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Migration et asile - Élargissement
Dans une résolution sur la Turquie, le Parlement européen souhaite que la coopération en matière de migration soit découplée du processus d'adhésion à l'UE
14-04-2016


ue-turquie-ppeLe 14 avril 2016, le Parlement européen a adopté par 375 voix pour, 133 contre et 87 abstentions, une résolution sur la Turquie qui demande des réformes urgentes renforçant l'Etat de droit et la protection des libertés fondamentales, et qui considère que la coopération entre l'UE et la Turquie en matière de migration devrait être découplée du processus de négociation d'adhésion à l'UE.

La résolution porte sur le rapport 2015 sur la Turquie présenté par la Commission européenne au sujet de l'état d'avancement des négociations d'adhésion avec la Turquie ouvertes le 3 octobre 2005. Pour son édition 2015, la publication de ce rapport annuel avait été reportée à huit jours après les élections législatives turques, à la date du 10 novembre 2015. Aux yeux des eurodéputés, "en agissant de la sorte, l'Union européenne a donné l'impression de bien vouloir fermer les yeux sur les violations des droits fondamentaux en échange de la coopération du gouvernement turc en ce qui concerne les réfugiés", rappellent-ils dans leur résolution. Les violations des droits fondamentaux et la coopération sur la crise migratoire sont justement deux éléments centraux de la résolution du Parlement.

"Non seulement le rythme global des réformes en Turquie a ralenti, mais dans certains domaines clés, tels que la liberté d'expression et l'indépendance du système judiciaire, on constate également une régression particulièrement inquiétante", a déclaré le rapporteur Kati Piri (S&D, NL), selon le communiqué de presse du Parlement européen. Dans cette résolution, "nous exprimons aussi nos craintes face à l'escalade de la violence dans le sud-est de la Turquie, une violence qui a poussé près de 400 000 personnes à fuir leurs foyers", a-t-elle ajouté, selon les propos rapportés par le communiqué de presse du Parlement européen.

Le contenu de la résolution

Des inquiétudes pour les droits fondamentaux

Dans sa résolution, le Parlement se dit "vivement préoccupé, compte tenu du recul en matière de respect de la démocratie et de l'état de droit en Turquie, par le ralentissement considérable du rythme global des réformes en Turquie ces dernières années et par la régression observée dans certains domaines essentiels, tels que l'indépendance du pouvoir judiciaire, la liberté de réunion, la liberté d'expression et le respect des droits de l'homme et de l'état de droit, qui éloigne de plus en plus la perspective de la réalisation des critères de Copenhague que les pays candidats doivent respecter". Les députés européens considèrent en conséquence que la Turquie doit mener "d'urgence des réformes au sein de l'appareil judiciaire, dans les domaines des droits fondamentaux et de la justice ainsi que de la liberté et de la sécurité".

Concernant la liberté de la presse, rappelant que la Turquie qui occupe la 149e place sur 180 dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières et que, selon les propres chiffres des autorités turques, elle est le pays qui détient le record de journalistes derrière les barreaux, les eurodéputés déplorent "la tendance croissante à l'autoritarisme" chez ses responsables politiques et prient "instamment la Turquie de lutter contre toutes les formes d'intimidation à l'encontre de journalistes, en particulier en enquêtant sur toutes les agressions physiques et les menaces proférées contre des journalistes et en agissant pour prévenir les attaques contre des médias".

Crise migratoire – Les eurodéputés demandent aux États membres de faire preuve de solidarité et d'élargir la base des pays qui acceptent de réinstaller les réfugiés

Pour ce qui est de la crise migratoire, la résolution du Parlement européen félicite la population turque qui s'est montrée "jusqu'ici admirablement accueillante envers le grand nombre de réfugiés syriens vivant en son sein" et en accueillant la plus grande population de réfugiés au monde (2,7 millions).

