L’accord entre l’UE et la Turquie du 18 mars 2016 sur un plan d’action conjoint, qui a pour objectif, selon les termes de la déclaration UE-Turquie de "mettre fin à la migration illégale de la Turquie vers l’UE", a suscité de multiples commentaires. Tous les registres y sont tirés.
Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes, ministre de l’Immigration, Jean Asselborn, a déclaré dans une interview accordée le 19 mars 2016 à la radio allemande Deutschlandfunk (DLF) que l’accord, selon lui tout théorique, est, "au vu la situation de l’UE, quand il s’agit de trouver une solution, déjà en soi remarquable". Mais il est aussi pour le doyen des ministres européens des Affaires étrangères "le résultat de l’incapacité de l’UE de mettre en œuvre son système, pourtant décidé en théorie, de protection des frontières, c’est-à-dire de pratiquer des contrôles aux frontières, de faire fonctionner des hotspots aux frontières extérieures et de relocaliser les demandeurs d’asile par après". Il est de surcroît, renchérit-il, "le résultat, et là il faut être clair, de l’indicible attitude de certains Etats membres de l’UE quand il s’agit de recevoir des réfugiés chez eux."
Reste qu’une solution devait être trouvée avec la Turquie pour éviter qu’une situation désastreuse ne se développe rapidement en Grèce qui se transformerait "en immense camp de réfugiés", ce qui a conduit Jean Asselborn à "ne pas vouloir critiquer l’accord par principe". Au contraire, il en appelle à la volonté politique de le mettre en œuvre, au risque sinon "d’ouvrir l’autoroute aux populistes de droite".
Concrètement, cela signifie pour lui que 4000 personnes soient mobilisées pour mettre en pratique les décisions en Grèce : dégager Idomeni, abriter les réfugiés dans des conditions dignes, commencer avec les relocalisations, cesser de fermer les frontières, réinstaller des réfugiés en provenance de Syrie, renvoyer en Turquie des réfugiés provenant de Syrie, mais dans le respect de la Convention de Genève et après examen individuel du cas.
Pour le Haut-Commissaire aux réfugiés des Nations Unies, (UNHCR), qui est considéré par la Commission européenne dans le cadre de l’accord entre l’UE et la Turquie comme "un acteur-clé dans le cadre des processus de réadmission et de réinstallation", "les garanties sur les procédures d'asile doivent prévaloir dans la mise en œuvre de l’accord". Le HCR, qui a pris note de l’accord, "comprend donc, à la lumière de la jurisprudence dans ce domaine, que les personnes en quête d'une protection internationale bénéficieront d'un entretien individuel pour évaluer si leur demande peut être examinée en Grèce ou non, ainsi que du droit de faire appel avant toute réadmission en Turquie". Et il précise : "Cela impliquerait également qu'à leur retour en Turquie, les personnes ayant besoin d'une protection internationale pourront la rechercher et y accéder efficacement. Nous avons désormais besoin de voir comment cette procédure sera mise en œuvre, dans le respect des garanties énoncées dans l'accord et dont beaucoup ne sont pas appliquées actuellement."
Pour le HCR, "la façon dont ce plan va être mis en œuvre est donc cruciale". Il recommande que "les conditions de réception en Grèce ainsi que ses systèmes pour l'évaluation des demandes d'asile et la gestion des personnes ayant obtenu le statut de réfugié" soient rapidement renforcés. Ensuite, "les personnes renvoyées en Turquie et ayant besoin d'une protection internationale doivent pouvoir accéder à une détermination juste et équitable de leur demande d'asile, et ce dans un délai raisonnable".
Le HCR veut par ailleurs "des assurances contre le refoulement, ou retour forcé", la mise en place en Turquie d’installations de réception et d'autres arrangements "avant que toute personne n'y soit renvoyée depuis la Grèce". Par ailleurs, les personnes qui obtiendraient le statut de réfugié en Turquie, "sans discrimination et conformément aux normes internationales généralement acceptées", ce qui n’est en Turquie vrai que pour d’éventuels réfugiés occidentaux, devraient avoir un accès effectif au travail, aux soins de santé, à l'éducation pour les enfants, et, si besoin, à une assistance sociale.
