Principaux portails publics  |     | 

Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Traités et Affaires institutionnelles
Au cours d’un débat au Parlement européen sur la situation en Pologne, Beata Szydlo demande aux Européens de ne pas s'immiscer dans les affaires internes de son pays
19-01-2016


Beata Szydło, premier ministre polonais, devant le Parlement européen, le 20 janvier 2016Un débat sur la situation en Pologne a eu lieu lors de la session plénière du Parlement européen, le 19 janvier 2016 à Strasbourg, en présence de la Première ministre polonaise, Beata Szydlo, alors que la Commission a enclenché contre la Pologne la nouvelle procédure au titre du cadre sur l'Etat de droit, le 13 janvier 2016, suite au vote par le nouveau gouvernement polonais, fin décembre 2015, de deux lois controversées réformant le fonctionnement du Tribunal constitutionnel et les nominations des responsables des médias publics. Au cours de son intervention, la chef du gouvernement polonais a jugé qu’il s’agissait là d’affaires internes à la Pologne et a demandé à ce qu’on laisse le gouvernement régler ces questions par lui-même. Une position soutenue également par certains eurodéputés alors que d’autres ont pointé une violation des valeurs démocratiques et de l’Etat de droit en Pologne.

Le contexte

Pour mémoire, le nouveau gouvernement polonais (issu du parti conservateur Droit et Justice, PiS, qui a remporté la majorité absolue aux législatives du 25 octobre 2015), a voté fin décembre 2015 deux lois controversées, l’une réformant le fonctionnement du Tribunal constitutionnel polonais et l’autre les nominations des responsables des médias publics.

Ces réformes, qui pourraient mettre en cause l’indépendance et le pluralisme du Tribunal et des médias, ont suscité une certaine inquiétude dans l’UE, notamment de la part de la Commission européenne. Son premier vice-président, Frans Timmermans, en charge de l’Etat de droit, avait ainsi adressé fin décembre 2015 deux missives au gouvernement polonais, lui demandant des "explications" sur les deux lois controversées, sans recevoir de réponses satisfaisantes sur le fond.

Après plusieurs semaines de polémique, le commissaire européen en charge du Numérique, Günther Oettinger, avait suggéré d'enclencher contre la Pologne la nouvelle procédure au titre du cadre sur l'Etat de droit, ce que la Commission a décidé de faire le 13 janvier 2016, en envoyant une missive aux autorités polonaises dans laquelle elle les invitait à engager un dialogue sur les problèmes constatés.

Une démarche préventive de la part de la Commission

Dans ses remarques introductives en amont du débat, le vice-président de la Commission en charge de l’Etat de droit, Frans Timmermans, a assuré que son institution mènerait un dialogue avec la Pologne tout en restant impartiale, coopérative et en se fondant sur les faits. "Cela va sans dire que la Commission respecte la souveraineté de la République de Pologne, et fait son devoir de manière objective et non-partisane, comme elle le ferait pour tout autre Etat membre", a-t-il affirmé.

Le vice-président a encore indiqué avoir reçu une lettre de la part de la Pologne, en réponse au courrier qu’il avait envoyé aux autorités polonaises le 13 janvier. "Nous allons l’analyser de manière constructive et coopérative", a-t-il dit, ajoutant qu’il s’agissait pour le moment d’une démarche "préventive" de la part de la Commission et que celle-ci n’en était qu’à ses débuts. Cela ne signifie pas "que l'on va entreprendre des actions", a-t-il encore dit.     

Beata Szydlo souhaite qu’on laisse la Pologne régler seule ses affaires internes

La Première ministre polonaise, Beata Szydlo, a commencé par rappeler les raisons qui avaient conduit à ces changements législatifs en Pologne. Elle a insisté sur le fait qu’ils relevaient d’une décision des citoyens polonais "pour lesquels la liberté, l’égalité, la justice et la sécurité sont des droits inaliénables". "Lors des élections d’octobre dernier, les citoyens polonais ont décidé qu’ils voulaient ces changements proposés par notre famille politique", a-t-elle dit.

Elle a insisté sur les valeurs pour lesquelles les Polonais "se sont battus pendant des années" et qui "relèvent d’une importance cruciale, nous guident dans le développement de notre pays". Dans le même temps, elle a réaffirmé que la Pologne faisait partie d’une "Europe unie" avec des citoyens "ouverts" qui veulent "soutenir l’UE".

Mais elle a mis en garde contre ces voix qui "sont souvent des voix injustes et jugent l’Etat et le gouvernement polonais de manière injuste". Elle a également dit redouter certaines "voix régies par la mauvaise foi".

