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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Emploi et politique sociale - Justice, liberté, sécurité et immigration
Dans un rapport basé sur une étude de terrain, la FRA dénonce l’exploitation grave par le travail comme "un problème endémique" dans l’UE, dont sont notamment victimes les travailleurs migrants
02-06-2015


FRAlogoLe 2 juin 2015, l’Agence pour les droits fondamentaux de l’UE (FRA) a publié un rapport qui révèle que ce sont les travailleurs migrants provenant de pays de l’UE et de pays hors-UE qui ont le plus de risques de devenir les victimes de conditions d'exploitation grave par le travail.

L'exploitation criminelle par le travail est répandue notamment dans l'agriculture, la construction, l'hôtellerie et la restauration, le travail domestique et le secteur industriel. Cette forme d’exploitation "commune" reste souvent invisible pour le public, note l’Agence. "Dans la plupart des cas, les consommateurs ne sont pas au courant que les oranges, vins, viandes (...) les T-shirts et chaussures qu’ils achètent" mais aussi "les services fournis à l'hôtel ou au restaurant peuvent avoir été produits par des travailleurs exploités", lit-on dans le rapport.

Bien qu’il existe une législation de l’UE interdisant des formes graves d'exploitation par le travail, employer un travailleur migrant dans des conditions de travail particulièrement abusives est punissable dans certains États membres de l’UE d'une peine maximale inférieure à deux ans, une sanction qui, selon la FRA, "ne reflète pas la gravité des violations des droits fondamentaux en cause".

La FRA indique que son nouveau rapport est le premier de ce type à analyser de façon exhaustive l’exploitation criminelle par le travail de la main d’œuvre migrante provenant de pays de l’UE et de pays hors-UE sous toutes ses formes. La recherche de terrain qui sous-tend le rapport a été menée dans 21 États membres de l'UE (les Etats membres de l’UE, à l’exception du Danemark, l'Estonie, la Lettonie, le Luxembourg, la Roumanie, la Slovénie et la Suède). L’analyse du cadre juridique et institutionnel des formes graves d'exploitation par le travail a porté sur les 28 États membres. Au total, la FRA a réalisé 616 entretiens avec des groupes de professionnels spécialisés dans le domaine de l'exploitation par le travail, comme les services d'inspection du travail, la police, des juges, des représentants de travailleurs et d'employeurs, des experts politiques nationaux et du personnel d'agences de recrutement. Aucune victime n'a été interrogée aux fins de ce rapport.

"L'exploitation des travailleurs qui ont été forcés, en raison de leur situation économique et sociale, d'accepter de travailler dans de mauvaises conditions est inacceptable", a déclaré le directeur par intérim de la FRA, Constantinos Manolopoulos, selon ses propos repris dans le communiqué de presse de la FRA. "Nous parlons ici d'un problème endémique auquel nous devons mettre un terme de toute urgence", a-t-il ajouté. "Les États membres de l'UE doivent déployer plus d'efforts pour promouvoir un climat de tolérance zéro pour les formes graves d'exploitation par le travail et prendre des mesures pour contrôler plus efficacement la situation et sanctionner les auteurs", a-t-il souligné.

L'exploitation criminelle par le travail est répandue notamment dans l'agriculture, la construction, l'hôtellerie et la restauration, le travail domestique et le secteur industriel

Les conclusions révèlent que l'exploitation criminelle par le travail est répandue dans divers secteurs, notamment l'agriculture, la construction, l'hôtellerie et la restauration, le travail domestique et le secteur industriel, et que les auteurs courent peu de risques d'être poursuivis ou de devoir indemniser leurs victimes. "Cette situation porte non seulement préjudice aux victimes, mais elle affecte également plus largement les normes du travail", note la FRA.

La FRA décline les diverses formes que peuvent prendre ces pratiques à travers 127 études de cas. Alors que les travailleurs exploités se répartissent entre différentes zones géographiques et différents secteurs économiques, ils ont souvent de nombreux points communs, tels que des salaires très bas, parfois 1 euro de l’heure ou moins, et des journées de travail de 12 heures ou plus, six à sept jours par semaine. Ces constantes sont souvent assorties de mauvais traitements, conditions d'hygiène déplorables et d’un isolement forcé des victimes. 

