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Politique étrangère et de défense
Le volet européen de la déclaration de politique étrangère de Jean Asselborn – Le chef de la diplomatie luxembourgeoise a dressé le tableau sombre d’une Europe en crise et esquissé des pistes pour maîtriser les menaces
08-03-2016


Le 8 mars 2016, le ministre des Affaires étrangères et européennes, ministre de l’Immigration, Jean Asselborn, a prononcé devant la Chambre des députés sa déclaration sur la politique étrangère et européenne.

Le monde déchiré et l’UE en crise

Jean Asselborn, lors de la déclaration de politique étrangère à la Chambre des députés, le 8 mars 2016Pour le doyen des ministres des Affaires étrangères de l’UE,  "le monde est toujours aussi déchiré qu’à l’époque", une allusion à sa dernière déclaration du 25 novembre 2014, la périodicité annuelle de cet acte ayant été ensuite interrompue à cause de la présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE. Le monde est même "devenu encore plus divisé, plus désorienté et plus dangereux", a estimé le ministre, qui évoque "des guerres dans notre voisinage immédiat, des attaques terroristes partout dans le monde" et les réfugiés, contraints de risquer leur vie sur la Méditerranée, de ramper sous les barbelés qui barrent les frontières européennes et de dormir dehors et dans la boue "parce que personne ne veut d’eux".  Bref, "la crise de l’euro d’abord et la crise migratoire ensuite ont, de concert avec l’instabilité à ses marches, fait sérieusement vaciller l’UE". Pire, "la solidarité, la communauté entre Européens, qui nous ont distingué jusque-là parmi tous, ne sont actuellement plus automatiquement assurées".          

Pour Jean Asselborn, la crise migratoire met l’UE "à rude épreuve". Elle a des effets sur son fonctionnement, car les solutions européennes proposées, y compris par la Présidence luxembourgeoise du Conseil, ne sont pas portées par tous les Etats membres, au point que leur cavalier seul met en danger "nos acquis collectifs". L’Europe a selon lui traversé de nombreuses crises, mais jamais elle n’a été "aussi déchirée", et jamais "nos valeurs et principes fondamentaux n’ont été autant mis en question qu’actuellement".

Le ministre estime que "les divergences entre le Nord et le Sud, mais surtout entre les Etats membres de l’Ouest et de l’Est de l’Union sont difficiles à réduire", cela étant fortement dû au fait que, dans de nombreux Etats membres, "de dangereuses tendances populistes et nationalistes gagnent du terrain pendant que les partis traditionnels et leurs leaders sont en difficulté". Cette Europe où les principes de liberté, de démocratie, d’égalité et de respect de l’Etat de droit sont foulés aux pieds et l’intégration niée "n’est pas l’Europe que nous voulons et dont nous avons besoin", pense Jean Asselborn, qui refuse "la solidarité à la carte". S’ajoute à ce tableau l’éventualité d’un  Brexit, que le compromis, "qui n’est pas bon, mais pas catastrophique non plus", du Conseil européen des 18 et 19 février est censé éviter.  Jean Asselborn craint que "ce cocktail explosif pour l’Europe puisse provoquer un choc dont l’UE ne récupérerait que difficilement".

La crise migratoire

Tout autre a été la démarche de la Présidence luxembourgeoise du Conseil, qui a "essayé de chercher dans tous les domaines des solutions européennes", cohérentes, humaines, "dans l’intérêt des migrants et avec l’aide des citoyens". Pour Jean Asselborn, "la crise migratoire ne pourra pas être résolue par une Europe qui se referme sur elle-même et sûrement pas non plus par la construction de murs et de clôtures. L’Europe a vu assez de barbelés et de gaz lacrymogènes, et l’Histoire nous a appris que ce n’est pas ainsi que l’on a résolu les grands problèmes." Bref, ce qui doit primer, c’est la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951 et l’obligation d’offrir à ceux qui fuient "les pires situations de la planète" le plus haut niveau de protection possible.  En même temps, "l’Europe ne peut accueillir tout le monde", notamment les personnes qui ne tombent pas sous les clauses de la Convention de Genève. Ici, l’UE doit intervenir pour réduire la pauvreté qui les pousse à migrer vers l’Europe.  Finalement, l’UE doit offrir des voies légales aux migrants pour entrer en Europe, car "la migration ne doit pas être vue comme une menace qu’il faut contrer, mais comme une chance" pour un continent qui en a besoin pour des raisons économiques et démographiques.       

Jean Asselborn a dans ce cadre évoqué les résultats du sommet UE-Turquie du 7 mars, et exprimé ses "doutes de nature juridique mais aussi politique et humaine" sur le nouveau mécanisme de réadmission de réfugiés qui prévoit que pour chaque réfugié renvoyé en Turquie, il y aurait un réfugié reconnu en Turquie qui serait réinstallé dans l’UE.  Il a constaté que les libéralisations de visa pour les citoyens turcs et l’augmentation des fonds pour la Turquie et l’ouverture de nouveaux chapitres au processus d’adhésion, pourraient être plus faciles à obtenir. "Il me paraît en tout cas osé, de parler de percée", a-t-il conclu sur l’accord envisagé.

Pour avancer sur la question migratoire, il importe avant tout au chef de la diplomatie luxembourgeoise que les décisions prises par l’UE sur la relocalisation et la réinstallation de réfugiés, l’accueil dans les "hot spots" tout comme le renforcement des frontières extérieures soient mis en œuvre. "Tous les Etats membres doivent respecter leurs obligations, et il est inacceptable que certains pays veuillent se dérober à leurs responsabilités. Si certains pays de Višegrad pensent qu’ils peuvent résoudre la crise migratoire tout seuls, alors ils se trompent. Et si des solutions sont prônées qui s’inspirent de la démagogie et du populisme, alors ce sera l’impasse directement. Mais sur le dos de ceux qui fuient la guerre et les atrocités." Pour Jean Asselborn, "la solidarité entre Etats membres est une affaire politique, et pas seulement juridique, et la solidarité n’est pas à sens unique dont on profite quand ça arrange mais à laquelle on se dérobe quand on ne veut pas assumer ses responsabilités."    

