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Panama Papers – Le scandale des sociétés offshore nourrit le débat européen sur la lutte contre l’évasion fiscale et sur la transparence
05-04-2016


panama-papersAu soir du 3 avril 2016, le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), ainsi que 108 médias de 76 pays qui ont opéré sous sa coordination, ont commencé à égrener les informations et analyses qu'ils ont pu tirer d'une masse d'informations inédites de 11,5 millions de fichiers provenant des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca.

Ces Panama papers retracent presque jour par jour le fonctionnement de la firme panaméenne de domiciliation de sociétés offshore depuis sa création en 1977 et 2015 et permet une immersion dans les stratégies d'évasion fiscale, au départ de l'UE notamment. Il s'agit de la plus grosse fuite d'informations jamais exploitée par des médias, qui jette une lumière crue sur les pratiques d'évitement fiscal.

Au-delà des réactions affligées sur l'étendue de l'évasion fiscale ou sur l'identité des stars et hommes politiques à la tête de telles sociétés, ces révélations nourrissent le débat européen sur les moyens de lutter plus efficacement contre l'évasion fiscale ainsi que sur plusieurs projets législatifs en cours ayant trait à la transparence et à la lutte contre l'évasion fiscale.

Du côté des partis politiques

Dans un communiqué de presse, le Parti populaire européen (PPE) a fait savoir que les groupes représentés au Parlement européen décideront des suites parlementaires à donner à l'affaire "Panama Papers" le 18 avril 2016, pour prendre le temps d'ici là de réunir les informations qui auront été  publiés par la presse. Burkhard Balz, eurodéputé porte-parole du PPE sur ces questions, a déploré "un parasitisme organisé à grande échelle" et jugé "intolérable que des entreprises juridiques et des gouvernements fassent de la vie aux dépens d'autres Etats un modèle économique". Le PPE souhaite que l'entreprise Mossack Fonseca et le gouvernement panaméen soient auditionnés par la commission spéciale TAXE II, mise en place à la suite du scandale Luxleaks.

L'ADLE veut également que Mossack Fonseca se présente devant la même commission parlementaire, pour communiquer des éléments sur l'implication de citoyens et compagnies européennes dans l'évitement fiscal. "Ces nouvelles informations donnent du poids à notre combat pour une concurrence fiscale loyale et un cadre législatif européen efficace", a déclaré Michael Theurer, eurodéputé ADLE et co-rapporteur pour la commission Taxe II. "En tant que co-rapporteur, j'appelle à ce qu'on clarifie le rôle joué par les banques. La commission spéciale doit se focaliser davantage sur les paradis fiscaux et doit assurer que les enquêtes avancent", a-t'il fait savoir.

Dans un communiqué du 4 avril 2016, le groupe S&D a exhorté la Commission européenne et l'UE à adopter des règles ambitieuses pour améliorer la transparence des entreprises et lutter contre l'évasion fiscale des multinationales. "Ce nouveau scandale fiscal montre que nous devons agir plus efficacement contre les fraudeurs et ceux qui leur facilitent la tâche de cacher leur argent dans les paradis fiscaux", a déclaré Gianni Pitella, qui s'inquiète qu'un tel scandale "discrédite le système politique aux yeux des citoyens". La Commission européenne doit présenter le 12 avril 2016 sa proposition sur le reporting pays par pays dans le cadre du nouveau paquet de mesures pour lutter contre l'évasion fiscale des entreprises présenté le 28 janvier 2016. Le brouillon de la proposition qui a fuité dans la presse le 21 mars 2016 indique que la Commission ne voudrait pas imposer de rapport pays par pays pour les activités des multinationales hors de l'UE, pour lesquelles seules des données agrégées seraient requises.

Gianni Pitella a écrit au président de la Commission européenne pour corriger cela et lui "demander d'assurer qu'un grand nombre de compagnies seront obligées de rapporter publiquement leurs activités dans chaque pays où elles opèrent, que ce soit dans ou hors de l'UU, afin de renforcer le combat contre la planification fiscale agressive des multinationales." La proposition actuellement en discussion ne répondrait pas aux attentes du Parlement et des citoyens et n'aura ainsi pas la bénédiction de son groupe, a-t-il prévenu. Pour cause, "cette solution favoriserait les pratiques de transfert du profit vers les juridictions fiscales et paradis fiscaux hors de l'UE (pour éviter l'obligation de publier des informations sur le paiement de taxes), et donc réduirait les revenus fiscaux européens".

De même, le fait que cette législation ne concernerait que les entreprises ayant un chiffre d'affaires annuel excédant 750 millions d'euros "minerait beaucoup l'efficacité de la mesure." Le Parlement européen a itérativement demandé que le rapport pays par pays couvre les grandes entreprises telles que définies dans la directive comptable, ce qui porterait le nombre d'entreprises concernées à 20 000.

