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Traités et Affaires institutionnelles
Les députés européens réunis en mini-plénière ont scruté avec Donald Tusk et Jean-Claude Juncker l’avenir de l’UE sous le signe de l’accord avec le Royaume-Uni et de la crise migratoire
24-02-2016


Le 24 février 2016, le président du Conseil européen, Donald Tusk, et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, sont intervenus lors d’un débat devant la mini-plénière du Parlement européen à Bruxelles pour faire le point sur les conclusions du Conseil européen des 18 et 19 février consacré à la question britannique (Brexit) et à la crise migratoire dans l’UE. La plupart des députés ont souligné que le pays se porterait mieux s'il restait dans l'Union européenne. Certains ont pourtant estimé que le Royaume-Uni aurait avantage à quitter l'Europe.

L’intervention de Donald Tusk

Donald Tusk au Parlement européen, le 24 février 2016, lors du débat sur l'avenir du Royaume-Uni dans l'UELe président Tusk a commencé par indiquer que le dernier Conseil européen avait été l’un des plus difficiles de son mandat et que même si une solution commune avait été trouvée, la vraie épreuve se trouvait "devant nous", avec le référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’UE que le Premier ministre britannique, David Cameron, a prévu pour le 23 juin 2016. A ce sujet, "seuls les citoyens britanniques pourront décider et décideront", a dit Donald Tusk.

Le président du Conseil s’est félicité du fait que les 28 chefs d’Etat et de gouvernement aient pu se mettre d’accord unanimement sur un nouvel arrangement juridiquement contraignant et irréversible pour le Royaume-Uni dans l’UE. "Le nouvel arrangement est en conformité avec les traités et ne peut pas être annulé par la Cour de justice de l’UE", a-t-il dit, rappelant qu’il n’entrerait en vigueur que si les citoyens britanniques votent oui. Dans le cas contraire, l’accord cessera d’exister, a-t-il expliqué.

Donald Tusk a précisé que les principes fondamentaux de l’Union, comme la liberté de mouvement et la non-discrimination, n’ont pas été remis en cause par l’accord, de même que le futur de l’Union économique et monétaire n’a pas été compromis.

L’UE respectera la décision des citoyens britanniques, a promis Donald Tusk. Si la majorité vote pour une sortie, c’est que ce qui arrivera, a-t-il assuré, regrettant cependant que cela ne "change l’Europe à jamais" et assurant qu’il ferait tout son possible pour l’empêcher.

Au sujet de la crise migratoire, l’autre thème à l’ordre du jour du Conseil européen, les chefs d’Etat et de gouvernement ont réaffirmé que la Plan d’action conjoint avec la Turquie restait une "priorité" et qu’il fallait faire tout son possible pour qu’il réussisse. "Cela signifie que le grand nombre d’arrivants auquel nous faisons face doit diminuer et ce, rapidement", a ajouté Donald Tusk, indiquant qu’une réunion extraordinaire avec la Turquie aurait lieu le 7 mars. 

Le président du Conseil a rappelé la nécessité de trouver un consensus tout en "évitant une bataille entre des plans A,B et C" car cela ne ferait que créer des divisions au sein de l’Europe. "Il n’y a pas d’alternative à un plan européen complet", a-t-il dit.

Enfin, il a appelé à "respecter les règles et les lois que nous avons tous adopté ensemble", à savoir les décisions sur la relocalisation et la nécessité de retrouver une situation où tous les membres de l’espace Schengen appliquent pleinement le code-frontières Schengen. "Nous devons restaurer Schengen (…). Nous devons investir dans Schengen, pas dans son effondrement", a-t-il dit.

Au sujet de la Syrie, Donald Tusk a confirmé la nécessité d’envoyer de l’aide humanitaire dans la région et a salué la conférence des donateurs qui s’est tenue à Londres le 4 février 2016, où l’UE s’est engagée à verser deux tiers des promesses de dons s’élevant à 10 milliards de dollars. Donald Tusk s’est dit convaincu qu’il ne s’agissait pas seulement d’une responsabilité européenne, ajoutant qu’il continuerait à s’engager pour une solution mondiale, notamment lors des prochaines réunions du G7 et du G20.

L’intervention de Jean-Claude Juncker

Jean-Claude Juncker au Parlement européen, le 24 février 2016, lors du débat sur l'avenir du Royaume-Uni dans l'UELe président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a ensuite pris la parole devant les eurodéputés. Il a souligné un débat "dur et qui a pris du temps" avec le Royaume-Uni mais il s’est félicité que l’Europe ait été capable de prendre des décisions "même si la situation à laquelle elle fait face est particulièrement difficile".

Le président de la Commission a parlé d’un accord avec le Royaume-Uni qui est équitable ("fair" dans le texte), équilibré et qui respecte les grands principes de l’UE tout en prenant en compte les soucis et les desideratas du Royaume-Uni. "Je pense que le peuple britannique (…) dira oui à l’arrangement que nous avons trouvé", a t-il confié, assurant que la Commission saisirait le Parlement et le Conseil des textes législatifs afférents, notamment en ce qui concerne les aspects sociaux de l'accord qui a été trouvé avec le Royaume-Uni, dès le jour où le peuple britannique aura approuvé l'arrangement.

