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Entreprises et industrie - Fiscalité
Le Parlement européen adopte une position sur l’échange automatique d’informations sur la fiscalité des entreprises entre autorités fiscales nationales plus ambitieuse que celle de la Commission
12-05-2016


taxes-transparenceLe 12 mai 2016, le Parlement européen a adopté par 576 voix pour, 30 voix contre et 53 abstentions, le rapport de Dariusz Rosati (PPE, PL), qui énonce ses recommandations aux États membres au sujet de la proposition de directive sur l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal, proposée par la Commission européenne le 28 janvier 2016 et présentée dans le détail le 12 avril 2016. Une proposition qui faisait suite à l'adoption de la directive sur l'échange automatique des rescrits fiscaux survenue en décembre 2015, sous présidence luxembourgeoise.

Une étape de "la révolution de la transparence", selon Pierre Moscovici

La proposition de la Commission viendrait modifier la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal. Elle contraindrait les entreprises multinationales dont les revenus consolidés totaux équivalent au minimum à 750 millions d'euros à présenter un rapport pays par pays dans l'État membre dans lequel l'entité mère ultime du groupe réside à des fins fiscales. Cet État membre devrait ensuite partager les informations avec les autres pays de l'UE dans lesquels l'entreprise opère. Toutes les multinationales qui sont actives sur le marché intérieur devraient s'y conformer. La directive devrait entrer en vigueur en 2017 et donc porter sur les exercices comptables débutant au 1er janvier 2016.

Le texte dont il est question est " un mécanisme fondamental pour détecter et réagir rapidement aux pratiques fiscales dommageables", a souligné le commissaire européen en charge des Affaires économiques, Pierre Moscovici, en amont des débats qui se sont tenus la veille du vote, le 11 mai 2016. Il permet à la fois d'améliorer les contrôles fiscaux et de rendre les pratiques des multinationales plus vertueuses. "Je vous avais promis que la révolution de la transparence était en marche. Une nouvelle étape est franchie aujourd'hui grâce au Parlement", a-t-il dit. Les prochaines étapes vont dans trois directions : au mois de juin 2016, une proposition d'amendement de la directive anti blanchiment pour utiliser à des fins fiscales les données récupérées dans ce cadre ; une réflexion sur comment mettre en lumière les promoteurs de schémas de planification fiscale, dont les conseillers fiscaux ; l'élaboration d'une liste noire européenne des juridictions non coopératives.

La position du Parlement européen

Les amendements au projet initial

Par le rapport qu'ils ont adopté, les eurodéputés demandent plusieurs modifications au projet de la Commission. D'abord, ils souhaitent que les multinationales transmettent davantage d'informations que celles prévues dans le projet initial (chiffre d'affaires, bénéfice, impôts acquittés, capital, bénéfices non distribués, actifs corporels et nombre d'employés dans le projet initial). Ils veulent en effet y ajouter les subventions publiques reçues, la valeur des actifs et les coûts annuels pour leur entretien, ainsi que les ventes et achats réalisés par le Groupe. Le commissaire européen, Pierre Moscovici, avait estimé que des informations supplémentaires alourdiraient la charge administrative de multinationales, qu'il ne voulait "pas accabler".

Les eurodéputés veulent également impliquer davantage la Commission en la rendant elle aussi destinataire, à côté des Etats membres, des rapports pays par pays que les multinationales sont tenues de livrer. Cet accès aux documents doit notamment permettre de s'assurer que les déclarations ne cachent pas des aides d'Etat illégales.

De même, les eurodéputés souhaitent que la Commission européenne fasse une proposition pour rendre les informations livrées par les multinationales accessibles au public, "au cas où l'évaluation d'impact de la Commission sur les conséquences de la divulgation d'informations pays par pays déterminerait qu'il n'y a aucune conséquence négative pour les groupes d'entreprises multinationales". La publicité des informations livrées par les multinationales est "un progrès qui me tient à cœur", avait dit Pierre Moscovici face aux eurodéputés, durant le débat de la veille.

Les eurodéputés émettent également le souhait que la Commission transmette chaque année au Parlement européen et au Conseil un rapport consolidé concernant les évaluations annuelles réalisées par les États membres sur l'efficacité de l'échange automatique d'informations, ainsi que les résultats pratiques obtenus. Enfin, le Parlement européen a ajouté au texte initial le fait que les États membres devraient être responsables de l'application de l'obligation de déclaration des entreprises multinationales, par exemple en mettant en place des mesures pour pénaliser les entreprises multinationales en cas de non-déclaration.

Les positions des différents groupes politiques

Les groupes S&D, GUE-NGL, Verts-ALE auraient souhaité que le seuil de revenus consolidés totaux soit abaissé de 750 millions à 40 millions d'euros. Toutefois, l'amendement déposé en ce sens a été rejeté en plénière par 360 voix contre et 285 pour et trois abstentions, tout comme il avait déjà été rejeté en commission ECON.

