Le 25 novembre 2014, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, a prononcé sa déclaration de politique étrangère devant la Chambre des députés. La crise ukrainienne, les conflits au Proche-Orient, l’Afrique, les priorités de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union européenne au cours du second semestre 2015 et les préparatifs en cours, l’élargissement, la politique de voisinage, les traités de libre-échange, dont le CETA et le TTIP, que l’Union négocie actuellement et la politique de siège étaient au centre d’un discours qui évoquait "un grand nombre de crises et conflits profonds et simultanés avec des acteurs tellement imprévisibles que cela rend le monde extrêmement nerveux". Jean Asselborn a insisté sur le fait que les réformes en Europe ne devront plus être assimilées par les citoyens à une déconstruction de leurs acquis. "Il en va ici ni plus ni moins de la survie d’une Europe de plus en plus intégrée pour les prochaines générations", pense le ministre, exigeant que l’UE "doit générer des plus-values visibles pour les citoyens". Dans le cas contraire, l’UE risque "un engrenage fatal" qui pourrait affecter le Luxembourg "dont l’UE est une garantie de son existence".
Jean Asselborn a qualifié l’annexion de la Crimée par la Russie de "violation du droit international" et notamment des principes d’Helsinki qui sont "la base du système de sécurité collective en Europe". Elle démontre selon lui qu’un petit pays comme le Luxembourg ne peut plus compter sur les fondements du droit international. La loi du plus fort et le nationalisme pourraient se substituer au multilatéralisme et mettre la paix en danger. L’UE a ici une responsabilité particulière comme modèle et source d’inspiration, pour avoir mis en place un système basé sur le droit et le partage de la souveraineté.
La crise en Ukraine est en tout cas, pour le ministre, la crise qui a le plus fortement marqué l’Europe en 2014. "L’Ukraine est un pays en état de guerre", a-t-il lancé, "une situation que rien ne justifie". La crise en Ukraine donne selon lui l’impression que "tout ce que nous avons construit depuis la fin de la guerre froide avec la Russie a été détruit". Il faut maintenir le dialogue avec Moscou, "mais nous ne pouvons admettre que l’Ukraine continue à être déstabilisée".
Jean Asselborn est convaincu que l’UE doit soutenir "le désir d’Etat de droit des Ukrainiens" et les accompagner dans leurs réformes de l’économie, dans leur décentralisation, dans la réforme de leur système judiciaire et dans la lutte contre la corruption, mais aussi quand il s’agit de donner plus de droits à leurs minorités. L’UE n’avait pas le choix quand elle a dû prendre des sanctions contre les séparatistes et contre la Russie, mais elles ne constituent qu’un moyen pour baisser l’intensité du conflit. L’UE est d’abord intéressée à une solution politique, pour laquelle elle a déployé "tous ses moyens", parce que seule à travers elle "l’Ukraine pourra s’épanouir entre l’UE et la Russie". L’accord de Minsk pourra servir de cadre à une telle solution, dans la mesure où il prévoit un cessez-le-feu, la libération de prisonniers, le retrait des armes et des hommes en armes, la décentralisation du pouvoir en Ukraine et un statut spécial pour les régions de Donetsk et de Lougansk. C’est pourquoi il devra être "ramené à la vie".
Dans son discours, Jean Asselborn a particulièrement insisté sur la nécessité de mettre rapidement en œuvre le chapitre sur la décentralisation des régions dissidentes. Kiev ne devrait pas perdre sa souveraineté sur ces territoires, mais remplir ses obligations que sa souveraineté implique, donc aussi ne pas donner l’impression aux populations de ces territoires qu’elle les laisse tomber, comme cela est actuellement le cas avec la coupure des flux budgétaires vers ces régions.
Rien n’est blanc ou noir dans cette crise, a toujours pensé le ministre depuis son début. Ni la Russie, ni l’UE ne devraient placer l’Ukraine devant le choix de se décider pour l’un ou pour l’autre. Jean Asselborn voit l’Ukraine du futur comme un pays qui aura de bonnes relations avec la Russie comme avec l’UE, comme un pont entre les deux.
C’est pourquoi le dialogue avec la Russie devrait être repris selon le ministre, "car, à long terme, l’on ne peut s’imaginer comment partager le continent avec la Russie sans se parler, sans travailler ensemble à la formation d’un espace commun". Par ailleurs, la crise au Moyen-Orient, l’Afghanistan, la question du nucléaire iranien et la lutte contre le terrorisme ont besoin à la fois de l’UE, des USA et de la Russie, estime le chef de la diplomatie luxembourgeoise, qui voit l’UE comme placé géographiquement entre les USA et la Russie, et donc la mieux outillée pour montrer à la Russie le chemin de retour vers la coopération et le respect mutuel. Tout cela pour éviter qu’à terme, quelque chose de fatal n’arrive.