Ils notent que le pays reste un "partenaire stratégique clé pour l'UE" et préviennent que "délocaliser la crise des réfugiés vers la Turquie n'est pas une solution crédible à long terme pour résoudre le problème", et qu'il est au contraire "crucial de mettre en place des itinéraires sûrs et légaux pour les réfugiés".

Ils estiment que le plan d'action commun UE-Turquie du 29 novembre 2015 sur les réfugiés et la gestion des migrations devrait être immédiatement mis en œuvre mais seulement "dans le cadre d'un programme de coopération global fondé sur une responsabilité commune ainsi que sur des engagements mutuels et leur concrétisation". De plus, "la coopération UE-Turquie en matière de migration ne devrait pas être subordonnée au calendrier, au contenu et aux conditions du processus de négociation".

Les eurodéputés demandent aux États membres de l'Union de faire preuve de solidarité et d'élargir la base des pays qui acceptent de réinstaller les réfugiés dans un esprit de partage des charges et des responsabilités. Ils invitent la Commission à accélérer le versement des fonds de 3 milliards d'euros, versement qui devrait être accompagné de la mise en place d'un mécanisme de contrôle de la bonne utilisation des fonds.

Concernant l'accord du 18 mars 2016, les eurodéputés soulignent que "les efforts visant à contenir le flux de migrants vers l'Union ne sauraient justifier le refoulement ou la détention illégale de réfugiés". Ils insistent par ailleurs sur le fait que toutes les procédures de retour forcé de la Grèce vers la Turquie doivent respecter pleinement le droit international et européen relatif à l'asile et à la protection internationale et être assorties de garanties en matière de droits fondamentaux et procéduraux. A ce sujet, ils invitent la Commission à surveiller étroitement la mise en œuvre de l'accord par les autorités turques et le respect du principe de non-refoulement des personnes renvoyées en Turquie.  

"La mise en œuvre de l'accord de réadmission, valable pour tous les États membres, revêt une importance cruciale pour l'Union, car elle permettra l'application d'une politique de retour plus efficace des migrants qui n'ont pas besoin de protection internationale", disent encore les eurodéputés, qui notent par ailleurs que "seule une solution politique à la crise syrienne peut fournir une réponse durable à cette crise humanitaire", rapporte le communiqué du Parlement.

Pour la relance du processus de paix kurde

Les eurodéputés appellent à un cessez-le-feu immédiat dans le sud-est de la Turquie et à la reprise du processus de paix.  Ils appellent le gouvernement turc à assumer ses responsabilités pour relancer les négociations en vue de parvenir à une solution négociée, globale et durable de la question kurde. "Le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), figurant sur la liste des organisations terroristes dressée par l'UE, devrait déposer les armes, abandonner les tactiques terroristes, et utiliser des moyens pacifiques et légaux pour exprimer ses attentes", ajoutent-ils.

Pour une évolution de la République de Chypre en une fédération bicommunautaire et bizonale

Saluant les progrès considérables accomplis dans les négociations sur la réunification de Chypre, les députés se disent en faveur de l'évolution de la République de Chypre en une fédération bicommunautaire et bizonale "assortie d'une égalité politique entre les deux communautés et d'une égalité des chances pour tous ses citoyens". Ils invitent les deux parties à appliquer sans délai toutes les mesures conclues, soulignant que le non-règlement de la question chypriote affecte le développement des relations UE-Turquie.

Les positions des groupes politiques et la réaction turque

Le groupe S & D est d'avis que "le processus de négociation doit être poursuivi et accéléré". Toutefois, il constate le besoin de renforcement de la démocratie en termes de liberté d'expression, de la liberté de presse, d'état de droit et de droit des minorités et appelle les autorités turques à adopter complètement les valeurs européennes et les critères de Copenhague.  "Pour faciliter la procédure d'adhésion, la Turquie devrait s'aligner sur les valeurs principes et critères européens", a notamment dit le vice-président du groupe S&D, Knut Fleckenstein. "Une nouvelle constitution devrait améliorer et garantir un état sécularisé avec un plein respect de la liberté d'expression et des droits des minorités."

