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Entreprises et industrie - Concurrence - Fiscalité
Le nouveau paquet anti-évitement fiscal proposé par la Commission est accueilli favorablement par une majorité d’eurodéputés qui regrettent pour certains que les mesures n’aillent pas plus loin
02-02-2016


Session plénière du Parlement européen à Strasbourg (source: Parlement européen)Le nouveau paquet de mesures pour lutter contre l’évasion fiscale des entreprises, présenté le 28 janvier 2016 par la Commission européenne, était à l’ordre du jour de la séance plénière du Parlement européen qui a débattu, le 2 février 2016, de ce troisième plan d’action soumis par l’institution depuis le début de l’année 2015.

Dans son discours d’introduction, le commissaire européen en charge de la Fiscalité, Pierre Moscovici, a rappelé la "nécessité absolue" de présenter des mesures concrètes et d’améliorer la transparence, ce à quoi visent justement les propositions de la Commission dans ce contexte.

Après les avoir une nouvelle fois résumées, le commissaire a mis l’accent sur plusieurs points cruciaux à ses yeux. Il a notamment insisté sur la nécessité d’éviter des effets à géométrie variable et d’éviter d’avoir une application disparate des mesures du plan d’action BEPS de l’OCDE "ce qui mettrait de facto notre paquet en échec". "Une approche commune était donc essentielle", a-t-il dit, notant que certaines approches de la Commission allaient même plus loin que BEPS.

Pour ce qui est de la question posée sur l’attractivité et de la compétitivité de l’Union, il a rappelé que les initiatives de la Commission n’y étaient pas hostiles, "au contraire". "Je pense profondément que transparence et compétitivité vont de pair, les mesures que je propose éviteront une mosaïque de législations nationales qui nuiraient fortement au fonctionnement du marché intérieur et donc aux entreprises".

Enfin, il a rappelé que ce paquet, "le plus ambitieux proposé par une Commission européenne", n’était que le début d’une série d’initiatives, 2016 étant notamment l’année de la renaissance de la proposition d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). Celle-ci "a le mérite d’apporter une réponse globale au problème des transferts de bénéfices au sein de l’UE, tout en offrant un cadre optimale aux entreprises pour leurs échanges économiques". Les services de la Commission travaillent désormais sur une proposition par étape puisque la précédente proposition n’a pas recueilli le soutien des Etats membres.

Le débat

Pour le groupe PPE, l’eurodéputé Alain Lamassoure, qui a présidé la commission spéciale TAXE1 sur les rescrits fiscaux ("tax rulings"), s’est félicité "du contenu et du calendrier" des propositions de la Commission qui reprennent "très largement" les recommandations formulées par le Parlement européen dans le rapport de la commission spéciale adopté le 25 novembre 2015 par les eurodéputés. Il a néanmoins regretté l’absence de la Présidence néerlandaise du Conseil de l’Union européenne (UE) lors de ce débat, car celle-ci "aurait pu nous dire quelles sont les conséquences qu’elle entend tirer de ces propositions au cours de ces six mois".

L’eurodéputé du groupe chrétien-démocrate a encore souligné que dans le contexte de la pression publique née des révélations dites Luxleaks sur la pratique des rescrits fiscaux au Luxembourg et relayée par le Parlement, "un changement d’état d’esprit est en train de s’imposer à tout le monde", l’accord récent entre Google et l’administration britannique sur les arriérés de paiement de cette multinationale en étant "un exemple comique" selon lui.

"Pendant des années nos pays se sont concurrencés en grand secret pour savoir qui serait le plus généreux fiscalement par rapport à ce type de multinationale, et maintenant nous allons assister à une concurrence, au moins en apparence, pour être celui qui fera le plus payer ce genre de multinationale", a-t-il ainsi dit, notant en conséquence l’urgence de la relance annoncée de la proposition d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) "afin d’avoir une base fiscale harmonisée dans l’UE".

Pour ce qui est de la publication des futures déclarations pays par pays des multinationales sur leurs profits et les taxes payées, donc partout là où elles opèrent, Alain Lamassoure a encore estimé que la proposition actuelle, qui limiterait les informations aux seules administrations fiscales, mènerait à ce que certaines multinationales publient d’elles-mêmes ces informations en jugeant y trouver un avantage commercial, et que les autres finiraient par suivre. "Il ne faudrait pas que nos institutions arrivent après la bataille, proposons-le d’emblée", a-t-il dit.

