Dans le cadre de son action pour s’attaquer à l’évasion fiscale des entreprises et la concurrence fiscale dommageable au sein de l’Union européenne (UE), la Commission européenne a présenté, le 28 janvier 2016, un nouveau paquet de mesures visant à apporter une réponse coordonnée de l'Union dans ce contexte.
Ce plan, détaillé dans une communication de l’institution, vient ainsi compléter le paquet sur la transparence fiscale proposé par la Commission en mars 2015. Celui-ci contenait notamment une proposition de directive sur l’échange automatique d'informations sur les décisions fiscales anticipées, adoptée dès décembre suivant sous Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE, après un accord politique marqué le 6 octobre 2015 en Conseil ECOFIN. Il complète par ailleurs une seconde série de mesures proposées en juin 2015 en vue de réformer la fiscalité des entreprises. Celles-ci visaient notamment à relancer le projet de directive sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), à définir un cadre permettant d'assurer une imposition effective là où les bénéfices sont réalisés et à renforcer la transparence dans le domaine fiscal.
Dans son nouveau paquet de lutte contre l’évasion fiscale, la Commission propose une série d’actions supplémentaires dans ce contexte, et notamment deux propositions législatives : la première concerne des mesures juridiquement contraignantes pour briser certains des mécanismes d’évasion fiscale les plus répandus, et la seconde vise à instaurer un échange des déclarations pays par pays entre les administrations fiscales concernant certaines informations fiscales essentielles des multinationales opérant dans l’UE.
Pour justifier cette nouvelle série de mesures, la Commission européenne rappelle que l’évasion fiscale des entreprises "prive les budgets publics de milliards d’euros chaque année, alourdit la charge fiscale pesant sur les citoyens et entraîne des distorsions de concurrence pour les entreprises qui paient leur part de l’impôt", précise une fiche d’information datée du 28 janvier.
Dans ce document, elle précise que selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le manque à gagner mondial dû aux transferts de bénéfices coûte de 100 à 240 milliards de dollars chaque année, soit l’équivalent de 4 à 10 % des recettes tirées de l’impôt sur les sociétés dans le monde. Le service de recherche du Parlement européen a chiffré ces pertes de recettes à environ 50 à 70 milliards d’euros par an dans l’UE. Ces milliards manquants "pourraient servir à financer des services publics comme les écoles et les hôpitaux ou encore à stimuler l'emploi et la croissance", a souligné le commissaire européen en charge de la Fiscalité, Pierre Moscovici, en conférence de presse. "C'est finalement sur les contribuables européens et les entreprises qui jouent le jeu que retombe le poids de ce déficit de recettes. C'est inacceptable et nous prenons toutes les mesures qui s'imposent", a-t-il poursuivi.
Le paquet de mesures vise d’ailleurs dans ce contexte à inscrire certaines des normes mondiales élaborées par l’OCDE en octobre 2015 dans le cadre des travaux sur la lutte contre le phénomène qualifié de BEPS (érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices ou "base erosion and profit shifting" en anglais) dans le droit de l’UE. Et l’institution d’assurer encore que ses propositions "complète[nt] et renforce[nt]" le projet BEPS.
Concrètement, le paquet s’articule autour des trois principaux piliers de l'action menée jusqu’à présent en faveur d’une fiscalité plus juste, souligne également la Commission, à savoir garantir une imposition effective dans l’UE, renforcer la transparence fiscale et garantir des conditions de concurrence équitables.
Dans le communiqué de presse diffusé dans le contexte du lancement du plan d’action, la Commission rappelle que "le principe fondamental de l’impôt sur les sociétés repose sur l'idée que les entreprises doivent être imposées là où elles réalisent leurs bénéfices".
Le paquet de mesures présente donc des propositions spécifiques visant à aider les États membres à faire en sorte que ce soit le cas, en particulier une directive sur la lutte contre l’évasion fiscale prévoyant six mesures anti-abus contraignantes pour lutter contre certaines formes courantes de planification fiscale agressive. Le paquet contient également une recommandation sur les conventions fiscales qui "indique aux États membres les meilleurs moyens de protéger leurs conventions fiscales contre les pratiques abusives, d’une manière qui soit conforme au droit de l'UE", lit-on dans le communiqué.