Jean Asselborn a expliqué que si la reconnaissance de l'Etat de Palestine restait une affaire des Etats membres de l'UE, une approche commune serait néanmoins à préférer, parce qu'elle pourrait servir de moyen de pression "positive"dans les négociations sur la paix, ce pour quoi il s'engage dans l'UE. "mais si les négociations entre Israéliens et Palestiniens devaient ne plus avancer et si l'on devait créer de plus en plus d'obstacles à une solution des deux Etats avec Jérusalem comme capitale des deux Etats, alors nous sommes prêts à prendre nos responsabilités", a conclu Jean Asselborn.
Jean Asselborn a ensuite évoqué le conflit en Syrie, les sanctions prises par l’UE et plaidé pour un embargo sur les armes qui viserait toutes les parties. Prônant une solution politique, il a récusé toute intervention militaire pour venir à bout du conflit, une opinion partagée dans l’UE. Cela n’empêchera pas l’UE de fournir un soutien logistique et politique à l’opposition syrienne modérée que l’UE et le Luxembourg ont reconnue comme représentant légitime du peuple syrien.
Jean Asselborn est par ailleurs convaincu que ce sont aussi les sanctions de l’UE qui ont poussé le régime iranien à adopter une attitude plus constructive dans les négociations avec les 5 "grandes puissances" (Chine, France, Royaume-Uni, Russie, USA) et l’Allemagne sur son programme nucléaire.
Le ministre a ensuite évoqué l’Afrique, qui est devenue un facteur de la sécurité européenne et où l’UE s’engage de plus en plus, avec entre autres ses neuf missions militaires auxquelles le Luxembourg contribue en participant à l’EUTM Mali qui entraîne l’armée malienne ou aux missions civiles EUCAP Sahel Mali et EUCAP Sahel Niger, avec ici chaque fois un policier détaché. En République démocratique du Congo, un Luxembourgeois est chef de la mission EUSEC et le pays était engagé jusqu’à récemment dans la lutte contre la piraterie dans la Corne d’Afrique.
Evoquant les élections européennes de 2014 et l’élection d’un candidat tête de liste à la présidence de la Commission, ce qui renforce la légitimité démocratique de cette dernière, Jean Asselborn s’est référé aux décisions du Conseil européen de juin 2014 qui ont défini les cinq grandes priorités de l’UE jusqu’aux élections de 2019, c’est-à-dire des économies plus robustes créant davantage d'emplois ; des sociétés à même de donner à tous les citoyens les moyens de réaliser leurs aspirations et d'assurer leur protection ; un avenir énergétique et climatique sûr ; un espace de libertés fondamentales qui inspire la confiance et une action conjointe efficace dans le monde. Ces objectifs seront aussi à la base des priorités et objectifs de la Présidence du Conseil.
Dans ce contexte, Jean Asselborn a salué le programme de 300 milliards d’euros pour des investissements dans les télécommunications, les transports, l’énergie et l’efficacité énergétique, provenant de sources publiques et privées qui devrait aussi contribuer à la création d’emplois dont le Luxembourg a besoin. D’autres éléments que Jean Asselborn a cités quand il a décliné les mesures à prendre en fonction des cinq priorités ont été la lutte contre l’exclusion et la pauvreté en Europe, la réduction de la dépendance de l’UE en matière d’énergie par l’exploitation d’énergies renouvelables et l’amélioration de la connectivité, la lutte contre le terrorisme, la cybercriminalité et la criminalité organisée, tout en garantissant la protection des données des citoyens, la gestion des frontières extérieures de l’UE et la coopération dans ce cadre avec les pays tiers. Un autre aspect de la politique européenne en 2015 seront les réformes structurelles et l’assainissement des finances publiques sous l’égide du semestre européen et de la surveillance budgétaire. Finalement, Jean Asselborn a évoqué le renforcement du marché intérieur, l’achèvement du marché numérique et du paquet télécom, l’immigration et la "création d’une Europe sociale".
Jean Asselborn a insisté sur le fait que les réformes en Europe ne devront plus être assimilées par les citoyens à une déconstruction de leurs acquis. "Il en va ici ni plus ni moins de la survie d’une Europe de plus en plus intégrée pour les prochaines générations", pense le ministre, exigeant que l’UE "doit générer des plus-values visibles pour les citoyens". Dans le cas contraire, l’UE risque "un engrenage fatal" qui pourrait affecter le Luxembourg "dont l’UE est une garantie de son existence".
Grand partisan de l’élargissement de l’UE, notamment vers les Balkans occidentaux, Jean Asselborn a commenté la décision de mettre un frein à l’élargissement jusqu’en 2019 et le fait que des négociations ne sont en cours qu’avec trois des pays candidats : la Serbie, le Monténégro et la Turquie, et pas avec l’Albanie et la Macédoine. Il a parlé d’une "responsabilité historique" vis-à-vis des Balkans occidentaux de tenir une "promesse" au nom de la stabilité de cette région où la situation peut selon lui rapidement se détériorer et aboutir à la guerre, comme dans les années 1990. "L’Europe comme projet de paix ne doit pas flancher ici", a-t-il conclu sur ce chapitre.
