’il y a "une volonté politique de créer un climat favorable aux multinationales" qui est d’ailleurs "beaucoup plus poussée au Luxembourg que dans d'autres pays, même si ce qui se fait aux Pays-Bas, en Irlande, en France ou en Grande-Bretagne n'est pas rien". Et si l’ancien député concède que le Grand-Duché est aussi plus visible dans ce contexte "parce qu'il a une grande place financière et [que] c'est un petit pays", il rappelle que le Luxembourg "est parmi ceux qui ont freiné le plus sur l'échange automatique ou l'abolition du secret bancaire". Ainsi, "il a joué un rôle moteur pour tenter de maintenir ces politiques", affirme-t-il.

Quant à savoir si l’ancien député, en s’attaquant à ces pratiques, ne scie pas la branche sur laquelle est assis le pays comme le lui demande Le Quotidien, Justin Turpel se veut catégorique. Il reconnaît l’existence d’un "malaise" et "d’une grande angoisse sur les recettes qui pourraient venir à manquer à l'État" dans la population luxembourgeoise dont quelque 14,6 % vivent sous le seuil de la pauvreté, mais relève que "penser que tout peut être sauvegardé grâce à cette politique de niche de la place financière est une erreur".

"L'État est tellement dominé par la finance que cela provoque des blocages, y compris économiques : la diversification est ainsi en partie bloquée car les préoccupations de la place financière passent avant les investissements pour diversifier l'économie", poursuit l’ancien député. Et Justin Turpel de conclure : si les mobilisations ne se feront "bien sûr" pas sur une appréciation globale de la situation économique, mais sur "les conséquences perceptibles par les citoyens", en fin de compte ce qu'ils viseront "c'est le droit de disposer des richesses que s'approprie une minorité de plus en plus petite".