Du côté du groupe S&D, l’enthousiasme était également de mise. Elisa Ferreira, porte-parole du groupe pour les affaires économiques et monétaires et co-rapporteure de la commission spéciale TAXE1, a ainsi salué "un premier pas dans la bonne direction" pour contrer l'évasion fiscale et l'évitement fiscal, félicitant la Commission pour ses "propositions ambitieuses" et le "changement historique" dans l’approche de l’UE par rapport à la fiscalité.

L’eurodéputée socialiste a néanmoins mis en avant l’absence d’éléments essentiels à ses yeux, notamment pour déterminer où une multinationale devrait payer ses impôts, à savoir une définition commune et précise de "l'établissement stable" – les conditions qui attestent qu'une multinationale est bien implantée dans un pays – ainsi que des paradis fiscaux. "Malheureusement, nous avons qu’il n’est pas encore possible de demander cela", a-t-elle dit.

Elisa Ferreira a encore appelé le Conseil de l’UE, où sont représentés les Etats membres, à accepter ce changement de paradigme et à ne pas affaiblir ces propositions qui sont considérées comme "un minimum". Selon elle, les gouvernements européens devraient même aller plus loin et approuver les demandes du Parlement européen visant à imposer le caractère public des futures déclarations pays par pays des multinationales, une autre priorité selon la députée est la relance annoncée de la proposition d’ACCIS.

Dans ce contexte, elle a également regretté l’absence de la Présidence néerlandaise du Conseil de l’UE jugée étonnante. "Le rapport de la commission spéciale dit que les Etats membres qui ont eu un rôle fondamental dans la facilitation de l’évasion fiscale doivent assumer leurs responsabilités et prendre la tête des efforts pour renforcer la coopération fiscale entre les Etats membres", a-t-elle souligné.

Pour le groupe ECR, l’eurodéputé Sander Loones a pour sa part dénoncé une mauvaise communication de la Commission, alors que l’on parle systématiquement d’augmenter la fiscalité mais jamais de baisser les taxes pour des d’entreprises plus efficaces. "Les entreprises ne sont pas des vaches à lait, elles créent de l’emploi et apportent de la prospérité", a-t-il ainsi jugé, notant que s’il fallait veiller à ce que chacun paye sa juste part et que les multinationales ne puissent éviter l’impôt, cela devrait se faire en améliorant l’échange entre autorités fiscales pour parvenir à davantage de transparence "tout en restant vigilant".

Pour l’eurodéputé conservateur, cette vigilance doit d’abord s’exercer à l’égard des PME "qui doivent rester compétitives". "Nous ne pouvons autoriser de compétition déloyale entre les Etats membres", a-t-il poursuivi, jugeant donc que la proposition de base fiscale commune de l’ACCIS était une "mauvaise idée".

En deuxième lieu, il s’agit de tenir compte du contexte international et de ne pas mettre en place des obligations allant trop loin, et en particulier plus loin que les normes recommandées par l’OCDE. De telles obligations supplémentaires "non nécessaires" affaibliraient en effet la compétitivité des entreprises européennes et "nous nous tirerions nous-mêmes une balle dans le pied" a souligné Sander Loones. Enfin, il faudra s’assurer que la Commission "tienne sa promesse", à savoir de "garantir qu'en aucun cas des charges administratives supplémentaires ne pèseront sur les épaules des PME", a encore estimé l’eurodéputé.

De la part du groupe ALDE, l’eurodéputé Michael Theurer, également co-rapporteur de la commission spéciale TAXE1, a estimé que les propositions de la Commission européenne représentaient "une importante étape" pour créer un système fiscal juste en Europe et permettre aux autorités fiscales nationales de mettre un terme aux échappatoires qui ont permis la pratique de l’évasion fiscale par certaines multinationales. Il s’est également félicité que la Commission ait repris à son compte quelques-uns des éléments essentiels du rapport de la commission spéciale, en particulier en ce qui concerne la lutte contre le transfert de bénéfices et les paiements d'intérêts à des sociétés affiliées dans les pays à faible niveau d’imposition.

Selon l’eurodéputé libéral, il en va notamment de l’équité à l’égard des PME qui n’ont pas les moyens de pratiquer la planification fiscale, et les propositions de la Commission en la matière permettront de créer un cadre législatif qui introduit "des règles du jeu équitables" ("level playing field") pour les entreprises. S’il a encore jugé que l’échange automatique d’informations était un moyen d’y parvenir, il en va de même selon lui de la mise en place de l’ACCIS et de sa base fiscale commune, "dont on ne sait pas quand on peut l’attendre", a-t-il regretté.