Au nom du GUE/NGL, Fabio De Masi, membre de la commission spéciale TAXE 2 considère que "c'est un scandale que les Etats membres n'aient pas encore mis fin à cette duperie fiscale massive." "Ils surfent sur la vague de l'austérité portant vers une dépression économique tandis qu'ils laissent les riches y échapper par une arnaque fiscale. Cela mine la démocratie", a-t-il déclaré. Pour son groupe, ce scandale démontrerait que les réformes du système fiscal international sont insuffisantes. Il déplore que l'OCDE ait retiré Panama de la liste grise des paradis fiscaux et s'en prend aux Etats membres qui, à l'instar des Pays-Bas, ont une convention de non double imposition avec le Panama. Tant que ces pays accueillent des évadés fiscaux et ne mettent pas en place de mesures de transparence, les Etats membres devraient substituer ces conventions par des retenues fiscales sur les transactions financières vers ces juridictions. Il déplore aussi que la Commission européenne prévoit d'exclure des paradis fiscaux comme le Panama du rapport pays par pays pour les multinationales. Les licences des banques ayant aidé à l'évasion devrait voir leur licence retirée, en ligne avec la recommandation du Parlement européen du 16 décembre 2015, pense également le groupe GUE/NGL.

Pour les Verts, l'eurodéputé Sven Giegold constate que naît de ce nouveau scandale "l'impression dévastatrice que les lois ne sont pas les mêmes pour tous." "Seule une réaction décidée et crédible peut empêcher une nouvelle méfiance envers les élites politiques et économiques", pense-t-il. Il considère qu'à l'image de ce qui se passe aux USA avec le FATCA, les banques européennes devraient pouvoir être sanctionnées si elles font des affaires avec des entreprises qui ne sont pas transparentes. "Les banques doivent pouvoir garantir qu'elles n'entretiennent des comptes et des relations commerciales qu'avec ceux dont elles connaissent les bénéficiaires. Désormais, le président de la Commisison européenne a, selon Sven Giegold, le devoir de ficeler un plan d'action contre le blanchiment et les sociétés boites à lettres. "Un FACTA européen est un levier central, pour agir avec succès contre le blanchiment d'argent", dit-il.

Du côté des ONG

Un collectif d'une quarantaine d'organisations, dont la Conférence européenne des syndicats et Transparency international, ont adressé, le 5 avril 2016, une lettre ouverte au président de la Commission européenne pour exprimer, à l'instar notamment des groupes S & D et GUE-NGL, leurs inquiétudes sur la future proposition de la Commission sur la communication d'informations fiscales par les multinationales. Un reporting pays par pays serait le "seul moyen d'offrir une réelle transparence sur les profits réalisés et les impôts payés par les multinationales", pensent-ils. Sans quoi, "les multinationales pourront continuer à transférer leurs profits hors de l'UE, tout en laissant les citoyens dans l'ignorance". Ils soulignent aussi qu'en l'état, la mesure deviendrait "inutile" pour les pays en voie de développement qui n'auraient pas d'informations concernant leur pays. Ainsi la nouvelle proposition "minerait toute chance de collecter de nouvelles recettes publiques et serait contraire à l'engagement de l'UE en faveur de la cohérence dans la politique de développement".

Les ONG demandent également l'abaissement du chiffre d'affaires annuels, qui, placé à 750 millions, excluerait 85 à 90 % des multinationales du champ de cette législation. Ils rappellent que la proposition de directive sur les droits des actionnaires du Parlement européen prévoyant également un rapport pays par pays fixe un seuil de chiffre d'affaires annuel de 40 millions d'euros. De surcroît, les rapports devraient permettre de savoir clairement si les impôts sont payés là où les profits sont générés. "Sous votre présidence, la Commission a affirmé à plusieurs reprises son soutien en faveur de la transparence ainsi que son engagement pour la combat contre l'évitement fiscal. Alors que les scandales de la fiscalité des sociétés continuent à se développer, il est crucial que la Commission saisisse l'opportunité de restaurer la confiance publique dans nos systèmes fiscaux et de faire des pas concrets pour combattre l'extrême inégalité et pauvreté en Europe ainsi que dans les pays en développement", concluent-ils leur lettre.

Un autre collectif, formé de journalistes, lanceurs d'alerte, scientifiques, ONG, associations et syndicats européens, qui, le 31 mars 2016, avait transmis aux eurodéputés une analyse critique du projet de directive sur "la protection des secrets d'affaires" en leur demandant de la rejeter lors de leur vote du 14 avril 2016, a relancé son appel, suite à l'affaire de la publication des "Panama Papers". Le texte en discussion, s'il était adopté, donnerait à Mossack Fonseca "des moyens juridiques supplémentaires pour poursuivre des journalistes ou des entreprises de presse publiant sans leur consentement des documents et des informations internes" et empêcherait la possibilité de révélations telles celles des Panama Papers, font-ils remarquer dans leur communiqué de presse. Le collectif annonce le lancement d'une "deuxième pétition européenne" contre la directive sur le secret des affaires, déjà forte de 72 000 signatures après quatre jours.