Au sujet de la crise migratoire, le président de la Commission a lui aussi rappelé la nécessité de mettre en œuvre ce qui a été décidé auparavant par le Conseil. Il a souligné l’importance d’une "approche européenne" pour atteindre cet objectif, tout en mettant en garde contre les "solos nationaux".

Dans ce contexte, le président Juncker a fait référence à l’Autriche, avec laquelle la Commission se trouve actuellement dans une "bataille juridique" pour avoir convoqué une réunion ministérielle à Vienne le 24 février 2016 avec les ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères des Balkans (Albanie, Bosnie, Bulgarie, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie, Slovénie et Kosovo) mais sans la Grèce, ce qui n’a pas manqué de provoquer l’ire du Premier ministre Alexis Tsipras qui menace à présent de refuser tout accord européen si le fardeau de la crise migratoire "n'est pas partagé d'une manière proportionnelle" par les pays membres de l'UE, indique une dépêche de l’AFP.

Le débat

Au cours du débat, Manfred Weber, député allemand et chef de file du groupe du groupe du Parti populaire européen (PPE), s’est posé la question si, au vu de la guerre en Ukraine et en Syrie, des défis auquel la politique du président russe Vladimir Poutine confronte l’UE et de la croissance en berne dans l’UE, la nécessité de s’occuper des intérêts particuliers de la city de Londres et d’allocations familiales des travailleurs européens était la bonne manière de poser les priorités. Mais comme le Royaume-Uni a soulevé une discussion qui ne pouvait être esquivée, Manfred Weber a déclaré que son groupe soutenait "le cœur de l’accord".  Il a ajouté : "si le peuple du Royaume-Uni choisit de rester dans l'Union européenne, alors il trouvera dans le groupe du PPE un partenaire loyal dans la mise en œuvre de l'accord". Mais il a averti qu'il s'agissait du seul accord disponible et qu'il n'y aurait pas de suivi des négociations. Il a ensuite fait état des failles en matière de sécurité qui résulteraient d’une sortie du Royaume-Uni de l’UE, tant pour lui-même que pour les Etats membres d l’UE. "Poutine et les terroristes se réjouiront".

Manfred Weber a clos son intervention en regrettant que la question de la crise migratoire, autre sujet abordé lors du sommet des 18 et 19 février, révèle autant d’égoïsmes nationaux et de partis et appelé les leaders européens à arriver à une solution qui permette de sécuriser les frontières de l’UE.     

Gianni Pittella, député italien et chef de file du groupe de l'alliance progressiste des Socialistes et Démocrates, a rappelé la contribution du Royaume-Uni à la défense des valeurs communes européennes : "le Royaume-Uni a fait beaucoup. Il a été un facteur de paix et de démocratie. Le meilleur endroit pour lutter en faveur de ces principes est l'Union européenne". Gianni Pittella a également souligné que l'appartenance du pays à l'Union européenne était bien plus qu'un mariage de convenance : "le Royaume-Uni fait partie intégrante de l'Europe. Sans lui, l'Europe ne serait pas la même". Il a renchéri qu’un Brexit serait "un saut dans le vide avec des conséquences désastreuses pour l’UE."

Evoquant le risque qu’une "prise en otage de l’UE par des conflits internes au parti conservateur (britannique, ndlr)" risquait de faire entrer l’UE dans "la pire crise de son histoire", Gianni Pittella a également dit ne pas être convaincu par l’aspect social de l’accord. "Deux jeunes qui effectuent le même travail, mais dont l’un, par le fait de ne pas être britannique, a moins de droits cela s’appelle discrimination", a-t-il lancé, espérant que les faits le démentiront. Pour lui, il faut aborder ces principes avec précaution, au risque sinon de les faire tomber.

"Je soutiendrai la campagne en faveur d'un maintien du pays dans l'Union européenne", a expliqué Ashley Fox, député conservateur britannique. "Mon raisonnement est simple. La reprise économique du Royaume-Uni, bien qu'elle soit bonne, reste fragile. Je ne la mettrai pas en danger en nous détachant du marché unique. J'estime également que ma circonscription sera plus en sécurité et mon pays plus sûr si nous poursuivons notre coopération avec nos partenaires européens". Il a spécialement salué que l’accord coule dans du marbre que son pays ne fera pas partie de l’espace Schengen, de la zone euro et du projet d’une Union toujours plus étroite entre les Etats membres.

Il a ensuite lancé une attaque contre la chancelière allemande, Angela Merkel, l’accusant d’être à l’origine de la crise migratoire "à cause de son appel à accueillir tous les réfugiés". Pour lui, " ceux qui respectent Schengen sont critiqués et ceux qui ne le respectent pas sont applaudis". Bref, il faudrait "empêcher les demandeurs d’asile d’entrer dans l’UE" et aider ceux qui entretiennent des camps en Turquie, en Jordanie et au Liban. Or, l’UE donne pour lui la priorité à ceux qui traversent illégalement la frontière et qui sont déjà enregistrés par l’ONU comme réfugiés sur des territoires sûrs.