La Commission estime par ailleurs que la transparence est essentielle pour repérer les pratiques de planification fiscale agressive des grandes entreprises et assurer une concurrence fiscale loyale. Les nouvelles mesures prévoient donc d’accroître la transparence sur les impôts que paient les entreprises, au moyen d’une proposition de révision de la directive sur la coopération administrative. En vertu des règles proposées, les multinationales seraient obligées de déclarer un certain nombre d’informations fiscales sur leurs activités pays par pays (dit aussi "reporting" fiscal par pays) et les autorités nationales pourront échanger ces informations. "Tous les États membres disposeront ainsi d'informations essentielles pour détecter les risques d’évasion fiscale et mieux cibler leurs contrôles fiscaux", affirme la Commission dans son communiqué.
La Commission y précise par ailleurs qu’elle s'est également attelée à l'examen de la question, "distincte", de la diffusion publique des déclarations pays par pays. Celle-ci "fait en ce moment l'objet d'une analyse d’impact en vue de la présentation d'une initiative au début du printemps", explique encore l’institution. La Commission avait en effet annoncé en proposant son paquet sur la transparence fiscale en mars 2015, qu’elle allait "évaluer la nécessité d’étendre [aux multinationales cette] obligation", en vigueur pour les banques ou les entreprises forestières.
Elle avait cependant été devancée par le Parlement européen, où, dans le cadre de la révision de la directive sur le droit des actionnaires, les eurodéputés de la commission des Affaires juridiques (JURI) ont inclus dans la position du Parlement l'obligation pour certaines "grandes entreprises et entités d'intérêt public" d’un "reporting" fiscal pays par pays. Le vote de cette position en plénière, prévu le 10 juin 2015, avait néanmoins été repoussé à la plénière du mois de juillet où elle avait finalement été adoptée à une large majorité par les députés européens.
Dans son communiqué, la Commission estime par ailleurs que "l’évasion fiscale et la concurrence fiscale dommageable revêtent une dimension mondiale" et que, alors même que les États membres s'efforcent de mettre en œuvre de nouvelles normes mondiales en la matière, "il importe que les partenaires internationaux de l'UE fassent de même". Elle juge encore que les pays en développement devraient également participer au réseau de bonne gouvernance fiscale internationale "afin de pouvoir bénéficier eux aussi des retombées positives de la lutte mondiale contre l’évasion fiscale".
Le paquet proposé par la Commission comprend donc une communication sur une stratégie extérieure pour une imposition effective. "Son objectif est de renforcer la coopération avec les partenaires internationaux dans la lutte contre l’évasion fiscale, d'améliorer les mesures de l’UE visant à promouvoir la justice fiscale à l’échelle mondiale conformément aux normes internationales et de définir une approche commune face aux menaces extérieures d’évasion fiscale", explique notamment l’institution qui affirme que ce dispositif "permettra de garantir des conditions équitables pour toutes les entreprises et tous les pays".
La Commission a également publié dans ce contexte une nouvelle étude sur la planification fiscale agressive, qui analyse les règles fiscales des Etats membres (ou le manque de telles règles) qui facilitent la planification fiscale agressive et passe en revue les principaux instruments utilisés par les entreprises pour échapper à l’impôt.
La Commission confirme par ailleurs dans son communiqué son intention de relancer le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) dans le cadre des propositions qu’elle a l’intention de faire tout au long de 2016 en vue de poursuivre son action en faveur de la réforme de l’impôt sur les sociétés. En juin 2015, elle avait assuré qu’une nouvelle proposition, visant à instaurer une ACCIS obligatoire par étapes, serait présentée "dès que possible en 2016", et au plus tard "d'ici 18 mois".
