Le 7 mars 2016, le sommet UE-Turquie s'est achevé non pas sur un accord, mais sur des propositions et principes, reprises dans une déclaration des chefs d'État ou de gouvernement de l'UE, qui doivent donner lieu à un accord lors du Conseil européen des 17 et 18 mars 2016.
A l'issue des débats, le président du Conseil, Donald Tusk, a justifié le besoin de nouvelles décisions, alors que "malgré une bonne mise en œuvre du plan d'action joint, le flux de migrants passant de la Turquie à la Grèce reste beaucoup trop élevé et doit être réduit significativement". Considérant les résultats du sommet, il a déclaré que "toutes ces décisions envoient le message très clair que l'époque de la migration irrégulière dans l'Union européenne est révolue". "Nous sommes tous conscients d'être parvenus maintenant à une percée", a-t-il dit. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le Premier ministre turc, Ahmet Davutoğlu, ont tous deux jugé que l'accord UE-Turquie en gestation allait vraiment "changer la donne" face à la crise migratoire.
Donald Tusk doit toutefois encore approfondir les propositions faites durant le Sommet et en définir les modalités avec la Turquie avant le Conseil européen de mars.
La principale évolution constatée durant ce Sommet est l'engagement de la Turquie d'accepter le retour rapide de tous les migrants n'ayant pas besoin d'une protection internationale qui partent de la Turquie pour gagner la Grèce, en vertu de l'accord bilatéral gréco-turc de réadmission, et, à partir du 1er juin 2016, de l'accord de réadmission entre l'UE et la Turquie, mais aussi de reprendre tous les migrants en situation irrégulière appréhendés dans les eaux turques.
Les coûts encourus pour ces réadmissions seraient pris en charge par l'UE, tandis que l'UE a prévu d'aider la Grèce à assurer, selon des procédures globales, à grande échelle et accélérées, le retour vers la Turquie de tous les migrants qui sont en situation irrégulière et qui n'ont pas besoin d'une protection internationale.
Le mécanisme de réadmission concernerait également les candidats syriens à l'asile arrivant en Grèce, qui pourraient être à leur tour renvoyés en Turquie pour y déposer leur demande de protection. En contrepartie, l'UE s'est déclarée d'accord avec le principe selon lequel à chaque réadmission d'un Syrien en Turquie au départ des îles grecques, correspondrait la réinstallation d'un autre Syrien de la Turquie vers les États membres de l'UE, dans le cadre des engagements existants.
Le Luxembourg, par la voix de son Premier ministre, Xavier Bettel, a émis des doutes sur la légalité d'un tel dispositif, puisqu'en théorie, un citoyen syrien a le droit de déposer une demande d'asile dans l'UE. La Turquie est considérée comme un "pays sûr" par la Grèce et la directive européenne sur les conditions d'asile permet (articles 33 et 38) qu'un pays de l'UE refuse une demande d'asile si elle peut être traitée dans un pays tiers de l'UE considéré comme sûr, a expliqué Jean-Claude Juncker, selon l'Agence Europe.
En amont du Sommet, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, avait déclaré qu'il ne fallait pas trop attendre de ce sommet et que "le destin de l'Europe ne dépend pas de la Turquie mais de nous". Dans sa déclaration de politique étrangère devant la Chambre des députés, le 8 mars 2016, le lendemain du sommet, il a évoqué les résultats de la réunion et notamment fait part de ses "doutes de nature juridique mais aussi politique et humaine" sur le nouveau mécanisme de réadmission. Il a constaté que les libéralisations de visa pour les citoyens turcs et l'augmentation des fonds pour la Turquie et l'ouverture de nouveaux chapitres au processus d'adhésion, pourraient être plus faciles à obtenir. "Il me paraît en tout cas osé, de parler de percée", a-t-il conclu sur l'accord envisagé.
En amont de la réunion, le Premier ministre turc, Ahmet Davutoğlu, avait prévenu qu'il liait la gestion de la crise migratoire au processus d'adhésion de son pays. "Nous sommes prêts à travailler avec l'UE, nous sommes prêts à être membre de l'UE également", disait-il, souhaitant que le sommet marque "un tournant" dans les relations entre l'UE et la Turquie.
Ainsi, Ahmet Davutoğlu a demandé l'ouverture de cinq chapitres, soit les chapitres 15 sur l'énergie, 23 sur les droits fondamentaux et l'appareil judiciaire, 24 sur sécurité, liberté et justice, 26 sur l'éducation et 31 sur la politique étrangère. Dans leurs déclarations, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE manifestent en conséquence leur intention de "préparer dans les meilleurs délais la décision relative à l'ouverture de nouveaux chapitres dans le cadre des négociations d'adhésion", en s'appuyant sur les conclusions du Conseil européen d'octobre 2015.
La Turquie est notamment scrutée de près sur le chapitre des droits fondamentaux, en raison notamment de la mise sous tutelle du quotidien Zaman le 4 mars 2016, hostile au président turc, Recep Tayyip Erdogan. "La liberté de parole est une valeur de la démocratie turque (et) je suis contre toute restriction de parole et pour la liberté des médias", a ainsi déclaré Ahmet Davutoğlu, pressé de s'exprimer sur le sujet. Il a évoqué que le sort réservé à Zaman était une action non pas politique mais judiciaire. Le Luxembourg fait partie des Etats membres qui ont tenu à évoquer ce point durant le Sommet. "Nous avons rappelé que pour nous la liberté d'expression est un droit fondamental", a dit Xavier Bettel à l'issue de la réunion. "Tout le monde sait combien la liberté de parole et d'expression est importante. C'est un des droits de l'homme fondamentaux. Sans eux, il ne peut y avoir de développement sain d'une culture, d'une société. (…) Nous ne pouvons pas rester indifférents aux préoccupations soulevées dans le contexte de ce qui se passe en Turquie", a pour sa part déclaré Donald Tusk, après les échanges.