Pour l'ADLE, "l'état de droit, la liberté de la presse et la liberté d'expression représentent des valeurs fondamentales de la famille européenne et du groupe libéral. Le rapport d'activité le montre clairement. Réévaluer le processus d'adhésion, ainsi que la demande de respecter tous les styles de vie, laïc ou religieux, et le refus de lier le processus de négociation avec la crise des réfugiés, figurent dans le présent rapport parmi les messages les plus importants pour le gouvernement turc", a déclaré Alexander Lambsdorff.

"Le commissaire Frans Timmermans, l'un des principaux architectes de l'approche 'marchandage' en Turquie est resté totalement muet lorsque les droits ont été violés. (…)  L'UE ne doit pas sacrifier des valeurs pour un résultat incertain. Alors que nous devons travailler avec la Turquie pour garantir que les réfugiés soient bien abrités, nous devons nous baser sur les propres mérites de la Turquie, et non pas y mêler le dossier de l'adhésion", a déclaré pour sa part l'eurodéputée ADLE Marietje Schaake.

Dans un communiqué plus spécifiquement dédié au processus de paix kurde, le groupe GUE-NGL a dénoncé l'arrestation de journalistes et universitaires dans le Sud-Est de la Turquie et considéré que la suppression du PKK de la liste des organisations terroristes pourrait aider à résoudre le conflit.

Le 13 avril 2016, par la voix de l'eurodéputé Manfred Weber, le groupe PPE avait appelé le président turc "à respecter la liberté de la presse et les droits des minorités dans son pays, et ce respect doit aussi s'appliquer à la liberté artistique en Europe". "Ce sont des valeurs non négociables, essentielles en Europe", avait-il souligné.

La Turquie a fait savoir qu'elle considérait le rapport du Parlement "comme nul et non avenu" en raison de ses références au "génocide" arménien qu'elle nie catégoriquement, a déclaré le ministre turc aux Affaires européennes, Volkan Bozkir, selon des propos cités par l'agence de presse progouvernementale Anatolie et relayés par l'agence de presse AFP. "L'an dernier aussi, nous avions renvoyé ce rapport au Parlement européen pour des références similaires, nous allons faire de même cette année. (…) Nous n'avons honte d'aucun épisode de notre histoire, nous pensons que cette question doit être tranchée par les historiens, les hommes politiques ne doivent pas écrire l'histoire", a-t-il ajouté. La résolution du Parlement fait en effet mention à sa résolution du 15 avril 2015 sur le centenaire du génocide arménien.

Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, fait part de sa crainte d'un échec de l'accord entre l'UE et la Turquie, si le processus de relocalisation "ne s'accélère pas rapidement"

Lors de l'émission politique de Maybrit Illner diffusée le soir du vote du Parlement sur la chaîne allemande ZDF, lequel avait pour thème les rapports entre la Turquie et l'Allemagne, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, a fait part de sa crainte d'un échec de l'accord entre l'UE et la Turquie, si le processus de relocalisation "ne s'accélère pas rapidement". Alors que 500 personnes ont été renvoyées de Grèce vers la Turquie, seulement 94 réfugiés ont été réinstallés  en Europe vers la Turquie, ce qui est loin de correspondre au principe 1 pour 1, conclu dans l'accord, a-t-il fait savoir.

Quelques heures plus tôt, sur les ondes de la radio suisse RTS, Jean Asselborn, s'était exprimé sur le processus d'adhésion de la Turquie, en jugeant que "parfois les déclarations de M. Erdogan éloignent la Turquie davantage de l'UE que le contraire". "Il faut qu'on garde le cap : la démocratie, la liberté de presse, c'est incompressible. Il faut que ces acquis soient respectés pour qu'on puisse seulement envisager de poser sa demande pour devenir membre de l'UE", avait-il souligné.