"Le faible signalement des faits par les victimes est un facteur important qui favorise la situation actuelle d'impunité généralisée", note encore la FRA. Selon l’Agence, ceci est dû au fait que les victimes en sont soit empêchées, ou qu’elles ne souhaitent pas se faire connaître par crainte de perdre leur travail.

A côté d'immigrés africains ou asiatiques, les "nouveaux" citoyens de l'UE, - Bulgares, Roumains ou Lituaniens, - figurent parmi les principales victimes

A côté d'immigrés africains ou asiatiques, les "nouveaux" citoyens de l'UE, - Bulgares, Roumains ou Lituaniens, - figurent parmi les principales victimes des affaires recensées par l'agence, sans qu'aucun pays ne semble épargné, de la Finlande au Royaume-Uni en passant par la France, la Pologne ou la Grèce.

Cadre juridique et institutionnel : protection insuffisante dans le cadre des législations nationales

Le rapport publié par la FRA le 2 juin 2015Le rapport révèle qu’au niveau des législations nationales, la protection des travailleurs contre les formes les plus graves d'exploitation de la main-d'œuvre n’est pas aussi complète et forte qu’attendu. Dans la moitié des États membres de l'UE (Bulgarie, République tchèque, Danemark, Finlande, Allemagne, Grèce, Irlande, Lettonie, Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, la Slovaquie et la Suède) l'esclavage, la servitude et le travail forcé sont criminalisés que dans des contextes spécifiques, note la FRA.

La FRA note en outre qu’au moins quatre États membres (Belgique, Estonie, Allemagne et Pologne) ont adopté une définition large de la traite d’êtres humains.

Pour ce qui est de l’exploitation dans le cadre de relations de travail, la FRA souligne que les catégories des personnes migrantes protégées par les dispositions pénales varient considérablement selon les États membres. Par exemple, la Bulgarie, Chypre, la Grèce, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte et la Slovénie ne protègent que les ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.

"Dans l'ensemble, les ressortissants de pays tiers en situation irrégulière ou les travailleurs ressortissants de pays tiers sont protégés contre l'exploitation sévère du travail à travers des dispositions de droit pénal dans presque tous les États membres de l'UE, alors que les ressortissants de l'État membre en question jouissent de ce niveau de protection dans seulement quatre Etats", constate la FRA.

Les propositions de la FRA pour améliorer la situation

Parmi les propositions pour améliorer la situation avancées par la FRA dans son rapport, figurent les suggestions suivantes :

  • Les États membres de l'UE doivent mettre en place un système global, efficace et doté de ressources suffisantes pour mener des inspections sur les lieux de travail.
  • Pour améliorer l'efficacité des enquêtes dans les cas d'exploitation grave par le travail, il convient d’établir des liens étroits entre la police, les procureurs et les autorités de contrôle, comme les services d'inspection du travail, les services d'aide et les organisations d'employeurs, y compris dans des contextes transfrontaliers.
  • L’accès des victimes à la justice doit être renforcé, par exemple en consentant davantage d'efforts pour sensibiliser les victimes à leurs droits, tant avant leur arrivée dans le pays de l'UE dans lequel elles souhaitent travailler, qu'après leur arrivée.
  • Les autorités nationales doivent instaurer un climat de confiance et un sentiment de sécurité et de protection afin d'encourager les travailleurs exploités à signaler leur expérience. Les services d'inspection du travail et la police devraient coopérer plus étroitement pour détecter les cas d'exploitation grave par le travail partout où ils existent.
  • Les entreprises privées et les autorités nationales sont invitées à s’assurer de prévenir l'exploitation par le travail en évitant de conclure des contrats avec des entreprises impliquées dans l'exploitation des travailleurs, ou en ne sous-traitant pas à de telles entreprises.
  • Les consommateurs doivent être informés du risque qu'un produit ou un service puisse résulter de l’exploitation grave par le travail, en recourant à des moyens tels qu'un système de certification et de marquage des produits des entreprises qui respectent les droits des travailleurs.

Elle juge également nécessaire une définition pénale harmonisée du phénomène, prévoyant des peines de prison supérieures à deux ans pour les auteurs.

"Esclavage moderne" sur les chantiers luxembourgeois ?

A noter que le 3 juin 2015, RTL diffuse un reportage qui analyse les formes d’ "esclavage moderne" que subissent certains travailleurs portugais sur les chantiers luxembourgeois.