Beata Szydlo a également évoqué les problèmes qui subsistent aujourd’hui en Pologne comme le taux de chômage extrêmement élevé et les salaires précaires parmi les jeunes ou les retraités qui doivent dépenser la moitié de leur retraite pour acheter des médicaments. "Les Polonais ont élu un certain programme en octobre dernier et ce programme est surtout adressé à tous ceux et celles qui aujourd’hui, après toutes ces années de transformation, ont une vie difficile (…) et ont été laissés pour compte dans ce processus de transformation", a-t-elle dit, en faisant référence à la transformation qui a eu lieu dans le pays depuis son adhésion à l’UE.

Elle s’est défendue en disant que les changements introduits par le nouveau gouvernement polonais fonctionnaient dans "beaucoup de pays européens" et en assurant que le nouveau gouvernement n’avait "pas procédé à des violations d’ordre constitutionnel dans [son] pays".

Au sujet de la réforme de la Cour constitutionnelle, Beata Szydlo a indiqué que les changements introduits sont "conformes aux standards et aux normes européens et ne diffèrent en rien aux normes en vigueur dans les autres Etats membres".

"Nous avons dû changer cette loi sur la Cour constitutionnelle parce qu’au mois de juin 2015, la coalition précédemment au pouvoir a adopté une loi sur la Cour constitutionnelle qui a été jugée non conforme à la constitution par la Cour constitutionnelle le 3 décembre 2015", a-t-elle dit. L'ancienne coalition au pouvoir avait nommé 14 des 15 juges, a-t-elle dénoncé. Selon elle, les décisions du nouveau gouvernement n'ont donc visé qu'à rétablir une représentation politique plus équilibrée au sein de cette juridiction, comme le préconise d'ailleurs la commission de Venise du Conseil de l'Europe. Beata Szydlo a par ailleurs ajouté que son parti n’avait jamais voulu "dominer le tribunal constitutionnel" et qu’il était "tout à fait d’accord que 8 de 15 juges soient nommé par l’opposition". Selon elle, ces changements vont "rendre les décisions de la cour plus inclusives et démocratiques".

Enfin, elle a indiqué qu’il s’agissait là d’une "affaire interne de la Pologne", et qu’il importait au gouvernement de "résoudre ce problème par lui-même".

En ce qui concerne la réforme des médias publics, Beata Szydlo a indiqué que ces changements "ne lèsaient pas les normes européennes" mais sont bien plus une "tentative de rétablir le caractère impartial des médias publics". Elle a poursuivi en disant que les médias publics ont besoin de changements qui iraient vers "plus de pluralisme et de neutralité" et que c’était là le "seul objectif" des modifications apportées par le nouveau gouvernement. Elle a encore dit avoir le soutien de l’assemblée de journalistes polonais pour la modification de cette loi.

Selon elle, le système actuel n’était pas efficace du point de vue organisationnel et ne permettait un bon financement. Il a donc fallu "organiser les compétences entre ceux qui nomment les membres des directions, le conseil de surveillance et les autres organes".

La Première ministre a encore indiqué que le gouvernement travaillait à une deuxième étape de la réforme des médias publics qui permettrait d’assurer à ces médias une source de financements stables. "Ce qui nous inspire, ce sont les solutions qui sont en vigueur dans les autres Etats membres", a-t-elle ajouté.

Enfin, elle a affirmé que le gouvernement de la Pologne était "ouvert au débat et au dialogue", tout en assurant vouloir "introduire de bons changements pour la Pologne" et "résoudre ensemble les problèmes qui touchent aujourd’hui la Pologne". Elle a encore indiqué combien il était important de "sentir le soutien de l’UE dans notre action" mais que, dans les décisions qui concernent les affaires intérieures du pays, la souveraineté devait être respectée.

Le débat

Lors du débat qui a suivi, si une grande majorité d’eurodéputés ont pointé une violation des valeurs démocratiques et de l’Etat de droit en Pologne, d’autres ont souligné la nécessité de ne pas s’ingérer dans les affaires internes de Varsovie et de traiter tous les Etats membres de manière égale et en dehors de toute considération politique.

"Il n'y a pas de place pour l'autoritarisme dans l'UE", a déclaré le vice-président du groupe du PPE Esteban González Pons, en demandant au gouvernement polonais de préciser si les réformes entreprises dans le système judiciaire et dans les médias publics respectaient les valeurs démocratiques de l’UE, basées sur le respect de l’Etat de droit.  A ses yeux, "le problème n’est pas la Pologne, mais l'autoritarisme". "L'autoritarisme ne connaît pas de temps ou de lieu et son seul but est de détruire notre système de valeurs, nos droits et nos libertés", a-t-il indiqué, en soulignant que la destruction de l’appareil judiciaire et le contrôle des médias sont souvent la première étape pour mettre fin à la démocratie.

