Les ministres des Finances de la zone euro se sont quittés, le 18 juin 2015, sans qu’aucun accord n’ait pu être dégagé sur la Grèce, à l’issue d’une réunion de l’Eurogroupe à Luxembourg qui aura une nouvelle fois été largement dominée par les négociations en cours entre les autorités grecques et ses créanciers. Dans la foulée, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a décidé de convoquer un sommet de la zone euro dans la soirée du 22 juin, jugeant qu’il était "temps de discuter, de façon urgente, de la situation grecque au plus haut niveau politique" alors qu'un Conseil européen est déjà programmé les 25 et 26 juin 2015.
Les ministres de l’Eurogroupe ont par ailleurs également fait le point sur la situation de deux autres Etats membres, à savoir Chypre et le Portugal, et ils ont enfin mené une discussion plus large sur la situation économique dans la zone euro, en particulier sur le sujet de la faiblesse des taux d’intérêts et des avantages qui en découlent.
Pour rappel, les négociations portant sur l’aide financière accordée à cet Etat membre ainsi que les réformes qu’il s’est engagé à mettre en œuvre en contrepartie n’ont pas abouti depuis l’accord provisoire trouvé en février 2015 pour prolonger de quatre mois le programme d’aide à la Grèce, soit jusqu’au 30 juin 2015. Il s’agissait ainsi de laisser au nouveau gouvernement grec le temps de s’entendre avec les institutions créancières sur une liste de réformes précises.
L’enjeu est vital pour la Grèce, un accord devant ouvrir la voie au versement de la dernière tranche de 7,2 milliards d'euros bouclant l’aide financière de quelque 240 milliards octroyée au pays depuis 2010. Cela dans un contexte où les autorités grecques ont à plusieurs reprises indiqué que les caisses de l’Etat étaient vides alors que le pays fait face à des échéances importantes : il devra rembourser 1,5 milliard d’euros au Fonds monétaire international (FMI) le 30 juin, ainsi que 3,5 milliards d’euros à la Banque centrale européenne (BCE) le 20 juillet. En cas de non-remboursement le 30 juin, la Grèce se retrouverait en défaut de paiement, comme l’a répété la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, à Luxembourg le 18 juin 2015.
Or, la perspective d’un tel défaut ranime les craintes d’une sortie de la Grèce de la zone euro ("Grexit", pour "Greece exit" en anglais) aux conséquences imprévisibles tant pour la zone que l’Union européenne, dont le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a récemment jugé qu’elle poserait certainement davantage de soucis et de contraintes.
Si le ton avait paru s’apaiser entre les deux parties lors de la dernière réunion de l’Eurogroupe du 11 mai 2015 après des discussions difficiles qui s’étaient tenues lors d’une réunion informelle des ministres à Riga le 24 avril précédent, la réunion du 18 juin s’est donc conclue sur un constat d’échec. Le président de l’Eurogroupe, le ministre néerlandais des Finances Jeroen Dijsselbloem, a ainsi dit regretter lors de la conférence de presse à l’issue de la rencontre que "trop peu de progrès avaient été accomplis" et qu’ "aucun accord n’était encore en vue".
Il a souligné à cet égard que conformément à l’accord provisoire du 20 février, les propositions avancées par les institutions avaient pris en compte la situation économique en Grèce en ajustant les objectifs et les échéanciers budgétaires et fait usage de la flexibilité prévue par l’accord, notamment pour ce qui était de permettre à la partie grecque de soumettre ses propres propositions de réformes pour remplacer celles des institutions. Or, jusqu’à présent, "trop peu des mesures qui ont été mises en avant et ont été évaluées sont suffisamment crédibles et sérieuses pour être intégrées dans un nouvel accord", a-t-il dit.
"Nous savions tous que cette réunion allait être difficile, mais j’ai souligné qu’elle devait aussi être utile [et] nous rapprocher d’une solution. Je l’espérais mais je ne suis pas sûr qu'on puisse utiliser ce qualificatif", a pour sa part commenté le commissaire européen en charge des Affaires économiques et financières, Pierre Moscovici. Il a fait état d’une "situation de blocage" dans les discussions menées depuis deux semaines, jugeant la situation "extrêmement difficile et préoccupante" en raison des échéances à venir. "Pour éviter le pire, dans les prochains jours il faudra prendre des décisions. Il aurait été souhaitable de les prendre aujourd’hui, mais cela n’a pas été possible. Donc on est désormais en fin de partie", a-t-il dit.
Jeroen Dijsselbloem a dans ce contexte souligné que la réunion du jour avait été l’occasion d’envoyer "un signal fort aux autorités grecques". "C’est véritablement à eux de soumettre de nouvelles propositions supplémentaires dans les prochains jours pour engager pleinement avec les institutions", a-t-il indiqué, notant qu’il était, à l’heure actuelle, "encore possible de trouver un accord et de prolonger le programme actuel avant la fin de ce mois". Mais de répéter que "la balle est clairement dans le camp grec pour saisir cette dernière occasion", et que l’Eurogroupe était prêt à examiner un tel accord dans les prochains jours, à condition qu’il soit "crédible" à la fois pour la Grèce et pour la zone euro dans son ensemble. Mais pour le ministre néerlandais, qui a reconnu que les membres de la zone euro se "prépar[aient] à toutes les éventualités", désormais "le temps est vraiment compté".