Pour le chef de file du PPE, Manfred Weber, l’accord est "très positif", les égoïsmes nationaux ont été dépassés, et "nous avons réussi à fermer la dite route des Balkans à l’immigration illégale". La Grèce sera aidée et la coopération avec la Turquie "est une première étape pour lutter de manière effective contre les trafiquants". La réduction du nombre des immigrants illégaux devra cependant aller de pair avec l’indication de canaux légaux vers l’Europe pour des personnes qui doivent être aidés. Quant à la libéralisation du régime de visas, la Turquie devra remplir les 72 conditions que l’UE impose à chaque pays qui demande à en bénéficier. Finalement, le PPE appelle également les pays qui n’ont pas encore contribué à la solution de la crise des réfugiés à faire un effort.
Pour Gianni Pittella, chef de file du Groupe des Socialistes & Démocrates, "l’accord avec la Turquie constitue sans nul doute un pas positif qu’il faut saluer", mais "sa mise en œuvre sera très compliquée et de l'autre, sa conformité juridique aux conventions internationales et aux droits de l'homme pose question." Par ailleurs, "le Groupe S&D reste fermement convaincu que le régime sans visa ne doit être accordé aux citoyens turcs qu’à condition que leur pays respecte les 72 critères." Ensuite, "même l’ouverture de nouveaux chapitres ne donne pas un chèque en blanc au gouvernement turc. Dans cet esprit, nous appelons la Turquie à se conformer pleinement au protocole d’Ankara relatif à la République de Chypre." Finalement, les sociaux-démocrates européens restent "fermement convaincus que la mise en œuvre du système de répartition, le renforcement de Schengen et la révision de l’accord de Dublin permettront enfin à l’Europe de faire face à la crise migratoire dans la durée."
Pour Guy Verhofstadt des libéraux de l’ALDE au Parlement européen, "le Parlement européen doit examiner l’accord UE-Turquie, pour déterminer si toutes les obligations internationales ont étés respectées". La Turquie devra modifier sa législation et souscrire à l’entièreté de la Convention de Genève, estiment les libéraux européens qui espèrent que l’accord permettra de "réduire le nombre de morts en Mer Égée". Comme les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates, les libéraux soulignent qu’ils ne donneront leur consentement à une libéralisation des visas que "lorsque les 72 conditions nécessaires auront étés adoptées par les autorités turques et lorsque la Commission aura livré une analyse quant à la viabilité de la mise en œuvre de ces mesures". Guy Verhofstadt souligne que l’accord ne constitue aucunement "une solution magique pour mettre un terme à la crise des réfugiés". Et il précise : "L’une des raisons pour laquelle l’Europe ne contrôle pas cette crise des réfugiés réside dans notre échec à mettre en place une approche européenne commune de droit d’asile et de migration." Et il prévient : "Ne soyons pas naïfs : les passeurs trouveront de nouvelles routes vers l’Europe. Voilà pourquoi notre priorité absolue doit être la mise en place immédiate d’un Corps européen de garde-côtes et de garde-frontières."
Timothy Kirkhope, des Conservateurs et Réformistes européens (ECR) craint qu’en automne, "nous regarderons en arrière pour constater que ce fut une erreur qui nous coûte très cher qui a transformé la Grèce en camp de traitement (des réfugiés, ndlr), n’a que peu fait pour endiguer le nombre de migrants économiques qui veulent rejoindre certaines parties de l’Europe et n’a pas aidé à trouver une solution qui fasse sens pour répartir les gens reçus entre les Etats membres".
Pour le président du groupe Verts-ALE, Philippe Lamberts, "sur fond de faillite politique et morale", il s’agit "d’un accord juridiquement douteux et peu probant pour limiter les flux de réfugiés". Virulent, il estime que "les dirigeants européens ont montré, une fois de plus, leur mépris total des principes fondamentaux de l'UE et du droit international. Il est par ailleurs irréaliste de s’attendre à ce que cet accord puisse être mis en œuvre en l’espace de quelques jours en l’absence des ressources humaines et financières colossales qui seraient nécessaires." Pour Philippe Lamberts, l’accord UE-Turquie "est incompatible avec le droit de demander et de bénéficier de l'asile interdisant les expulsions collectives et qui requiert une évaluation appropriée des besoins de chaque réfugié". Par ailleurs, "la Turquie ne peut être considérée comme un pays tiers sûr en raison du traitement lamentable qu’elle réserve généralement aux demandeurs d'asile","les dirigeants européens abdiquent de manière opportuniste en fermant les yeux sur les violations des droits humains perpétrées par le régime autoritaire d’Ankara", les hotspots grecs sont transformés en centres de détention pour les demandeurs d'asile, et "le comble de la faillite morale serait que l’UE n’accepte la réinstallation que pour 72 000 personnes sur une base volontaire. Autrement dit, pour seulement 3 % du nombre de réfugiés se trouvant en Turquie".