Dans ce contexte, l’eurodéputé espagnol a exprimé son soutien à la procédure ouverte par la Commission européenne pour évaluer si la Pologne respecte l’Etat de droit, précisant que son groupe n’allait toutefois pas "préventivement condamner la Pologne". "En matière d'ordre interne, le gouvernement polonais a le droit de développer son programme, mais sur certains points qui nous concernent tous, comme la défense de l’Etat de droit, il ne faut pas se leurrer. Le gouvernement polonais a le droit de changer la loi, mais pas les valeurs démocratiques", a-t-il conclu.

Au nom du groupe S&D, son président, Gianni Pittella a affirmé que la Pologne était "un des piliers de l'UE" et que l'UE n'était "pas un mariage de convenance, ni un bouc émissaire", mais une "communauté de valeurs, de liberté et de démocratie". Il a souligné la nécessité d’éviter que d'un exemple brillant de lutte contre le totalitarisme dans le passé, la Pologne puisse devenir un pays où l'indépendance de la Cour constitutionnelle et de la liberté des médias sont menacées. "Dans ce contexte, c’est à juste titre que la Commission a lancé une enquête préliminaire et un dialogue sur ces changements", a déclaré l’eurodéputé italien, avant d’appeler la Première ministre polonaise à retirer les mesures contestées. "La Pologne est un grand pays, ne l’entraînez pas sur une voie qui ne correspond pas à son histoire et à sa tradition !", a-t-il conclu.

Au nom du groupe ECR, où siège le parti de Beata Szydlo (PiS), l’eurodéputé Syed Kamall a appelé les eurodéputés à "prendre un peu de recul" et à permettre à la Commission européenne et à la Commission de Venise du Conseil de l'Europe de travailler avec le gouvernement polonais pour répondre aux préoccupations qui ont été exprimées. "Après avoir parlé aujourd'hui aux eurodéputés, aux ministres et à la Première ministre polonaise, je pense qu’il est clair qu'ils n’ont pas l'intention de porter atteinte au pluralisme et à l’Etat de droit en Pologne", a déclaré l’eurodéputé britannique, avant de s’étonner que personne ne se soit plaint lorsque le dernier gouvernement polonais avait adopté une loi pour que ses candidats soient nommés au sein de la Cour constitutionnelle. "Pourquoi subitement tant de plaintes, alors que le nouveau gouvernement cherche à nommer seulement 5 des 15 juges ?", s’est-il demandé.

Syed Kamall a appelé les eurodéputés à peser leurs mots contre la Pologne et à tenir compte du fait qu’en pointant du doigt le gouvernement polonais, on pointe également du doigt les gens qui ont voté pour celui-ci. "Ne soyez pas surpris si le peuple polonais répond en élisant des hommes politiques plus eurosceptiques comme en Hongrie, en Italie et en France", a-t-il averti. Et d’appeler l'UE à se concentrer davantage sur ses "crises réelles", comme l'immigration, la zone euro ou la croissance. "Je ne doute pas que le nouveau gouvernement polonais va coopérer avec tous ceux qui souhaitent coopérer avec lui pour s’assurer que la Pologne renforce la liberté, le pluralisme et la démocratie pour lesquels le peuple polonais s’est battu si longtemps", a-t-il conclu.

Au nom du groupe de l’ALDE, Guy Verhofstadt a reproché au gouvernement polonais de profiter de sa large majorité obtenue lors des dernières élections "pour démanteler le système de contrôle et l'équilibre des pouvoirs", qui est "au cœur de la démocratie européenne". "L'augmentation du quorum ainsi que la majorité des deux tiers imposés par votre gouvernement et l'obligation de traiter les dossiers par ordre chronologique nuisent à la Cour, qui se retrouve complétement paralysée", a-t-il souligné, estimant que ces mesures conduisent la Pologne vers un pouvoir autoritaire, la rapprochant de "la Russie de Vladimir Poutine". Le président du groupe estime que Jarosław Kaczyński, le président du parti PiS, contribue aux efforts de Vladimir Poutine afin de perturber l'unité européenne".

"La Pologne n'est pas le seul État membre à menacer l'Etat de droit", a pour sa part déclaré Sophie in ‘t Veld (ALDE), soulignant que la Hongrie, sous la direction de Viktor Orban, fait de même depuis des années, sans que la Commission n'ait jamais pris aucune mesure. "De ce fait, la décision de la Commission sur la Pologne semble arbitraire", a-t-elle indiqué, soulignant que l'UE doit être considérée comme étant en mesure de traiter tous les Etats membres de manière égale, sur base de critères objectifs et transparents, en dehors de toute considération politique.