Dans la foulée, il a demandé aux députés une priorité à la ratification des accords d’association qui ont été conclus avec la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine dans le cadre de la politique de voisinage de l’UE, qui, a-t-il précisé, n’est pas une politique d’élargissement, mais une politique qui vise à établir entre l’UE et ses voisins à l’Est et au Sud des rapports plus étroits qui contribuent au développement de démocraties stables et de l’économie de marché. Il a précisé par ailleurs que le report jusqu’à la fin de 2015 de l’application de l’accord de libre-échange avec l’Ukraine décidé d’un commun accord avec la Russie devra être respecté.
Les traités de libre-échange entre l’UE et les USA, le Canada et la Corée sont, selon Jean Asselborn, "pour le Luxembourg la conséquence logique d’une politique ouverte et qui mise sur la globalisation". Les secteurs de la finance, de la logistique, des communications, des TIC et de la biotechnologie sont particulièrement intéressés à ces développements. Mais le rapport entre les indicateurs économiques et sociaux devra selon le ministre rester équilibré dans l’environnement direct et indirect du Luxembourg. D’où son engagement pour un "développement démocratique et solidaire du commerce mondial", respectueux des objectifs du développement et du climat dans le cadre d’accords commerciaux internationaux équitables. Car si, pour Jean Asselborn, la plus grande puissance économique du monde qu’est l’UE doit mener une politique commerciale active pour rester compétitive, elle doit la mener en respectant ses valeurs et ses normes et en s’engageant pour une croissance durable.
Jean Asselborn s’est, dans ce cadre, lancé dans un plaidoyer pour le TISA (Trade in Services Agreement) négocié entre l’UE et 22 autres pays membres de l’OMC, un accord plurilatéral fortement contesté au sein de la société civile. Rappelant que les services représentent 75 % des emplois dans l’UE et presque 79 % des emplois au Luxembourg, le ministre estime que TISA va renforcer la capacité d’exportation du Luxembourg et de l’UE, notamment de son secteur satellitaire et des énergies renouvelables. TISA ne touchera pas aux normes en vigueur dans les domaines des services publics, de la protection des données ou des consommateurs. Tout au contraire, estime le ministre, les entreprises des pays tiers devront se plier aux normes d’une UE qui négocie TISA de manière transparente, en publiant tous les textes sur le site de la DG Commerce. (LIEN)
Mais de tous les accords de libre-échange, ce sont CETA et TTIP qui suscitent "la plus grande résonance dans l’espace public", estime le ministre. Le CETA, bien que conclu, n’a pas encore été paraphé. Le TTIP, "très contesté", représente "un tournant dans la globalisation" qui pourrait donner aux secteurs maritime, de l’automobile et des nouvelles technologies de l’UE une plus grande facilité d’accès aux marchés des USA. Le secteur de la logistique luxembourgeois pourrait en profiter. Jean Asselborn a rappelé que 10 000 personnes travaillent au Luxembourg dans des filiales de firmes américaines. "Le TTIP pourrait nous permettre de fixer, de concert avec les USA, des règles qui pourraient ensuite servir de normes mondiales", estime le ministre, qui pense que "c’est seulement ensemble que nous pourrons mieux défendre nos normes et valeurs démocratiques dans le monde".
Contre les critiques du TTIP, Jean Asselborn a de nouveau assuré que les normes européennes ne seront pas affaiblies par ce traité, que les services publics ne seront pas un enjeu des négociations, que l‘exception culturelle et les OGM sont exclus des négociations. A l’instar de la "nouvelle Commission", le Luxembourg pense qu’aucune clause sur l’arbitrage pour régler les différends entre investisseurs et Etats ne pourra limiter la juridiction des tribunaux nationaux compétents. A la fin, la Chambre des députés aura le dernier mot, une Chambre informée par les experts du Ministère des Affaires étrangères sur l’état des négociations.
"Depuis les années 1950, une politique active du siège est une des constantes de la politique étrangère luxembourgeoise", a déclaré Jean Asselborn avant de passer en revue celle-ci. Deux grands projets ont d’abord été mis en exergue : le nouveau bâtiment du Parlement européen, le Konrad Adenauer 2 ou KAD 2, et le Jean Monnet 2 pour la Commission européenne.
Le chantier du KAD 2 a pu être démarré "dans de bonnes conditions". Le Jean Monnet 2 est en phase de planification. La Commission européenne a par ailleurs décidé de quitter le Jean Monnet 1 à cause de la présence d’amiante "bien que les études et mesures démontrent qu’il n’y a pas de risque inacceptable pour les fonctionnaires", a précisé ministre. Le gouvernement a donc décidé d’aider la Commission pour trouver de nouveaux bâtiments. Un groupe de travail sous la conduite de la commissaire Kristalina Georgieva suit et gère le dossier.
Finalement, suite à de grands efforts du gouvernement, la Cour d’appel de la nouvelle juridiction européenne sur les brevets s’installera à Luxembourg fin 2015 ou début 2016.