Dans un communiqué séparé, Transparency International EU  souligne "le besoin urgent d'ouvrir les sociétés au public, dans la droite ligne avec la législation européenne récente". "Il y a une fenêtre ouverte dans les six prochains mois afin que l'UE montre la voie. Elle peut utiliser son autorité et son expérience pour mettre la pression sur les juridictions discrétionnaires autour du monde afin qu'elles s'ouvrent." Son approche doit s'inscrire à la suite de la directive anti-blanchiment adoptée en mai 2015 qui a été "une rupture", en obligeant les Etats membres à récolter des informations sur les bénéficiaires réels des entreprises, fondations et autres structures d'entreprises. "Chaque Etat membre devrait saisir l'opportunité de rassurer le public sur les abus du système et légiférer pour l'accès public à l'information sur la propriété des entreprises. "Les journalistes, la société civile et les citoyens ne devraient pas devoir compter sur les fuites de documents pour être en mesure d'analyser ce genre d'information" a déclaré le directeur de l'ONG, Carl Dolan. Cet effort devrait, selon l'OGN, s'accompagner d'une pression forte de l'UE sur les pays tiers pour révéler de telles informations. Elle peut ainsi agir au sein du G20 pour l'établissement d'un registre mondial des sociétés. Elle devrait faire des réformes sur la transparence sur la propriété des entreprises et de la lutte contre le blanchiment de capitaux "une priorité quand elle négocie des accords commerciaux et d'autres accords avec des pays hors de l'UE".

La Confédération européenne des syndicats (CES) estime "honteux que ce soit des journalistes qui aient dû identifier ces fraudeurs alors que l'UE et les gouvernements nationaux se sont montrés incapables d'agir efficacement pour les arrêter", a déclaré Veronica Nilsson, secrétaire générale adjointe de la CES. "Tandis que les riches et puissants abusent du système, les citoyens ordinaires paient le prix de l'austérité, de l'augmentation des coûts et de la stagnation des salaires", constate la CES qui "demande qu'une priorité absolue soit donnée à la justice fiscale et à des réformes effectives pour mettre fin à l'évasion fiscale".

La CES émet quatre revendications : un centre d'investigation fiscale à l'échelle européenne (EuroTax), afin d'enquêter sur l'évasion et la fraude fiscales pratiquées par des personnes fortunées, des entreprises et des criminels ; l'introduction d'une taxe sur les transactions financières (TTF) dans tous les États membres ; une réforme structurelle urgente portant sur les investissements dans les administrations fiscales et les services d'enquête nationaux  ainsi que l'obligation pour les entreprises multinationales de publier des comptes détaillés dans chaque pays où elles opèrent.

Le débat au Luxembourg

S'il n'est pas aussi directement visé que lors des révélations Luxleaks, le Luxembourg est, à l'instar de nombreux autres Etats membres de l'UE, mentionné dans les Panama Papers parce qu'il abrite sur son sol des banques qui ont eu recours à la création de sociétés off-shore panaméennes. Le Luxembourg est le 4e pays où les intermédiaires ont été les plus actifs, avec plus de 15 000 entités offshore créées.

Interrogé par le Tageblatt, le ministre de l'Economie et vice-Premier ministre, Etienne Schneider a déclaré que le Luxembourg faisait désormais partie des "early adopters" en termes d'échange automatique d'informations, selon les critères de l'OCDE. Le Luxembourg n'aurait rien à se reprocher. Le gouvernement luxembourgeois aspire à avoir une Place financière propre et fait tout pour garantir que toutes les sociétés établies au Luxembourg ont une réelle activité dans le pays, a-t-il déclaré.

Du côté des partis politiques, le parti Déi Lénk a été le premier à réagir, par communiqué de presse, pour déplorer que "la loi luxembourgeoise fut et est de nouveau utilisée comme relais des super riches et criminels, au lieu d'être au service de la collectivité". "Les sociétés boîte à lettres n'ont pas de réelle utilité, à part la dissimulation de flux de capitaux en vue de l'évitement fiscal ou de blanchiment d'argent", dit le parti de gauche. Déi Lénk pense que des banques qui auraient aidé à l'évasion fiscale devraient se voir retirer leur licence, comme l'a proposé le Parlement européen. "Cela ne suffit plus de se cacher derrière l'argument de conditions égales de concurrence (level playing field), il faut endosser le rôle de précurseur dans la lutte contre l'évitement et l'évasion fiscales".

De son côté, le collectif Tax Justice Lëtzebuerg constate que "ces pratiques ont en commun qu'elles provoquent la perte de milliards d'euros de recettes d'impôts pour les budgets des États aussi bien industrialisés qu'en voie de développement ; elles posent avec véhémence la question de l'équité fiscale". Au nom du Programme mondial pour le développement durable à l'horizon 2030, "toute personne physique ou morale doit reconnaître que le fait de payer des impôts représente un investissement dans la société entière", dit-il.

"Les efforts internationaux et nationaux pour créer une plus grande transparence, notamment à travers la mise en place de registres publics pour la transparence en matière de propriété véritable, doivent être accélérés à la lumière de ces révélations. De même, les rapports des activités et impôts payés pays par pays par les grandes entreprises devrait être accessibles publiquement. Les instituts financiers qui collaborent à l'évasion fiscale ou à la dissimulation de capitaux devraient être sanctionnés", explique par ailleurs le collectif en appelant à la protection des lanceurs d'alerte.