"Je lance un dernier appel au gouvernement grec à revenir à la table des négociations, à s’engager de façon constructive, à faire des compromis raisonnables, pour éviter un sort tout à fait catastrophique pour ce pays qui a déjà vécu tant de difficultés", a appuyé de son côté Pierre Moscovici. Le commissaire européen a d’ailleurs tenu à rappeler que le seul objectif "au moins du côté de la Commission" dans les discussions était "celui d’une Grèce stable, solide, prospère, capable de générer les emplois et la croissance durable dont ses citoyens ont besoin. Une Grèce qui respecte ses engagements et qui reste fermement ancrée dans la zone euro" alors que l’intransigeance supposée des créanciers a été plusieurs fois dénoncée par la Grèce. Et de répéter qu’il était "dans l’intérêt de nous tous que l’on conserve l’intégrité – nous sommes 19 – et l’irréversibilité de l’euro" et qu’il n’y ait "pas de retour en arrière". Toujours en conférence de presse, la directrice du FMI, Christine Lagarde, a quant à elle martelé que "la question clé [était] de restaurer le dialogue. Avec des adultes dans la salle".
De son côté, le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, a répondu lors d’une conférence de presse à l’issue de l’Eurogroupe que son pays avait "envoyé un signal fort à [ses] partenaires et aux institutions en soumettant des propositions larges, complètes et crédibles qui, si elles étaient acceptées, permettraient dans un court laps de temps de résoudre la crise grecque une fois pour toutes". Et de rappeler que les deux parties s’étaient déjà approchées d’un accord sur les parties les plus importantes des propositions et qu’en termes budgétaires, "nos concessions nous ont amené à une position qui diffère d’un demi-point de pourcentage de PIB par rapport à ce que demandent les institutions", soit un écart "trop faible pour justifier une dangereuse impasse".
Or, Yanis Varoufakis assure que la "véritable" raison de l’interruption des négociations ces derniers jours serait due à l’absence de mandat des délégués des institutions notamment pour négocier sur les moyens de combler cet écart. "Malheureusement, aucune discussion de notre proposition n’a eu lieu au sein de l'Eurogroupe", a encore regretté le ministre grec. "Nous sommes dangereusement proches de l'état d'esprit où l'on accepte un accident" sur la dette, a-t-il dit. "J'ai demandé à mes collègues de ne pas accepter une telle façon de penser", a-t-il ajouté.
Trois questions resteraient en suspens : la réforme des retraites, la TVA et les objectifs budgétaires, un dernier point sur lequel un accord serait toutefois proche. Mais pour les Grecs, un allègement du fardeau de la dette est une condition sine qua non à un accord, selon le ministre grec. Il a assuré que la Grèce devait continuer à se réformer, mais que l'heure n'était plus aux coupes budgétaires.
Pour couper court à toute spéculation sur ses propos au sein de l’enceinte de l’Eurogroupe, Yanis Varoufakis a par ailleurs diffusé sur son blog personnel le texte de son intervention devant ses pairs. Le quotidien grec Kathimerini avait de son côté publié le 15 juin la dernière liste des propositions grecques soumises la veille aux Européens. Ainsi, sur la TVA, le document propose trois taux afin de faire rentrer 1,4 milliard d'euros dans les caisses : 6 %, 13 % et 23 %. Le taux de TVA sur l'électricité serait ainsi maintenu à 13 %, et non augmenté à 23 %, comme le veulent les institutions, ce sur quoi la Commission s’est dite prête à discuter.
Le 15 juin, la Commission avait d’ailleurs communiqué pour la première fois sur la substance des discussions, détaillant les propositions communes des institutions. Disant vouloir éviter les malentendus, Annika Breidthardt, porte-parole de la Commission, avait expliqué lors du point presse quotidien de l’institution que l’ajustement budgétaire demandé à la Grèce avait fait l'objet de concessions majeures de la part des créanciers. L'excédent budgétaire primaire devrait être en effet de 1 % en 2015, de 2 % en 2016 et devrait atteindre 3,5 % en 2018, alors que les précédents objectifs prévoyaient un excédent primaire de 3 % en 2015 et de 4,5 % en 2016 et au-delà.
La Commission avait par ailleurs démenti réclamer des coupes dans les pensions individuelles, mais précisé qu'il s'agissait de supprimer les mauvais incitants à la retraite anticipée, de repousser l'âge de la pension et de rendre le système des retraites grec financièrement viable à long terme alors qu’il serait parmi les plus chers d'Europe. Les institutions ont fixé un objectif d'économies sur le système des retraites de 1 % du PIB annuellement, alors que les Grecs ont proposé d'économiser moins de 0,04 % du PIB en 2016, a-t-elle expliqué. La Commission a également démenti vouloir des coupes dans les salaires, précisant qu'il fallait que ceux-ci progressent en ligne avec la productivité et les besoins de compétitivité de l'économie. Les institutions veulent également que soient "modernisées" les conventions collectives et que la collecte de la TVA soit améliorée.