Pour mémoire, la proposition est bloquée au Conseil de l’UE depuis qu’elle a été proposée par la Commission en 2011, faute de consensus entre les Etats membres sur le sujet dans un domaine qui requiert l’unanimité. En décembre 2014, le commissaire Pierre Moscovici avait déjà indiqué qu’elle serait la réponse adéquate pour lutter contre les pratiques dommageables en matière fiscale mais qu’elle exigeait "un nouvel élan". Il répondait à l’appel de l’Allemagne, de la France et de l’Italie à engager l’UE sur la voie d’une harmonisation fiscale formulée dans le contexte des révélations "Luxleaks" et de la mise en cause de la pratique des "tax rulings" (ou rescrits fiscaux) dans plusieurs Etats membres, dont le Luxembourg.
Pour rappel, le paquet de mesures dévoilé le 28 janvier 2016 par la Commission européenne, venu compléter le plan d’action du 17 juin 2015 et le "paquet sur la transparence fiscale" proposé en mars 2015, s’inscrit dans le cadre du programme de travail adopté par la Commission en décembre 2014 qui prévoit de développer "une approche fiscale plus équitable" dans l’UE, conformément aux orientations politiques de son président, Jean-Claude Juncker, présentées au Parlement européen en juillet 2014.
Le paquet s’inscrit par ailleurs plus largement dans le contexte des quatre enquêtes approfondies ouvertes dès juin 2014 par la Commission sur la compatibilité avec les règles de l'UE en matière d’aides d’État de certaines pratiques fiscales – notamment les "tax rulings" – en vigueur dans certains Etats membres dans le cadre de la planification fiscale agressive pratiquée par certaines multinationales. Sont visés le Luxembourg, où la Commission s’est penchée sur les rulings conclus à l’égard de Fiat Finance and Trade (FFT) et d’Amazon, tandis qu’elle a examiné des accords similaires en Irlande (visant Apple) et aux Pays-Bas (vis-à-vis de Starbucks).
Le 21 octobre 2015, la Commission a publié ses premières conclusions dans lesquelles elle a jugé que pour FFT et Starbucks, le Luxembourg et les Pays Bas avaient accordé des avantages fiscaux sélectifs, illégaux au regard des règles de l’UE en matière d'aides d'État. Les deux Etats ont été enjoints de récupérer des sommes s’élève de 20 à 30 millions d’euros auprès de ces deux entreprises, mais tant le Luxembourg que les Pays-Bas ont contesté ces conclusions et annoncé leur intention de faire appel de ces décisions.
En février 2015, la Commission avait par ailleurs ouvert une enquête similaire sur le système belge, en tant que tel, des rulings, et était arrivée à des conclusions identiques en janvier 2016. Dans sa décision, elle indiquait qu’au moins 35 multinationales avaient bénéficié de ce régime et devaient désormais rembourser environ 700 millions d’euros d’impôts impayés à la Belgique.
Enfin, toutes ces propositions font suite aux révélations dites "Luxleaks" par un consortium international de journalistes d’investigation en novembre 2014. Cette enquête avait alors mis le Luxembourg en cause comme un moteur d’évasion fiscale pour de grandes multinationales (à cause des "tax rulings" accordés par l’administration), mais surtout, elle avait mis en lumière la manière dont certaines entreprises exploitaient la concurrence fiscale entre les pays de l'UE pour réduire drastiquement leur contribution à l’impôt, parfois sous la barre de 1 % de leurs bénéfices.
C’est encore dans ce contexte que le Parlement européen a mis en place la commission spéciale TAXE sur les rescrits fiscaux en février 2015, celle-ci ayant notamment été chargée d’examiner les pratiques relatives aux rescrits fiscaux depuis 1991, de déterminer l'impact négatif de la planification fiscale agressive sur les finances publiques et de présenter des recommandations. Le rapport de la commission spéciale a été adopté par le Parlement le 25 novembre 2015 et la commission a obtenu un nouveau mandat de six mois, approuvé le 2 décembre suivant.