"Ce n’est pas la légitimité démocratique du gouvernement polonais qui est en cause, mais ses actions à l'égard de la loi", a pour sa part déclaré la présidente du groupe GUE/NGL, Gabi Zimmer. "Voilà pourquoi je salue le fait que la Commission européenne ait lancé une enquête préliminaire", a-t-elle dit, en appelant la Commission à appliquer ce nouvel instrument, quel que soit le pays qui fasse l’objet d'une enquête. Et de souligner que les valeurs sur lesquelles l'Union est fondée sont le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l'égalité, l’Etat de droit et le respect des droits de l'homme. "Cela exige des tribunaux et médias indépendants dans tous les Etats membres, y compris la Pologne", a-t-elle souligné.

Gabi Zimmer a également évoqué les circonstances sociales qui ont contribué au résultat de l'élection en Pologne. "Les problèmes de la Pologne ne sont pas tombés du ciel. Le réformes structurelles de marché néo-libérales et radicales, qui étaient une condition préalable à l'adhésion à l'UE, n’ont pas apporté le développement et la prospérité à tous les citoyens polonais", a-t-elle signalé.

Au nom du groupe des Verts/ALE, sa co-présidente, Rebecca Harms, a elle aussi exprimé ses préoccupations quant au respect de l’Etat de droit en Pologne de même que dans l’ensemble de l’UE. Or, "le marché intérieur, la législation européenne, la garantie des libertés fondamentales, rien ne fonctionne en Europe si l’on ne respecte pas l’Etat de droit", a-t-elle dit. Au vu du passé historique de la Pologne, l’eurodéputée juge "difficile" de comprendre l’évolution actuellement en cours. "Il ne s’agit pas d’une décision à caractère personnel, mais de l’impression qu’une majorité gouvernementale recourt à un diktat et ne permet plus le débat entre le gouvernement et l’opposition", a-t-elle dit, signalant que son groupe "s’exprime fermement en faveur des mécanismes de l’Etat de droit dont nous avons déjà longuement discuté à propos de la Hongrie". Enfin, Rebecca Harms a critiqué la sélectivité de l’application des instruments pour vérifier l’Etat de droit, et le fait que "l’intérêt politico-politicien" puisse prendre le pas sur la défense de l’Etat de droit.

L’eurodéputé polonais Robert Jarosław Iwaszkiewicz (EFDD) estime que "les questions polonaises devraient être résolues en Pologne par les Polonais". "Ce débat n’est donc pas nécessaire", a-t-il souligné, un point de vue partagé par l’eurodéputé polonais Michał Marusik (ENF).

La réponse de Beata Szydlo

En réponse aux remarques formulées par les eurodéputés, Beata Szydlo a de nouveau exprimé son désaccord face à la décision de la Commission européenne d’enclencher la nouvelle procédure au titre du cadre sur l'Etat de droit contre la Pologne, car "il n’y a pas eu de violation de l’Etat de droit en Pologne". "Tout ce que nous faisons actuellement en Pologne est parfaitement conforme à la loi de mon pays et aux Traités européens", a-t-elle souligné, avant de s’étonner du fait que les eurodéputés ne se soient pas attardés sur le détail des faits relatifs à la réforme du fonctionnement du Tribunal constitutionnel polonais et de la nomination des responsables des médias publics. "Nous sommes un Etat souverain, nous sommes une nation libre", a-t-elle lancé, soulignant que les problèmes polonais devaient être discutés et résolus en Pologne, et plus précisément au sein du Parlement polonais.

Beata Szydlo s’est par ailleurs dite convaincue que l’avis de la commission de Venise montrera que "la situation légale de la Cour constitutionnelle polonaise est excellente".

La réponse du ministre polonais de la Justice à la Commission

Dans une lettre datée du 19 janvier 2016, le ministre polonais de la Justice, Zbigniew Ziobro, a fourni une première réponse à la requête Frans Timmermans formulée le 13 janvier, a indiqué l’Agence Europe.

En ligne avec les arguments de Beata Szydlo, le ministre a assuré que les réformes du Tribunal constitutionnel visaient à rétablir un équilibre politique dans cette juridiction. Il a aussi rejeté les accusations formulées par la Commission au sujet du non-respect de deux arrêts précis du Tribunal relatifs à la nomination de juges. Selon lui, seul le Parlement est habilité à nommer ces juges et le Tribunal n'a pas de droit de regard sur cette prérogative. Quant aux changements dans la procédure de fonctionnement du Tribunal, il a affirmé que la réforme visait uniquement à rendre le travail de cette juridiction plus efficace et plus respectueux des parties requérantes.