La Turquie a par ailleurs obtenu l'accélération de la mise en œuvre de la feuille de route relative à la libéralisation du régime des visas avec tous les États membres, qui prévoit de supprimer les obligations en matière de visa pour les citoyens turcs, au plus tard à la fin du mois de juin 2016.
La Turquie a également demandé que l'UE lui accord une nouvelle enveloppe de trois milliards d'euros en 2018, pour la facilité en faveur des réfugiés syriens. Le principe de cette aide supplémentaire est acté, mais son montant devra encore discuté d'ici au prochain Sommet.
Auparavant, le versement du montant de 3 milliards d'euros pour aider les 2,7 millions de réfugiés installés sur le territoire turc dans le cadre du plan d'action "migration", décidé en novembre 2015, doit être accéléré, pour assurer le financement d'une première série de projets avant la fin du mois de mars. "Ce n'est pas un chèque fait à la Turquie", mais des financements apportés à des projets, a précisé Xavier Bettel, en soulignant que, pour l'heure, deux projets (l'un de l'Unicef et l'autre du Programme alimentaire mondial) étaient ainsi financés, à hauteur de 95 millions d'euros.
Dans leurs conclusions, les chefs d'Etat et de gouvernement ont appelé à collaborer avec la Turquie dans le cadre de tout effort visant "à améliorer les conditions humanitaires à l'intérieur de la Syrie et qui permettrait à la population locale et aux réfugiés de vivre dans des zones plus sûres". A ce sujet, Xavier Bettel a fait part de son scepticisme quant à la possibilité de définir des zones sûres dans une Syrie en guerre. "Le Luxembourg ne sera pas l'Etat qui fera avancer ce point", a-t-il dit.
Les chefs d'État et de gouvernement ont également rappelé que, lors de sa réunion des 18 et 19 février, le Conseil européen a décidé de revenir à une situation où tous les membres de l'espace Schengen appliquent pleinement le code frontières Schengen, tout en tenant compte des particularités des frontières maritimes, et de rompre avec la politique du "laisser passer". Ainsi, ils appellent à faire progresser, en priorité, tous les éléments de la feuille de route de la Commission sur un "retour à Schengen", présentée le 4 mars 2016.
Les chefs d'État et de gouvernement se sont accordés à reconnaître que des mesures audacieuses devaient être prises "pour fermer les routes empruntées par les passeurs, démanteler le modèle économique de ceux-ci, protéger nos frontières extérieures et mettre un terme à la crise migratoire en Europe". "Nous devons rompre le lien qui existe entre la traversée à bord d'une embarcation et l'installation en Europe", disent-ils, se réjouissant que "les flux irréguliers de migrants le long de la route des Balkans occidentaux ont désormais pris fin".
A ce sujet, le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, rappelle que si la route des Balkans a été " ipso facto fermée par l'effet domino" des décisions prises par des Etats membres, il faut veiller à ce que l'UE reste ouverte aux migrations. "Le message doit être que l'Europe a besoin d'une immigration régulée. L'Europe doit être ouverte. Il n'est pas possible de dire que l'Europe se ferme (…) Toute personne qui a besoin d'une protection internationale doit avoir le droit de venir dans l'UE", a-t-il dit.
Le sommet a également réitéré le besoin de venir en aide à la Grèce et tout mettre en œuvre pour l'aider à gérer la situation qui a résulté de ce développement. "Il s'agit là d'une responsabilité collective de l'UE qui requiert une mobilisation rapide et efficace de l'ensemble des moyens et ressources dont dispose l'UE ainsi que des contributions des États membres", disent les chefs d'Etat. Il faut ainsi "apporter une réponse immédiate et efficace à la situation humanitaire très difficile, qui évolue rapidement sur le terrain".
Une aide d'urgence lui sera fournie dans les plus brefs délais par la Commission, en étroite coopération avec la Grèce, d'autres États membres et des ONG sur la base d'une évaluation des besoins réalisée par la Commission et la Grèce et d'un plan d'urgence et d'action. Les chefs d'Etat et de gouvernement demandent d'ailleurs au Conseil d'adopter avant le Conseil européen de mars la proposition de la Commission concernant la fourniture d'une aide d'urgence au sein de l'UE
De même, une aide supplémentaire à la Grèce pour ce qui est de gérer les frontières extérieures, y compris celles avec l'ancienne République yougoslave de Macédoine et l'Albanie, et d'assurer le bon fonctionnement des "hotspots", est prévue.
Le désengorgement de la Grèce doit être réalisé en accélérant la mise en œuvre de la relocalisation de quelque 70 000 places théoriques, tel que décidé en 2015. La Commission devra rendre compte chaque mois au Conseil de la mise en œuvre des engagements en matière de relocalisation. La déclaration du sommet signale toutefois qu'elle n'établit aucun nouvel engagement pour les États membres en matière de relocalisation et de réinstallation. Une revue à la hausse pose problème à certains pays, a fait savoir Xavier Bettel, qui considère toutefois que "si chaque pays applique ce à quoi il s'est engagé, "nous serons déjà bien avancés", fait savoir le Premier ministre. Ainsi, le Luxembourg entend-il prendre ses responsabilités, et honorer son engagement d'accueillir 30 migrants par mois en provenance de Grèce.