Le 19 janvier 2017, le Parlement européen réuni en plénière a adopté sa position sur un socle européen des droits sociaux, qui doit définir un certain nombre de principes essentiels garantissant le bon fonctionnement et l'équité du marché du travail et des systèmes sociaux. La résolution présentée par Maria João Rodrigues (S&D) a été adoptée par 396 voix pour, 180 contre et 68 abstentions, avec les voix des groupes S&D, GUE-NGL, Verts-ALE et d'eurodéputés issus des rangs du PPE et de l'ADLE.
La Commission européenne doit présenter en mars 2017 ses propositions concernant le socle européen des droits sociaux, annoncées par son président, dès septembre 2015, lors du débat sur l'État de l'Union européenne. La Commission avait lancé à cet effet une consultation publique en mars 2016.
La résolution adoptée par le Parlement européen souligne en préambule que "l'Union européenne se doit d'apporter une réponse rapide et tangible au sentiment de frustration et d'inquiétude qui grandit chez de nombreuses personnes en raison de l'incertitude des perspectives d'avenir, du chômage, des inégalités croissantes et du manque de possibilités, en particulier pour les jeunes". Le Parlement y espère notamment "que le débat sur le socle européen de droits sociaux et les mesures nécessaires à prendre dans la foulée peut également contribuer à donner des fondations plus solides au projet européen et permettre à la population de mieux s'approprier le processus d'intégration européenne".
Le Parlement demande en conséquence un socle européen des droits sociaux "qui ne se limite pas à une déclaration de principes ou de bonnes intentions mais renforce les droits sociaux au moyen d'outils concrets et spécifiques (législation, mécanismes d'élaboration des politiques et instruments financiers), de façon à avoir une incidence positive sur la vie des personnes à court et à moyen terme et à soutenir la construction européenne au XXIe siècle".
Dans le but de l'actualisation des normes sociales et de travail existantes, le Parlement exhorte la Commission à présenter une proposition de directive-cadre sur des conditions de travail décentes dans toutes les formes d'emploi, en étendant les normes minimales existantes à de nouveaux types de relations d'emploi, comme le travail à la demande ou le travail par l'intermédiaire de plateformes numériques.
Les députés pressent également les États membres d'appliquer de façon plus efficace les normes de travail, notamment pour lutter contre le travail non déclaré. Ils proposent à cette fin la mise en place d'une carte de sécurité sociale européenne, qui permettrait d'assurer une protection sociale de qualité pour les travailleurs qui contribuent aux systèmes de sécurité sociale, en leur donnant accès à l'historique de leurs contributions, agrégées sur des comptes personnels.
Les eurodéputés souhaitent que soit mis fin aux stages non payés et en appellent à des normes minimales sur l'apprentissage, la formation et les conditions de travail décentes, ainsi qu'à des revenus suffisants pour les stagiaires, les personnes en formation et les apprentis. Les stages et apprentissages devraient disposer d'un véritable contenu d'apprentissage et de formation et des conditions de travail décentes "de manière à garantir qu'ils constituent de véritables tremplins dans la transition de l'enseignement à la vie professionnelle", pensent-ils. Le Parlement veut aussi l'imposition de limites concernant le travail à la demande et l'interdiction des contrats "zéro heure", "vu l'incertitude extrême qu'ils impliquent".
Pour ce qui est de la garantie d'"une protection sociale adéquate et viable", il évoque l'importance d'un accès universel à des services de soins de santé préventifs et curatifs "de qualité, abordables et opportuns", ainsi qu'aux médicaments.
Afin de lutter contre la pauvreté des enfants, les élus plaident pour qu'une "garantie pour l'enfance" soit mise en place, de sorte que "chaque enfant actuellement menacé par la pauvreté ait accès à des soins de santé gratuits, à un enseignement gratuit, à des services de garde gratuits, à un logement décent et à une alimentation convenable".
Par ailleurs, face à un monde toujours plus numérisé, le Parlement est favorable à une garantie de compétences en tant que nouveau droit "permettant à tout un chacun, quel que soit son âge, d'acquérir des compétences fondamentales pour le XXIe siècle, notamment la lecture, le calcul, l'usage du numérique et des médias, un esprit critique, des compétences sociales et celles que rend nécessaires une économie aussi verte que circulaire".
Les eurodéputés invitent aussi les États membres "à faire respecter le droit à un logement adéquat".
L'actuelle "garantie pour la jeunesse" devrait, quant à elle, être renforcée, en la rendant accessible pour toutes les personnes âgées de moins de 30 ans, et en mettant l'accent sur la qualité des offres et sur des interactions efficaces avec toutes les personnes concernées.