C’est dans ce contexte que le président du Conseil européen, Donald Tusk, a décidé de convoquer un sommet de la zone euro dans la soirée du 22 juin, jugeant qu’il était "temps de discuter, de façon urgente, de la situation grecque au plus haut niveau politique", lit-on dans un communiqué diffusé par le service de presse du Conseil. Le conseil des gouverneurs de la BCE doit par ailleurs tenir une conférence exceptionnelle le 19 juin 2015 pour discuter d'un possible relèvement des financements d'urgence (ELA) aux banques grecques, selon plusieurs agences de presse.
Les ministres des Finances de la zone euro ont également fait le point sur la situation d’un autre pays sous programme d’assistance macrofinancière, Chypre. Ils ont ainsi salué la conclusion de la sixième mission d’examen du programme et le fait que "le programme chypriote a été ramené sur la bonne voie". L’Eurogroupe a donc "approuvé en principe" le mémorandum actualisé d'entente avec les autorités chypriotes qui ouvre la voie à un décaissement de 100 millions d’euros de la part du Mécanisme européen de stabilité (MES/ESM).
"Les réformes dans le secteur financier ont progressé. Après des retards répétés, le cadre juridique établissant une nouvelle procédure de saisies immobilières est entré en vigueur. Une réforme complète des lois sur l'insolvabilité des entreprises et des personnes a également été adoptée. Ces développements ont marqué une étape essentielle vers la résolution du niveau très élevé de prêts non performants, ce qui est un frein à la reprise de la croissance et la création d'emplois à Chypre", lit-on dans une déclaration adoptée par l’Eurogroupe.
Mais de préciser que "de nouvelles mesures pour lutter efficacement contre le très important stock des arriérés demeurent une priorité essentielle". La déclaration appelle par ailleurs les autorités "à donner une impulsion renouvelée à l'application de l’agenda budgétaire de réforme structurelle, notamment la privatisation et la réforme de l'administration publique, afin d'améliorer les perspectives de croissance économique et de renforcer les finances publiques, tout en préservant la protection des groupes les plus vulnérables".
Pour rappel, lors de sa réunion informelle du 12 septembre 2014, l’Eurogroupe avait gelé la nouvelle tranche d’aide de 436 millions d’euros suite à la tentative des parlementaires chypriotes de réduire les effets de la loi sur les saisies immobilières – demandée par la troïka – pour les personnes à faibles revenus et d’empêcher ainsi des saisies de masse.
Pour le Portugal, les ministres ont également examiné la situation sur la base d'un compte rendu des institutions portant sur les principaux résultats de la deuxième mission de surveillance post-programme. "Nous avons salué les progrès accomplis et le renforcement attendu de la reprise économique au Portugal. Dans le même temps, les défis budgétaires et structurels demeurent, mais nous sommes confiants que les efforts portugais seront maintenus", a dit Jeroen Dijsselbloem en conférence de presse. "Le Portugal commence déjà à voir certains avantages des réformes structurelles qu'il a mises en place, mais il sera essentiel de poursuivre le programme de réformes en vue de renforcer davantage les perspectives à moyen terme pour la création de croissance et d'emplois et d'assurer l'amélioration structurelle de ses finances publiques à long terme", a complété Pierre Moscovici.
Les ministres des Finances ont enfin mené une discussion plus large sur la situation économique dans la zone euro, sur base notamment d’un compte rendu de Christine Lagarde sur le récent examen de la zone euro mené par le FMI. "Le FMI voit, comme nous le faisons, un renforcement de la reprise conjoncturelle en cours, mais cela est en grande partie dû à des facteurs temporaires, de sorte que nous avons besoin de continuer à nous concentrer sur les moyens d'accroître notre potentiel de croissance et de pousser en avant les réformes structurelles qui sont nécessaires dans ce sens", a indiqué le président de l’Eurogroupe en conférence de presse.
Celui-ci a souligné "un large accord" au sein de l'Eurogroupe sur les priorités politiques définies par le Fonds, à savoir les réformes structurelles, les politiques budgétaires appropriées et l’assurance que le secteur financier peut financer les économies. "En particulier, l'un des messages du Fonds est d'utiliser à bon escient les rendements découlant de taux d'intérêt inhabituellement bas", a-t-il poursuivi. Les ministres ont par ailleurs eu une discussion sur le sujet de la faiblesse des taux d’intérêts, et ils ont convenu que ces taux ouvraient "une fenêtre d'opportunité pour consolider les finances publiques", pour "investir, par exemple, dans les infrastructures", et "pour réformer nos économies", a encore dit Jeroen Dijsselbloem.