Le premier point abordé par l'Eurogroupe fut celui de la situation économique de la zone euro, examinée à la lumière des prévisions d'hiver présentées par la Commission européenne le 4 février 2016. Ces prévisions tablent sur une poursuite de la reprise économique dans la zone euro, à un rythme modéré, avec une hausse prévue du PIB de 1,7 % en 2016 et de 1,9 % en 2017. Elles identifient le faible niveau des prix du pétrole, le taux de change actuel de l'euro ainsi que les faibles taux d'intérêt comme principaux facteurs de cette reprise. La baisse actuelle du chômage devrait également se poursuivre, les taux devant passer, selon les projections, de 11 % en 2015 à 10,5 % en 2016 et à 10,2 % en 2017.
"La zone euro est structurellement dans une situation bien meilleure actuellement qu'il y a plusieurs années", a constaté le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, à l'issue de la réunion. Il a plus précisément évoqué la situation favorable des banques en soulignant le rôle bénéfique qu'a eu l'Union bancaire sur ce résultat. "Nous avons développé les mécanismes dans la zone euro pour apporter de la stabilité au secteur financier et réduire le risque souverain des banques. Les exigences en fonds propres ont été relevées, la surveillance a été renforcée, et nous avons désormais des règles claires et communes pour la résolution", s'est-il réjoui.
Néanmoins, les prévisions d'hiver soulignaient le fait que l'économie européenne doit faire face aux turbulences et aux risques découlant du ralentissement de la croissance dans les économies émergentes. "Nous avons conscience de la nécessité d'être particulièrement vigilants", a fait savoir Jeroen Dijssblossem. "Dans ce contexte, les ministres ont réaffirmé le besoin de poursuivre l'agenda des réformes afin de renforcer la croissance potentielle et de continuer sur une voie budgétaire favorisant la croissance".
"Nous devons tous poursuivre les mesures nécessaires pour augmenter la compétitivité, faciliter les investissements et assainir les finances publiques et pour réduire les déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro", a déclaré pour sa part le commissaire européen en charge des Affaires économiques et financières, Pierre Moscovici. Il s'est toutefois dit confiant dans la solidité de l'économie européenne et du système bancaire et financier. "Il faut faire confiance aux mécanismes que nous avons créés et qui nous permettent d'être protégés par rapport à des situations antérieures", a-t-il dit.
Le second point des discussions de l'Eurogroupe concernait "la qualité des dépenses publiques". Il s'agissait de réfléchir aux moyens d'évaluer ces dépenses en fonction de leur contribution à la croissance. Selon la Commission européenne, entre 2007 et 2013, les dépenses publiques favorables à la croissance – sont prises en compte les dépenses sur les infrastructures, sur la recherche et l'innovation, sur l'éducation et la sante – étaient estimées à 15 % du PIB, c'est-à-dire environ un tiers des dépenses publiques. Ce chiffre est jugé insuffisant par Pierre Moscovici qui juge que "l'analyse de la structure qualitative des dépenses publiques démontre la possibilité de dépenser mieux".
Le commissaire européen en charge des Affaires économiques et financières pense qu'il faudrait davantage "d'évaluations indépendantes des réformes", pour augmenter l'expertise de la zone euro sur l'identification des dépenses publiques favorables à la croissance. Ces évaluations seraient ensuite intégrées dans les processus budgétaires nationaux. Ce développement constituerait "un avenir pour les réformes structurelles de deuxième génération, celles qui doivent nous permettre d'avoir une économie plus forte encore", dit-il.
Plusieurs ministres ont d'ailleurs demandé qu'il y ait un lien entre les recommandations pays par pays et cette évaluation de la qualité des dépenses publiques. Jeroen Dijsselbloem a fait savoir que cette discussion serait au menu des prochains mois, avec une attention particulière sur les dépenses publiques en investissement, santé et vieillesse.