Le coordinateur du groupe de la GUE/NGL au sein de la commission spéciale TAXE, l’eurodéputé Fabio De Masi, a pour sa part regretté au nom de son groupe le manque d’ambition de ce troisième paquet de propositions de la Commission pour contrer l’évasion fiscale des entreprises qui ne ferait aucune différence concrète alors que des scandales comme celui des Luxleaks pourraient aujourd’hui se reproduire. Par ailleurs, il juge les propositions de la Commission comme étant relativement faibles par rapport à celles de l’OCDE qui avait recommandé des limitations de la déductibilité d'intérêts et des règles sur les sociétés étrangères contrôlées "plus strictes".

L’eurodéputé de la gauche radicale a par ailleurs réfuté à l’UE le caractère de leader dans la lutte contre l’évasion fiscale mis en avant par la Commission alors qu’il n’existe pas de liste noire des paradis fiscaux au sein de l’Union qui "sont pourtant parmi les plus importants dans le monde".

Pour le groupe des Verts/ALE, sa co-présidente, Eva Joly, a concédé que les propositions de la Commission représentaient une "étape supplémentaire" dans la lutte contre l’évasion fiscale. Elle a notamment salué à cet égard la proposition de taxe de sortie qui vise à empêcher les entreprises de délocaliser leurs actifs dans le seul but d’éluder l’impôt et qui permettrait "de taxer au moins une fois des bénéfices délocalisés hors de l’UE".

Elle a néanmoins relevé qu’en l’état, ces propositions étaient "incomplètes", et qu’elles "ne mettraient pas fin aux pratiques les plus cyniques". Elle a également prévenu que la responsabilité de la lenteur des progrès pour combler les lacunes règlementaires revenait de plus en plus clairement aux Etats membres "qui derrière les discours continuent de se mener une guerre fiscale destructrice". "Le redressement fiscal ultra-avantageux – à savoir 3 % sur 10 ans – accordé par le ministre britannique George Osborne à Google, participe de cette dynamique qui foule au pied l’esprit de solidarité européenne".

Elle a enfin appelé la Commission à donner les moyens au plus grand nombre, et notamment au Parlement et à la société civile, de maintenir la pression sur les Etats membres et a demandé à l’institution de se prononcer publiquement pour la publicité des déclarations pays par pays.

Au nom du groupe EFDD, l’eurodéputé Tim Aker a rappelé que la souveraineté en matière fiscale des Etats membres s’expliquait par les différences culturelles entre les pays qui ont tous leurs propres forces, à savoir la France le vin, les Allemands l’industrie et les Espagnols le tourisme, a-t-il dit.

Or, selon le député eurosceptique, chaque pays doit pouvoir refléter ses forces dans son propre système fiscal, d’où la nécessité de laisser cette politique aux Etats membres alors que "les solutions de l’UE à tous les problèmes sont l’harmonisation". Dès lors, les propositions de la Commission ne permettront pas de fermer les échappatoires ouvertes, mais au contraire, elles chasseront les entreprises hors de l’Union avec des milliers de pertes d’emploi en conséquence.

Enfin, pour le groupe ENF qui rassemble notamment les membres du Front National français (extrême droite), l’eurodéputée Barbara Kappel a jugé qu’il fallait mettre un terme à la concurrence fiscale déloyale et elle a appuyé les propositions de la Commission en la matière.

Dans sa réponse aux eurodéputés, Pierre Moscovici a, une nouvelle fois, insisté sur le fait que la justice fiscale et la transparence ne s’opposaient pas à l’efficacité économique, et que le mouvement était global, l’UE n’étant pas seule dans ce combat. "Plus de 100 juridictions se sont engagées à mettre en œuvre les actions BEPS, ce qui apportera plus de sécurité juridique, moins de charges administratives, et plus de justice fiscale", a-t-il dit.

Sur l’approche des Etats membres, le commissaire s’est dit confiant dans leur bonne volonté, alors que ce sujet serait consensuel dans le contexte d’une pression publique européenne et mondiale. "Mais l’unanimité à 28 est toujours un énorme défi", a-t-il ajouté.

Enfin, sur la question de la publicité du reporting pays par pays, Pierre Moscovici a répété sa conviction personnelle, à savoir qu’il était en faveur de cette publicité, mais qu’il fallait être pragmatique et que la proposition viendrait une fois que la Commission aura terminé son étude d’impact censée vérifier son impact sur la compétitivité des entreprises. "Oui à la publicité à condition de ne pas pénaliser la compétitivité", a-t-il conclu.