Le 25 mai 2016, la Commission européenne a présenté deux nouvelles initiatives mettant en œuvre la stratégie de marché unique numérique qu'elle a présentée en mai 2015. Par un paquet sur le commerce électronique, elle entend permettre aux consommateurs et aux entreprises d'acheter et de vendre des produits et services en ligne plus facilement et en toute confiance à travers l'Union. Ce paquet doit lancer la lutte contre le blocage géographique, rendre la livraison transfrontière de colis plus abordable et plus efficace et, enfin, favoriser la confiance des clients grâce à une meilleure protection et une meilleure application des droits des consommateurs. La Commission a en parallèle présenté une actualisation de la règlementation sur les médias audiovisuels qui entend promouvoir un meilleur équilibre des règles qui s'appliquent aujourd'hui aux organismes traditionnels de radiodiffusion télévisuelle, aux fournisseurs de vidéos à la demande et aux plateformes de partage de vidéos.
Le même jour, les eurodéputés ont eu un débat au sujet des nouvelles propositions de la Commission d'où il est ressorti que le Parlement européen juge qu'il s'agit là d' "un pas de plus vers le marché unique numérique", selon les termes du communiqué de presse diffusé le lendemain par le Parlement européen.
Le 19 janvier 2016, le Parlement européen avait adopté un rapport destiné à accompagner la stratégie autour du marché unique numérique présentée par la Commission européenne le 6 mai 2015 et dont ces nouvelles propositions sont une déclinaison partielle.
"[L'innovation numérique], c'est faire mieux et trouver de nouveaux moyens de résoudre les problèmes, de l'accès aux services et aux biens à l'environnement et la mobilité. Tout l'objectif de la stratégie sur le marché unique numérique est d'éliminer les barrières qui résultent souvent de législations ou de pratiques dépassées", a expliqué la députée libérale estonienne Kaja Kallas, l'une des deux députées en charge du dossier au Parlement.
Au cours du débat, les députés ont affirmé qu'ils veulent faire en sorte que tous les citoyens bénéficient du paquet. Ils ont salué le plan qui n'adopte pas une approche unique pour les plateformes en ligne, et ont appelé à une plus grande transparence sur le marché de la livraison de colis, a fait savoir le Parlement.
L'un des éléments-clés de la stratégie visant à développer le commerce numérique consiste dans la la lutte contre le blocage géographique, qui limite l'accès à des biens ou à des services selon le pays de résidence de la personne. Dans leur rapport de janvier, les eurodéputés avaient jugé qu'il fallait "mettre fin aux pratiques injustifiées de blocage géographique et à la discrimination injuste par les prix fondée sur la situation géographique ou la nationalité, qui ont souvent pour effet la mise en place de monopoles et le recours au contenu illégal par les consommateurs". Certains eurodéputés ont néanmoins jugé que la proposition aurait pu être plus ambitieuse, se référant à des questions de droit d'auteur. D'autres ont souligné qu'il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine.
"À l'heure actuelle, il est impossible pour un vendeur de n'opérer que dans l'État membre où il se trouve. Nous souhaitons protéger les consommateurs et mettre fin aux discriminations fondées sur le lieu de résidence ou le type de carte de crédit du client. Ces pratiques sont inacceptables au sein d'un marché unique", a estimé l'eurodéputée S & D, Evelyne Gebhardt, deuxième rapporteur du texte.
La proposition prévoit néanmoins que certains secteurs tels que les services de transport, les services financiers de détail et les services de l'audiovisuel ne soient pas concernés par la fin du géo-blocage.
Le Bureau européen des consommateurs (BEUC) avait été une des premières organisations à réagir. "Le marché unique a grandement profité aux entreprises dans l'UE. Les consommateurs par contre continuent à faire face à des obstacles quand ils essaient tirer avantage de meilleures offres de commerçants d'autres pays", avait déclaré sa directrice Monique Goyens.
