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Réforme du régime d’asile commun européen – La proposition de la Commission européenne laisse le Parlement européen dubitatif
11-05-2016


Un groupe de réfugiés syriens arrivent sur l'île de Lesbos près de Skala Sykaminias, en Grèce, après avoir effectué la traversée à bord d'un canot pneumatique depuis la Turquie.  Photo HCRLe 11 mai 2016, les députés ont débattu de la réforme du régime d’asile européen communproposée une semaine plus tôt par la Commission européenne pour le rendre "plus équitable, plus efficace et plus durable".

Le projet de la Commission

La Commission a opté pour le maintien du principe de base du règlement de Dublin, selon lequel le premier pays d’entrée du demandeur est responsable du traitement de sa demande. Toutefois, un nouveau mécanisme d'équité doit assurer qu'aucun État membre ne voie son régime d'asile subir une "pression disproportionnée". Le nouveau système devrait automatiquement signaler qu'un pays traite un nombre disproportionné de demandes d'asile, quand il pays aura reçu un nombre de demandes disproportionné durant les douze mois qui précèdent, allant au-delà de 150 % de la valeur de référence calculée en fonction de la taille de la population et du PIB.

Un État membre aurait cependant la possibilité de ne pas participer, à titre temporaire, à ce mécanisme, moyennant le paiement d’une contribution de solidarité de 250 000 euros pour chaque demandeur dont il aurait autrement été responsable en vertu du mécanisme d'équité, au profit de l'État membre de relocalisation. Le renforcement d’Eurodac et la création d’une Agence de l’UE pour l’asile en lieu et place du bureau de liaison, sont les deux autres propositions qui s’inscrivent dans le cadre de cette réforme.

La proposition de la Commission européenne avait rencontré une forte opposition dans la majorité des Etats membres d'Europe centrale et orientale.

En introduction du débat, le premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a rappelé la nécessité de faire face au défi de manière collégiale, tandis que le commissaire Dimitris Avramopoulos, a rappelé que le projet est "bien équilibré" pour atteindre deux objectifs : un système durable pour déterminer l’Etat responsable, tout en évitant que des Etats membres doivent porter des fardeaux disproportionnés, puis la prévention des mouvements secondaires.

Les positions des eurodéputés

La majorité des intervenants ont estimé que la proposition de la Commission n’était pas assez ambitieuse, tandis que certains ont douté qu’elle puisse créer davantage de solidarité entre les Etats membres. Le 16 mars 2016, la commission LIBE du Parlement européen avait d’ailleurs proposé un système européen centralisé pour les demandes d'asile avec des quotas nationaux.

Pour le PPE, l’eurodéputée Roberta Metsola a rappelé l’importance de montrer aux citoyens des pays qui sont en première ligne dans la crise migratoire qu’ils "ne doivent pas affronter seuls le problème". Le mécanisme de correction marque "un bon pas dans la bonne direction", mais elle considère que la possibilité laissée aux Etats membres de s’exonérer par le paiement d’une contribution "n’est pas la meilleure voie vers la solidarité". "Nous ne sommes tous à bord ou nous n’y sommes pas", a-t-elle dit.

Le groupe S&D, par la voix d’Elly Schlein, est plus sévère. "La proposition n’est pas celle que nous attendions", a-t-elle dit en rappelant la proposition d’un système européen centralisé faite un mois plus tôt. "Il est absurde de maintenir en vie artificiellement l’ancien système en conservant le principe du premier pays d’entrée". La valeur de 150 %, à partir de laquelle sera déclenché le mécanisme d’équité, est abstraite et ne tient pas compte des capacités actuelles. La députée a en revanche salué le nouveau système qui concerne tous les demandeurs et le renforcement du regroupement familial et de la tutelle des mineurs.

A l’issue de la présentation de la proposition de la Commission, le groupe ECR s’était dit d’accord avec le maintien du principe du règlement de Dublin qui fonctionne mais demandé l’abandon du mécanisme de relocalisation auquel il préfère le soutien financier, le partage des informations et la relocalisation sur une base volontaire.

