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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Éducation, formation et jeunesse - Emploi et politique sociale
Dans ses conclusions, l’avocat général de la CJUE dit que la loi sur les bourses d’études établit une discrimination fondée sur la nationalité et que la condition de travail ininterrompu de 5 ans pour les travailleurs frontaliers n’est pas justifiée
02-06-2016


CJUELa loi luxembourgeoise sur les bourses d’étude continue de poser question. Modifiée à la suite d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) de juin 2013, elle prévoit que les enfants de travailleurs frontaliers employés au Luxembourg ou exerçant leur activité dans ce pays peuvent demander une aide financière pour études supérieures (ci-après "bourse d’études"), à condition notamment que le travailleur frontalier ait travaillé au Luxembourg pendant une durée ininterrompue de cinq ans au moment de la demande.

M. André Angelo Linares Verruga réside avec ses parents, Mme Maria do Céu Bragança Linares Verruga et M. Jacinto Manuel Sousa Verruga, à Longwy, en France. Mme Bragança Linares Verruga travaille au Luxembourg en tant que salariée depuis le 15 mai 2004, avec une seule interruption de moins de trois mois entre le 1er novembre 2011 et le 15 janvier 2012. M. Sousa Verruga a, quant à lui, travaillé au Luxembourg en tant que salarié entre le 1er avril 2004 et le 30 septembre 2011 ainsi qu’entre le 4 décembre 2013 et le 6 janvier 2014. Depuis le 1er février 2014, il y travaille en tant qu’indépendant.

Inscrit à l’université de Liège, en Belgique, M. Linares Verruga a sollicité auprès des autorités luxembourgeoises l’octroi d’une bourse d’études pour les semestres d’hiver et d’été de l’année universitaire 2013/2014. Les autorités luxembourgeoises ont refusé de faire droit à ces demandes, du fait que ni la mère ni le père de M. Linares Verruga n’avaient travaillé pendant une durée ininterrompue de cinq ans au moment de la demande de bourse. M. Linares Verruga ayant contesté cette décision devant la justice luxembourgeoise, le tribunal administratif de Luxembourg, saisi de l’affaire, demande à la Cour de justice si la condition de travail ininterrompu de cinq ans est conforme au droit de l’Union.

Selon l’avocat général, la condition de durée de travail minimale et ininterrompue établit une discrimination fondée sur la nationalité qui n’est ni appropriée ni nécessaire

Dans ses conclusions rendues le 2 juin 2016, l’avocat général Melchior Wathelet constate tout d’abord que la condition de durée de travail minimale et ininterrompue, prévue par le droit luxembourgeois, ne s’applique pas aux étudiants qui résident sur le territoire luxembourgeois, mais uniquement aux non-résidents qui, le plus souvent, ont une nationalité autre que la nationalité luxembourgeoise. Il s’ensuit que la loi luxembourgeoise établit une discrimination fondée sur la nationalité, qui ne peut être admise qu’à la condition d’être objectivement justifiée.

À cet égard, l’avocat général indique que le Luxembourg justifie cette discrimination par l’objectif d’encourager l’augmentation de la proportion des résidents titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Si l’avocat général considère que l’action entreprise par un État membre afin d’assurer un niveau élevé de formation de sa population résidente et de promouvoir le développement de son économie poursuit en effet un objectif légitime susceptible de justifier une discrimination fondée sur la nationalité, il considère toutefois que la condition de durée de travail minimale et ininterrompue n’est ni appropriée ni nécessaire en l’espèce.

Cette condition, qui vise à démontrer une intégration suffisante d’un des parents de l’étudiant sur le marché de l’emploi luxembourgeois, n’est en effet pas appropriée, car elle paraît sans relation avec l’objectif poursuivi, à savoir augmenter de manière significative, au Luxembourg, la part des résidents titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. D’autre part, elle apparaît aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif recherché, dans la mesure où elle présente un caractère trop général et exclusif et où elle ne laisse aucune marge d’appréciation aux autorités compétentes dans l’examen de la situation du demandeur. Ainsi, dans le cas de M. Linares Verruga, l’avocat général relève que le bénéfice de la bourse d’études lui a été refusé alors que ses parents ont tous deux travaillé au Luxembourg pendant une période ininterrompue de plus de cinq ans avec seulement quelques brèves interruptions au cours des cinq années ayant précédé la demande de bourse.

Selon l’avocat général, la modification de loi introduite en 2014 ne répond toujours pas à l’exigence de proportionnalité requise 

On notera que la loi luxembourgeoise a entre-temps été modifiée : désormais, il suffit que le travailleur frontalier ait travaillé au Luxembourg pendant une durée de cinq ans au cours des sept années précédant la demande de bourse. Toutefois, l’avocat général considère que cette modification ne répond toujours pas à l’exigence de proportionnalité requise : il rappelle en effet que la Cour a déjà considéré en juin 2012, dans un arrêt suivi au Luxembourg, comme contraire au droit de l’Union une législation nationale qui subordonnait le financement des études supérieures poursuivies à l’étranger à la condition d’avoir résidé sur le territoire étranger au moins trois ans au cours des six années précédant l’inscription de l’étudiant.

En résumé, l’avocat général propose à la Cour de répondre que subordonner les bourses d’études accordées aux enfants de travailleurs frontaliers au fait que le travailleur frontalier ait travaillé pendant une durée ininterrompue de 5 ans dans l’État membre d’accueil constitue une discrimination injustifiée fondée sur la nationalité.