A l'initiative du président de l'Eurogroupe, les ministres ont discuté des moyens d'améliorer la transparence de leurs réunions, "afin de répondre à l'intérêt public et apporter plus de consistance à l'information qui parvient aux citoyens et aux parlements dans les Etats membres", comme l'a expliqué Jeroen Dijsselbloem. "C'est de première importance pour la légitimité de notre travail."
Les ministres sont ainsi tombés d'accord pour publier les ordres du jour de l'Eurogroupe de manière plus détaillée, dans un format annoté et de publier des comptes-rendus des principales conclusions des réunions de l'Eurogroupe. Il y a également "un soutien de principe pour publier le plus de documents possible", mission que le groupe de travail Eurogroupe est chargé de mener à bien. 3Il y a des ajustements à faire sur des détails, mais la direction est la bonne3, a pour sa part commenté laconiquement Pierre Moscovici.
Un dernier sujet à l'ordre du jour de l'Eurogroupe concernait le rôle international de l'euro. Les discussions ont pris pour point de départ une étude commandée par l'Eurogroupe à la Commission européenne à ce sujet. Il est ressorti de cette étude qu'il n'existe aucune barrière systémique à l'usage de l'euro dans les transactions internationales, mais que ce sont des raisons historiques qui expliquent que dans certains secteurs comme ceux du pétrole et de l'aviation, soient utilisés des factures en dollars. "Les ministres se sont dit d'accord avec l'avis de la Commission selon laquelle des politiques macroéconomiques saines et le renforcement de l'Union économique et monétaire comptent parmi les facteurs-clés qui pourraient encourager le recours à l'euro dans les transactions internationales”, lit-on dans les résultats de la réunion.
Les ministres des Finances de la zone euro se sont penchés sur le cas du Portugal, dont le nouveau gouvernement entend revenir sur un certain nombre de mesures d'austérité, et ils ont notamment examiné les résultats de la troisième mission de surveillance post-programme effectuée au Portugal, qui a eu lieu du 25 janvier au 2 février 2016.
La surveillance post-programme est effectuée une fois qu'un État membre a réussi à mener à bien un programme et elle se poursuit jusqu'à ce que l'État membre ait remboursé au moins 75 % de l'assistance financière qu'il a reçue dans le cadre de ce programme.
A l'issue de la réunion, Jeroen Dijsselbloem a souligné "l'importance de poursuivre le programme de réformes". Car si la reprise se poursuit depuis trois ans et si le taux de chômage est désormais proche de son niveau d'avant crise, les institutions notent que la reprise est freinée par des déséquilibres macroéconomiques et des rigidités dans les marchés de l'emploi et des biens, ainsi que l'a rapporté le président de l'Eurogroupe à la presse.
Comme l'a résumé Pierre Moscovici, le Portugal doit "adopter un paquet global de réformes pour améliorer sa compétitivité et le potentiel de croissance de son économie". "C'est le seul moyen de rassurer les investisseurs, de restaurer la confiance et de créer les conditions pour créer les emplois stables dont les Portugais ont besoin", a affirmé le commissaire en se faisant l'écho des pressions auxquelles les obligations portugaises ont pu être soumises sur les marchés ces derniers jours.
Les ministres ont également discuté de l'avis de la Commission sur le projet de plan budgétaire du Portugal pour 2016.
En raison des élections législatives du 4 octobre 2015, le Portugal n'avait pas remis son projet de plan budgétaire avant la date limite du 15 octobre, ainsi que le prévoient les règles de l'Union européenne concernant la coordination des politiques budgétaires (le "two-pack"), mais seulement le 22 janvier 2016.
Au vu d'une analyse préliminaire, la Commission avait noté "un risque sérieux de non-respect" des obligations de politique budgétaire. Le gouvernement portugais avait alors annoncé des "mesures supplémentaires d'assainissement structurel" le 5 février.
Dans son avis publié le même jour, la Commission estimait par conséquent que le projet de plan budgétaire (PPB) du Portugal pour 2016 présente un risque de non-conformité avec les dispositions du pacte de stabilité et de croissance. Elle invitait donc les autorités portugaises à prendre les mesures nécessaires dans le cadre de la procédure budgétaire nationale afin de garantir la conformité du budget 2016 avec le pacte de stabilité et de croissance.