Durant le débat tenu la veille du vote, le rapporteur Dariusz Rosati (PPE) avait en effet fait savoir que la commission ECON avait veillé à ne pas créer un "double standard". "Nous serions plus exigeants avec les compagnies européennes qu'avec les compagnies non européennes. Elles auraient été désavantagées économiquement."  Le commissaire Pierre Moscovici avait pour sa part souligné que ce seuil permettait de couvrir 90 % des revenus détenus par les multinationales en Europe et que c'est au niveau de l'OCDE qu'il faudrait agir pour faire baisser ce seuil "tout de même assez remarquablement efficace".

Durant ce même débat, l'eurodéputé Luděk Niedermayer (PPE) a estimé que ce projet est le "début du processus qui peut avoir du succès". Il a émis le souhait faut que le reporting pays par pays soit mis en œuvre aussi tôt que possible et a estimé que les Etats membres devaient être obligés à utiliser les données qu'ils reçoivent.

Pour le groupe S&D, Emmanuel Maurel a fait remarquer que "la plupart des révolutions naissent sur le terreau de l'injustice fiscale". "Il y a une exaspération de la part de nos concitoyens car, révélation après révélation, ils se rendent compte que l'un des principes les plus sacrés de notre démocratie, l'égalité devant l'impôt, est bafoué, miné par un certain nombre de pratiques", a-t-il dit. S'il jugeait que "le paquet fiscal va incontestablement dans le bons sens", il aurait voulu que le seuil soit abaissé à 40 millions d'euros, pour l'aligner avec le montant mentionné dans le projet législatif sur le droit des actionnaires déjà adopté par le Parlement européen.

L'eurodéputée ECR, Pirkko Ruohonen-Lerner, était d'accord pour dire que les déclarations par pays en matière fiscale constituaient une "étape importante" sur la voie de la lutte contre l'évasion fiscale. "L'optimisation fiscale agressive est un problème international qui doit trouver une solution internationale". Toutefois, si elle a reconnu le besoin de transparence, elle est opposée à la publication de données et à l'abaissement du seuil à 40 millions d'euros pour que les sociétés puissent entrer en concurrence dans les mêmes situations pour tous et que les impôts soient reversés suivant dans les mêmes règles. "La meilleure façon serait d'exercer des pressions pour qu'elles paient leurs impôts. La déclaration pays par pays est une bonne voie", a-t-elle conclu.

Cora Van Nieuwenhuizen pour l'ADLE s'est réjouie que les affaires Luxleaks et Panama Papers aient déclenché une discussion mondiale. Il est important que l'échange soit "obligatoire". Désormais, il faudra exporter ce modèle dans le monde, a-t-elle dit.

Miguel Viegas (GUE-NGL) a dénoncé pour sa part une "position très timide" de la Commission européenne, au vu des "espérances justifiées de l'opinion publique". En se tenant aux lignes directrices de l'OCDE, les rapports resteraient réalisés de manière confidentielle. "Tout ça n'est pas très efficace sans grande transparence et ce n'est pas non plus très dissuasif", a-t-il dit en regrettant un seuil trop élevé en raison duquel "la plupart des entreprises sont exonérées de ces obligations".

Molly Scott Cat, pour le groupe Verts-ALE, a reconnu "un pas dans le sens de la transparence". Mais elle a elle aussi estimé qu'il faudrait rendre publiques ces informations et que toutes les multinationales devraient y être soumises. "Il faut introduire un registre obligatoire publique de propriété effective, ce serait une vraie étape vers la disparition des paradis fiscaux et des juridictions secrètes", a-t-elle conclu.

Marco Valli (EFDD) a jugé qu'il s'agissait là d'une proposition "timorée". Il a déploré que les banques ne soient pas citées, et qu'il n'y ait pas de publicité des informations.

Barbara Kappel (ENF) a souligné l'importance de garantir des conditions de concurrence équitables. Elle a déploré que les PME paient davantage d'impôt sur les sociétés que les multinationales. Elle a signalé qu'il était d'importants qu'il n'y ait pas de normes différentes pour l'Europe.

A noter que plusieurs eurodéputés, notamment Miguel Viegas (GUE-NGL) et Marco Valli (EFDD) ont estimé qu'il n'y aurait pas de progrès à attendre d'une Commission présidée par Jean-Claude Juncker, dont le pays a été visé, dans l'affaire Luxleaks, et d'un Eurogroupe présidé par Jeroen Djibloessem, dont le pays aurait aussi des pratiques d'optimisation fiscale. Dans son intervention de clôture, Pierre Moscovici s'est dit lassé de telles attaques contre les présidents de la Commission européenne et de l'Eurogroupe en raison de leur nationalité. "Il se trouve que le président de la Commission est luxembourgeois, que la précédente présidence du Conseil de l'UE était luxembourgeoise. Il se trouve que le président de l'Eurogroupe est néerlandais et que l'actuelle présidence du Conseil de l'UE est néerlandaise. Vous aurez à juger des résultats. Je peux vous dire déjà que le travail avec la présidence luxembourgeoise était tout à fait remarquable puisque ça nous a permis en sept mois de conclure la directive sur l'échange automatique d'informations sur les rescrits fiscaux", a-t-il rétorqué.