Guy Verhofstadt, député belge chef de file du groupe de l'alliance des démocrates et libéraux pour l'Europe, a déclaré : "les seuls qui gagnent à voir une Europe divisée sont des gens comme Vladimir Poutine, Bachar el-Assad ou l'État islamique. Au lieu de réfléchir à comment nous défendre, nous faisons preuve de division et de faiblesse". Guy Verhofstadt s’est plaint que du fait de ses divisions et de ses faiblesses, l’UE ne se soit pas retrouvée autour de la table lorsque le cessez-le-feu en Syrie a été négocié entre Russes et Américains.  Le "combat de coqs" qui se déroule selon lui au sein du parti conservateur britannique risque de transformer le Royaume-Uni en "petite Angleterre", l’Ecosse pro-UE pouvant lui faire à terme défaut.  Pour Guy Verhofstadt il est temps de "remettre l’UE sur les rails et d’arrêter avec l’Europe à la carte".

Gabriele Zimmer, députée allemande à la tête du groupe Gauche unitaire européenne - Gauche verte nordique, a critiqué l'accord obtenu qu'elle considère comme une menace faite au pilier social de l'Union européenne. Selon elle, ce modèle anglo-saxon de marché radical signifie en quelque sorte la résurrection de Margaret Thatcher et la fin du triple A social promis par la Commission Juncker.

Gabriele Zimmer a appelé les Etats membres à mettre enfin en œuvre les plans de relocalisation et de réinstallation des réfugiés décidés en commun tout comme la décision prise au sommet de ne pas fermer les frontières unilatéralement, une décision démentie dès le lendemain par plusieurs pays et la réunion à part entre l’Autriche et les pays situés sur la route balkanique. Elle a appelé à ce que la Grèce, confrontée à un afflux quotidien de plusieurs milliers de réfugiés, soit soutenue et à ce que des voies légales soient cherchées pour trouver une solution à une crise qui relève du devoir vis-à-vis d’autres êtres humains. Pour elle, que l’on ferme les frontières ou non, les gens viendront, de sorte qu’il serait plus sage d’assumer les responsabilités qui découlent de cette évidence et du respect du droit international pour la protection des réfugiés.

Rebecca  Harms, députée allemande et coprésidente du groupe des Verts - Alliance libre européenne, a déclaré : "je pense qu'il est très clair qu'il faut travailler de concert avec le Royaume-Uni. L'Union européenne se portera mieux avec le Royaume-Uni à son bord". Ayant assisté en marge au sommet, elle a parlé d’une "négociation très sérieuse", très loin de la mise en scène que d’aucuns ont supputée, et de son impression que "des leaders ont entrevu avec frayeur l’abîme qui s’ouvrirait avec la première sortie de l’UE d’un grand pays de l’UE". Et d’ajouter : "ce qui a été construit sur des décennies risque d’être détruit en quelques semaines".

Nigel Farage, coprésident du groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe, a estimé que le Royaume-Uni serait plus en sécurité en dehors de l'Union européenne : "c'est aux citoyens britanniques de décider quelle est l'option la plus sûre. Sommes-nous plus en sécurité au sein d'une organisation dont le chef de la police nous apprend que trois à cinq milliers de terroristes arrivent en Europe dans le cadre de la crise migratoire, ou sommes-nous plus en sécurité si nous reprenons le contrôle de nos frontières et de notre démocratie ?" Nigel Farage a aussi parlé du moment actuel comme de "la saison des référendums", mentionnant la consultation référendaire du 6 avril 2016 aux Pays-Bas sur l’accord d’association avec l’Ukraine, le référendum annoncé par le Premier ministre hongrois Viktor Orban sur le plan européen de relocalisation des réfugiés entre pays membres de l'UE auquel ce dernier est opposé, le référendum britannique du 23 juin et un éventuel référendum en République tchèque si jamais le référendum britannique se prononçait pour un Brexit. Le leader populiste a rejeté l’accord, mettant en doute son aspect juridiquement contraignant, le Parlement européen pouvant toujours s’opposer à certaines dispositions législatives qu’il prévoit.     

L’ancien ministre français des Finances, l’eurodéputé libéral Jean Arthuis, a au cours du débat estimé que l’accord avec le Royaume Uni risquait malgré tout d’ouvrir les portes à toutes sortes de revendications et, de surcroît, pendant les quatre mois qui restaient jusqu’au référendum, aucune grande décision ne pouvait être prise dans l’UE.

A l’issue du débat, le président Tusk a, dans un esprit tout à fait différent, tenu à rappeler que la question britannique et la crise migratoire étaient "strictement liées" car "la façon dont nous traiterons la crise migratoire aura une signification clé pour la campagne autour du référendum".