Concernant la libre circulation des personnes, les eurodéputés demandent qu'elle soit soutenue, notamment par un système efficace de coordination de la sécurité sociale. Ils observent également à ce sujet que "la mobilité ne doit pas résulter de l'inadéquation des perspectives d'emploi ou de la protection sociale insuffisante dans les régions d'origine des travailleurs, puisque l'exportation prolongée de main-d'œuvre peut freiner la convergence économique".
Enfin, le Parlement souligne que le socle européen des droits sociaux ne pourra être crédible que s'il est "financé de façon adéquate" tant au niveau national qu'européen, garantissant que les États membres soient capables d'atteindre les objectifs communément acceptés, et que s'il inclut une feuille de route claire quant à sa mise en œuvre.
Deux jours après la fin de la grande coalition, à la suite de l'élection d'Antiono Tajani à la présidence du Parlement, le groupe S& D s'est enorgueilli d'avoir conduit une "solide majorité progressiste" au Parlement européen qui a adopté un rapport majeur sur le pilier européen des droits sociaux. "Nous ne voulons pas d'une économie qui ne fonctionne que pour les 1 % du haut de l'échelle et qui piège le reste de la population", a déclaré Maria João Rodrigues, vice-présidente du groupe et rapporteur du projet de résolution. "Il s'agit de subordonner au droit du travail européen tant l'économie des petits boulots que le travail par le biais de plateformes numériques. (…) Si l'État-providence était une des grandes réalisations du 20e siècle, il faut l'adapter aux tendances du 21e."
L'ADLE s'appuiera sur la contribution du Parlement européen pour lancer une réflexion plus large afin de proposer une nouvelle vision de l'Europe sociale, a-t-il fait savoir. Le groupe des libéraux entend "développer d'une manière concrète, la réalité de ces droits fondamentaux, tout en respectant la réalité différente de chaque Etat membre et sous le principe de solidarité", selon les termes de l'eurodéputé Enrique Calvet Chambon. "Une Europe sociale, telle que proposée par la Commission européenne, est nécessaire pour trois raisons", a-t-il ajouté. "D'abord, pour combattre correctement les inégalités. Ensuite, pour affronter les nouveaux défis provoqués par les évolutions technologiques, ainsi que les dynamiques d'installation de l'euro. Et enfin, pour consolider un projet de solidarité européen compétitif, dynamique et éthique qui puisse rassembler les citoyens."
Pour le GUE-NGL, sa présidente, Gabi Zimmer, demande des actes concrets pour aider les 120 millions de personnes vivant dans la pauvreté en Europe et des millions de travailleurs précaires. "Seul un socle de droits sociaux qui est sérieux et suffisamment financé est un pas dans la bonne direction", dit-elle. "Nous n'avons pas besoin de socle fait de papier". Elle souligne l'exigence d'une directive garantissant les conditions de travail décentes pour tous et l'interdiction des contrats zéro heure, "de grande importance à l'ère du travail numérique", ainsi que celle demandant la garantie d'un salaire minimum pour les familles les plus pauvres, la garantie de l'éducation libre, de gardes d'enfants gratuites, de nourriture et logement décents pour les enfants". Son groupe critique néanmoins que "ce socle ouvre la voie vers une harmonisation des systèmes de protection sociale, des sécurités sociales et du travail, poussant une offensive contre les droits des travailleurs, réduisant les standards en termes de droits social et du travail, et nourrissant les politiques d'appauvrissement et d'exploitation."
A noter qu'au lendemain du vote et à trois jours d'une conférence sur le socle européen des droits sociaux intitulée durant laquelle la Commission européenne dévoilera ses dernières réflexions en la matière, la Confédération européenne des syndicats (CES) a publié un communiqué de presse dans lequel elle prévient que ce socle est "la dernière chance de répondre au ressentiment populaire à son égard". "[La Commission] peut soit ignorer cette colère, soit veiller à améliorer le sort des travailleurs", a déclaré le secrétaire général de la CES, Luca Visentini. "Nous attendons une approche ambitieuse de la part de la Commission européenne dans laquelle les droits sociaux sont favorisés et défendus avec la même urgence et le même engagement que les règles économiques et budgétaires."
La CES met en avant sa revendication sur des propositions législatives visant à encourager le travail de qualité et à mettre fin aux changements incessants générant flexibilité et précarisation, par exemple à travers une meilleure réglementation des plateformes en ligne et une meilleure application des droits existants s'accompagnant de droits pour les travailleurs indépendants. "Ces propositions doivent garantir le modèle social reposant sur les droits syndicaux et protéger les conventions collectives, particulièrement dans le contexte de la libre circulation", dit-elle.