Une invitation reprise à leur compte par les ministres dans la déclaration qu'ils ont adoptée.
Le Portugal relève actuellement du volet correctif du pacte de stabilité et de croissance (depuis décembre 2009) et il lui avait été recommandé de corriger son déficit excessif au plus tard en 2015. Il devait donc, à partir de 2016, faire l'objet du volet préventif du pacte et des dispositions transitoires en matière de respect de la règle de la dette. C'est pourquoi le Conseil avait recommandé en juillet 2015 que le Portugal réalise un effort structurel de 0,6 % du PIB en 2016.
En tenant compte des mesures additionnelles annoncées le 5 février, l'effort structurel prévu par les autorités portugaises pour 2016 est maintenant estimé être de l'ordre de 0,1 % à 0,2 % du PIB, ce qui fait que la différence avec l'effort demandé en juillet reste en-deçà de 0,5 %. Si le risque de non-conformité n'est pas jugé "particulièrement grave" par les ministres, il subsiste tout de même, notent-ils dans leur déclaration. Ils y relèvent aussi que le scenario macroéconomique retenu par les autorités portugaises est plus optimiste que celui réalisé par la Commission dans ses prévisions d'hiver.
Les ministres saluent les engagements des autorités portugaises à préparer dès maintenant de nouvelles mesures additionnelles à mettre en œuvre si nécessaire pour assurer la conformité du budget 2016 avec les règles du Pacte de stabilité et de croissance. Mais ils annoncent aussi qu'ils reviendront sur leur mise en œuvre en mai prochain à la lumière des résultats budgétaires de 2015, une fois qu'ils auront été validés par Eurostat, du prochain programme de stabilité du Portugal et des prévisions de la Commission pour le printemps 20116.
Si les appels à faire davantage dominaient les déclarations des ministres à leur arrivée, le ton était plus rassurant à la fin de la réunion, les engagements du ministre portugais des Finances, Mario Centeno, ayant visiblement rassuré ses partenaires.
Les ministres des Finances de la zone euro ont également évoqué la situation de la Grèce, une semaine après la visite sur place des chefs de mission des créanciers (Commission européenne et Banque centrale européenne, Mécanisme européen de stabilité, avec la participation du FMI) dans le cadre du premier examen du programme du Mécanisme européen de stabilité.
Pierre Moscovici et Jeroen Dijsselbloem se sont montrés satisfaits des progrès enregistrés par la Grèce et de sa volonté d'atteindre rapidement un accord permettant d'achever le premier examen de la mise en œuvre du programme, qu'Athènes s'est engagé à réaliser en vertu de l'accord passé le 17 juillet 2015 sur un troisième plan d'aide international. Pierre Moscovici a fait savoir "que les travaux avancent bien, que nous travaillons et que nous dialoguons dans une atmosphère constructive", tandis que le travail se poursuit "au niveau technique". Il pense qu'un accord peut encore être trouvé avant Pâques, moyennant des avancées sur la réforme des retraites, les mesures budgétaires et le fonds de privatisation.
"Je sais que les réformes en discussion actuellement sont dans de nombreux cas difficiles politiquement, socialement. La réforme des retraites en est l'exemple le plus évident. Mais, ces réformes nécessaires ne deviendront pas plus simple en retardant le montant de leur acceptation et de leur adoption", a dit Pierre Moscovici, alors que la réforme envisagée, permettant une économie de 1,8 milliard d'euros d'économies par an (soit 1 % du PIB), a fait l'objet d'une grève en Grèce le 1er février 2016.
S'il constate des progrès, Klaus Regling, directeur du Mécanisme européen de stabilité (MES/ESM), a néanmoins rappelé que 21,4 milliards d'euros ont déjà été décaissés dans le cadre de ce nouveau programme (soit un quart de la somme maximale prévue), à la condition de la mise en œuvre de nouvelles réformes". "La règle est claire: pas de décaissements sans conditionnalité", a-t-il affirmé.