La future rapporteure pour le Parlement sur ce projet, l’eurodéputée ADLE, Cecilia Wikström, a promis que la proposition, qui est "un bon point de départ", sera améliorée. La situation sera désormais "plus viable" et évitera "la délocalisation de nos responsabilités" qui a été décidée à travers l’accord avec la Turquie. Le règlement de Dublin est la "pierre angulaire du système d’asile, l’heure n’est pas venue d’en diluer le contenu", a-t-elle déclaré. Il faut "rester unis et avoir une vision commune du futur règlement".

"Je suis convaincue que nous allons renforcer notablement la proposition au Parlement européen", a-t-elle poursuivi, promettant notamment que l’approche de la Commission concernant le transfert des mineurs qui prévoit qu’ils soient "renvoyés aux quatre coins de l’Europe comme une balle de ping-pong" sera modifiée par le Parlement.

L’eurodéputée, Cornelia Ernst GUE/NGL, pense que le système de Dublin est mort, et déplore qu’on cherche à le ressusciter. Il est illusoire de croire que l’on puisse résoudre la gestion des demandeurs d’asile par des formules mathématiques comme s’il s’agissait d’objets et non d’êtres humains. C’est "une manœuvre de diversion", un projet "ni solidaire, ni juste", pense-t-elle.

Jean Lambert Verts/ALE, a assuré le soutien de son groupe à Cecilia Wikström et l’ADLE, dans le but de modifier le projet, notamment sur les mineurs non accompagnés. Elle pense que le texte ne passera pas. "La lutte sera dure", promet-elle. Il faut être plus réaliste, écouter les ONG sur place. "Le système ne fonctionne pas, n’a jamais fonctionné. Nous attendons toujours la solidarité." Il ne pourrait fonctionner que par l’analyse de la situation des demandeurs d’asile. Or, les mouvements secondaires que le projet est censé combattre surviennent justement parce que le régime de Dublin fixe le demandeur d’asile en un endroit et donne une seule chance. "Si vous arrivez dans un pays où vous estimez que votre demande ne sera pas traitée comme vous le souhaiteriez, où vous ne pouvez utiliser votre langue, pour être en contact avec votre communauté d’origine, où vous ne pourrez pas vous intégrer, cela fait du sens que vous ayez envie de quitter ce pays", a-t-elle fait remarquer.

Pour l’EFDD, l’eurodéputée italienne du Mouvement Cinque Stelle, Laura Ferrara a déploré que ce soit toujours le pays d’entrée qui doive affronter la majorité du problème. "Pourquoi attendre qu’un pays soit en grande difficulté pour qu’un mécanisme soit enclenché, et pourquoi serait-il possible de s’en laver les mains ?", a-t-elle demandé en déplorant que le "vieux système" qui conduira à faire les mêmes erreurs, soit maintenu. Elle a proposé la suspension du vote pour les pays qui se refusent à collaborer et défendu l’introduction d’un système de gestion européen avec des relocalisations obligatoires.

Marcus Pretzell, le député allemand AFD qui a rejoint le groupe Europe des nations et des libertés dominé par le Front national français, a constaté que le règlement de Dublin est "dans les oubliettes de l’histoire car personne ne le respecte", pas plus que n’est respecté l’accord de Schengen. Il a remercié ironiquement la Commission qui lui a fait savoir qu’un migrant coûte 250 000 euros. Il a par ailleurs aussi dénoncé le regroupement familial "qui a créé un chaos qui va empirer à l’avenir".

L’eurodéputé luxembourgeois PPE, Frank Engel est intervenu plus tard dans le débat. Il a rappelé que l’asile est "un droit international que nous pouvons difficilement limiter de manière quantitative". Il a jugé "aventureuse" la proposition d’un texte qui prend en compte l’opposition d’Etats membres à participer. Il défend un système européen de traitement des demandes et souhaite que soit abandonnée l’idée d’une sanction financière pour les récalcitrants. "Il faut dire à ceux qui ne veulent pas participer qu’ils ont un problème avec l’UE et non les faire payer", a-t-il dit.