La visite au Luxembourg le 18 mai 2015 de la commission spéciale TAXE du Parlement européen, mise en place dans le contexte des révélations "LuxLeaks", sera-t-elle l’occasion de faire la lumière sur "la boîte noire" luxembourgeoise en matière de "tax rulings" ? C’est la question soulevée par le député européen Fabio de Masi (GUE/NGL, Allemagne), rapporteur fictif pour son groupe dans la commission TAXE, et le groupe politique Déi Lénk de la Chambre des députés, par la voix du député David Wagner et de l’ancien député Justin Turpel, dans une prise de position commune diffusée le 15 mai.
Pour mémoire, le 18 mai 2015, les membres de la commission spéciale sont au Grand-Duché en vue d’y mener une série d’entretiens. Il est ainsi prévu que les députés européens rencontrent le ministre des Finances, Pierre Gramegna, des représentants de l’administration des contributions, les membres de la commission des Finances et du Budget de la Chambre des députés ainsi que des représentants du secteur luxembourgeois de la finance et des ONG.
Selon Justin Turpel et David Wagner, cette visite sera l’occasion de découvrir si la commission TAXE et la volonté d’éclaircissement "ont droit de cité au Luxembourg". Ils rappellent que lors du débat mené au parlement luxembourgeois le 28 avril 2015, une motion présentée par Déi Lénk, "similaire" à celle adoptée par le parlement néerlandais, qui demandait au gouvernement et à la Chambre de "coopérer largement" avec la commission spéciale avait "été rejetée par une majorité allant des chrétiens-sociaux aux Verts". Or, ajoutent-ils, "cette même majorité assure que cette coopération se ferait évidemment … dans le cadre de la législation nationale". "Reste à voir si le gouvernement et le Parlement répondront enfin aux questions cruciales sur les décisions anticipées au Luxembourg et leurs conséquences concrètes", soulignent Justin Turpel et David Wagner, tous deux assurant que "jusqu’à présent, cela n’a pas été le cas".
Dans la prise de position commune, le député européen Fabio de Masi rappelle pour sa part avoir demandé à tous les groupes politiques au sein de la commission TAXE de désapprouver la décision du parlement luxembourgeois de refuser une collaboration pleine et entière. "Le Parlement européen a également adopté, en séance plénière, ma motion demandant une prise de position de la Commission européenne à propos de la mise en examen du lanceur d’alerte Antoine Deltour ainsi que du journaliste Edouard Perrin", ajoute l’eurodéputé.
Citant la circulaire du 21 août 1989 émise par la direction de l’administration des contributions directes relative aux décisions anticipées (disponible en ligne notamment sur le site de Déi Lénk), selon laquelle ces dernières ne sont pas conformes aux lois si elles servent principalement à l’optimisation fiscale, Fabio de Masi dénonce dans ce contexte "une tentative d’intimidation de la part de la justice luxembourgeoise". "Mettre sur le banc des accusés ceux qui dénoncent des pratiques délictueuses par rapport au droit luxembourgeois, alors que les fraudeurs fiscaux et leurs relais politiques sont épargnés, constitue une atteinte à la liberté de la presse", juge-t-il.
Finalement, Fabio de Masi estime que "le gouvernement luxembourgeois doit remettre le rapport Krecké dans son intégralité dans l’intérêt des contribuables européen-ne-s", du nom de l’ancien ministre socialiste de l’Economie, Jeannot Krecké, qui, lorsqu’il était député, avait été chargé d’un rapport sur l’optimisation fiscale remis en 1997. Selon des informations révélées par le mensuel luxembourgeois Paperjam en novembre 2014 après les révélations Luxleaks, ce rapport contenait déjà un chapitre sur les rulings et leurs risques mais il avait été expurgé de la version publique. Depuis, Déi Lénk a demandé à plusieurs reprises sa publication intégrale.
Selon Fabio de Masi, si le gouvernement refuse sa publication "cette responsabilité retombera sur le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker", Premier ministre du Luxembourg à l’époque incriminée.
Cependant, même au Parlement européen, les efforts d’éclaircissements n’avancent pas assez du goût de l’eurodéputé, comme l'avait d'ailleurs déjà dénoncé son collègue, l’eurodéputé libéral allemand Michael Theurer. "Après plus de trois mois, TAXE n’a pas encore pu entrevoir le début d’un document", dit-il, alors que la commission spéciale a demandé des informations sur les activités d’évitement fiscal menées jusqu’ici par les multinationales, ainsi qu’une liste des décisions anticipées depuis 1991, y compris les dates et noms des sociétés concernées. "Des témoins et décideurs importants comme Marius Kohl n’ont pour l’instant pas été conviés à une audition", regrette-t-il également.