La Fédération européenne des employeurs privés, BusinessEurope, a pour sa part jugé qu'il était temps pour la Commission de faire ces propositions car le commerce transfrontalier en ligne est "sous-développé" avec seulement 20 % d'acheteurs en ligne qui se fournissent dans d'autres Etats membres." "La Commission s'attaque très justement aux règles complexes, à la fragmentation actuelle et au manque de confiance. Cependant, nous sommes inquiets du manque de clarté sur certaines dispositions", a néanmoins déclaré Markus J. Beyrer, son directeur général. Il a notamment émis la crainte que les obstacles qui se dressent devant ceux qui veulent vendre à l'étranger et les incertitudes concernant le service après-vente, notamment en cas de retour des marchandises, demeurent. Concernant les pouvoirs de fermer des sites internet qui seraient mis entre les mains des autorités de consommateurs, il a souligné qu'ils devaient "être proportionnés et assortis à des garanties minimales".
Comme les propositions de la Commission européenne brassent un grand nombre d'activités commerciales, elles ont suscité de nombreuses réactions sectorielles. Concernant plus directement l'amélioration du commerce transfrontière en rendant plus accessible et plus efficace la livraison de colis, les opérateurs postaux réunis au sein de PostEurop ont fait part de leur indignation du fait que la Commission demande aux opérateurs postaux de partager un grand nombre de données commerciales confidentielles et les contraint à donner aux opérateurs de partie tierce, sous peu de conditions, un accès complet à leurs réseaux de distribution. Cela irait "dans le sens d'une réglementation des prix et ne reflètent pas les conditions du marché", selon PostEurop dans son communiqué.
L'Union européenne de radio-télévision (UER) considère que la proposition visant à réviser la Directive Services Médias Audiovisuels identifie correctement les domaines où une mise à jour est nécessaire, à la lumière de la convergence des médias et des nouvelles habitudes de consommation. Il tenait particulièrement à cœur de l'UER que "les spectateurs puissent être avertis qu'une offre riche de programmes d'intérêt public est à leur disposition" et qu'il leur soit simple d'y accéder. Or, "en introduisant la notion de 'découverte' des contenus d'intérêt général dans la nouvelle proposition, la Commission européenne a fait un pas dans la bonne direction", dit l'UER. Toutefois cette dernière dit qu'il eût été possible d'aller plus loin et d'établir clairement que l'accès des téléspectateurs aux programmes de valeur publique est "un objectif clé, et que les États membres de l'UE ont la possibilité d'élaborer des politiques correspondantes lorsque cela s'avère nécessaire".
Alors que la Commission a repoussé à deux ans après l'éventuelle entrée en vigueur du règlement concernant le géoblocage pour les pratiques basées sur des droits d'auteur ou des accords de licences, la Fédération européenne et internationaux des libraires (EIBF) fait savoir que, même si le marché est extrêmement limité pour les livres, puisque seuls 1% des lecteurs européens ont accès à des e-books au-delà des frontières, les acteurs principaux du marché ont pour but d'être présents sur le plus grand nombre de marchés possibles, pour des raisons stratégiques de marketing. Elle note toutefois que l'accès à un internet rapide dans les maisons européennes et la mise en œuvre d'un système de carte de débit en ligne sont des questions qui devraient être traitées.
La Fédération des éditeurs européens (FEP) est pour sa part soulagée de ne pas être concernée par le blocage géographique. "Ce délai permettra aux éditeurs et aux libraires de fournir des preuves de l'impact d'une telle législation sur le secteur et notamment sur le PME", a dit son directeur.
L'association européenne de plateformes en ligne et d'entreprises actives dans la technologie de l'innovation (EDiMA), qui abrite notamment Amazon EU et eBay, craint que l'initiative de la Commission sur l'e-commerce crée de l'insécurité juridique dès lors qu'une révision des droits des consommateurs qui devrait avoir lieu à la fin de l'année en cours pourrait en contredire certains aspects. Par ailleurs, elle salue le pragmatisme de la Commission pour ce qui est de la règlementation des plateformes en ligne, mais déplore la volonté de la Commission de définir des problèmes et des solutions pour toutes les plateformes, plutôt que de retenir une approche au cas par cas, à laquelle elle tenait pourtant.