Jean Asselborn a aussi apporté son soutien aux propositions de la Commission sur une gestion plus efficace des frontières extérieures de l’UE et sur la création d’un Corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes de décembre 2015.

Il s’est ensuite lancé dans un plaidoyer pour l’espace de libre circulation Schengen, dont le futur et l’intégrité sont menacés. "Si Schengen se disloque, l’UE ira droit vers une nouvelle crise économique", a-t-il lancé, évoquant les diverses études qui chiffrent les pertes que la fin de Schengen pourrait entraîner.   

Dans ce contexte, Jean Asselborn a dressé l’inventaire des contributions du Luxembourg à la solution de la crise migratoire. L’OLAI, l’office luxembourgeois d’accueil et d’intégration, accueille 3000 personnes dans ses structures, le double qu’il y a un an, et sa capacité d’accueil est passée de 2000 à 4000 lits. 2447 personnes ont demandé l’asile politique au Luxembourg, dont 669 Syriens et 539 Irakiens. Le Luxembourg accueillera 751 personnes dans le cadre des relocalisations à partir de l’Italie et de la Grèce. 30 personnes sont arrivées en novembre 2015, et le pays est prêt à accueillir 30 personnes relocalisées par mois dès que le système fonctionnera comme décidé. 46 personnes ont été réinstallées au Luxembourg en 2015, venant de la Turquie, et 50 autres personnes sont prévues pour 2016. Le Luxembourg contribue également au renforcement de Frontex et de l’EASO sur le terrain en Grèce et en Italie, et augmentera ce soutien.

Un bilan de la Présidence

Jean Asselborn a ensuite passé en revue les autres questions politiques sur lesquelles la Présidence a été particulièrement active : la lutte contre le terrorisme, le dialogue politique sur l’état de droit au sein des Etats membres de l’UE, l’investissement dans toutes les régions de l’UE, la dimension sociale de l’UE, le marché intérieur, la propriété intellectuelle, le commerce extérieur dans le respect des droits sociaux et environnementaux, des services publics et de la protection des données, mais aussi des prérogatives des Etats dans un monde globalisé et connecté, la COP21, l’élargissement vers les Balkans occidentaux et les progrès dans cette région.

Jean Asselborn a ensuite dressé l’inventaire des contributions luxembourgeoises à la politique européenne de sécurité et de défense, notamment à cinq missions civiles : EULEX au Kosovo, EUMM en Géorgie, EUCAP Sahel au Niger et au Mali et EUAM en Ukraine.     

Luxembourg, siège d’institutions européennes et internationales

Le Luxembourg étant un "Etat-hôte" d’institutions européennes et internationales, Jean Asselborn a mis en avant l’objectif du gouvernement de "garantir aux personnes qui travaillent dans ces institutions les meilleurs conditions de travail et de vie possibles chez nous", faisant état de 12 000 agents et de leurs familles qui constituent "un élément important pour notre pays".   

Il a évoqué les grands projets en cours : le Bâtiment Konrad Adenauer II (BAK 2) qui regroupera tous les services du Parlement européen, dont la construction avance bien et le Jean Monnet 2 qui est encore en phase de planification, et qui regroupera tous les agents de la Commission. Pour pallier l’abandon par la Commission du bâtiment Jean Monnet 1, et ce pour des raisons liées au principe de précaution, le gouvernement aide la Commission dans la recherche de nouveaux bâtiments, alors que les agents de la Commission ont trouvé des bureaux provisoires dans deux bâtiments du quartier de la Cloche d’Or. Un bâtiment provisoire pour 500 agents est en cours de construction sur le Kirchberg par les soins du gouvernement et sera prêt d’ici mai 2016. En échange, les piliers financiers, juridiques et numériques de la Commission qui sont établis au Luxembourg seront renforcés. Un pourcentage fixe de 12,48 % des agents de la Commission travailleront désormais au Luxembourg.        

Le chantier pour la 3e tour de la Cour de Justice de l’UE devrait également démarrer bientôt et être achevé en 2019. Les travaux pour le siège de la Cour d’appel de la nouvelle Juridiction unifiée du brevet sont en cours, et celle-ci devrait commencer à siéger à Luxembourg dès 2016.

Un retour aux valeurs fondatrices de l’UE à l’occasion du 60e anniversaire des traités de Rome

Citant Willy Brandt qui a dit que "la paix n’est pas tout, mais sans la paix tout est rien", et appelant les députés à scruter le peu de paix dans le voisinage de l’UE, Jean Asselborn a plaidé pour une politique étrangère qui s’attaque aux racines des conflits qui poussent des millions de personnes à prendre la fuite. Dans l’UE et sur la scène internationale, des solutions qui créent la paix doivent être trouvées.

En guise de conclusion, le ministre a rappelé que 2017 sera celle de la commémoration des 60 ans de la signature des traités de Rome : "Ce sera le moment de nous rendre compte de ce qui est en jeu. L’Union a survécu à de nombreuses crises, et elle a grandi avec ces crises. Je reste convaincu que nous réussirons la même chose avec la crise migratoire. Reste que les crises matérielles peuvent être résolues par des moyens matériels, mais les crises humaines ne peuvent trouver des solutions qu’avec de l’humanité. Tout le monde dans l’UE devrait en être conscient. C’est cette vision des choses qui distingue entre tous ce projet de paix qu’est l’UE."