Dans un entretien accordé au journaliste Marc Vandermeir et publié dans la Libre Belgique du 23 avril 2009, Jean-Claude Juncker, Premier ministre luxembourgeois et président de l'Eurogroupe, est revenu sur les décisions du récent G2O en matière de paradis fiscaux et de contrôle des marchés financiers.
Invité à tirer un bilan du sommet du G2O qui s'est tenu, le 2 avril dernier à Londres, Jean-Claude Juncker évoque dans un premier temps "le regard doux, intéressé et de connivence", que "pour l’essentiel", il jette sur ce sommet, dont l’objectif était de mieux réglementer les marchés financiers.
Il se dit pourtant "un peu étonné par plusieurs choses". Jean-Claude Juncker revient ainsi tout d’abord sur l’exigence qu’il avait exprimée dès février 2007 sur une réglementation des "hedge funds", des agences de notation et des autres institutions financières. Il tient en effet à rappeler que "cette exigence n'avait [alors] pas trouvé grâce aux yeux des Américains et des Britanniques". Et le Premier ministre est donc "aujourd'hui assez impressionné par l'extraordinaire performance de M. Brown qui, devenu Premier ministre, prend la tête du mouvement de ceux qui veulent davantage réglementer" tandis que "les Britanniques apparaissent aux yeux de tous les Européens comme les meneurs du mouvement de réglementation".
La deuxième chose qui "impressionne" le Premier ministre à l’issue de ce sommet, c’est "le fait que la Belgique et le Luxembourg - qui entretiennent depuis toujours d'excellentes relations - soient sur une 'liste grise' des paradis fiscaux". Reprenant les propos qu’il a tenu l’avant-veille au cours de son discours sur l’état de la nation, Jean-Claude Juncker s’étonne ainsi à nouveau que "les îles Britanniques aient été blanchies en une nuit", mais aussi que le Wyoming, le Nevada et le Delaware ou encore les places financières russes "soient considérées comme blanches, alors que Bruxelles et Luxembourg seraient moins fréquentables". Rappelant la décision prise en mars par le gouvernement luxembourgeois d’accepter l'échange sur demande d'informations, Jean-Claude Juncker conclut que "cette liste des paradis fiscaux a ainsi été établie dans la plus grande précipitation".
Le Premier ministre luxembourgeois revient à ce sujet à plusieurs reprises au cours de l’interview sur la promesse faite lors du Conseil européen de mars dernier qu'aucun Etat membre ne figurerait sur une liste grise. Aussi, pour lui, "les Européens autour de la table du G2O ont été lâches, car ils n'ont pas osé poser les bonnes questions au président américain. C'est plus facile de mettre la Belgique et le Luxembourg sur une liste que d'engager un discours musclé avec M.Obama."
Et d’expliquer plus avant que "la Présidence tchèque de I'UE a pris la défense de l'Autriche, de la Belgique et du Luxembourg. Mais les autres Européens présents ont "omis" de la suivre dans la logique de son exposé." Conclusion de Jean-Claude Juncker, qui croit que "l'Union européenne a cessé de fonctionner correctement": "Ce n’est pas la bonne méthode". La leçon qu’il en tire est limpide et amère : "Je ne fais confiance qu'à moi-même".
Le Premier ministre luxembourgeois, invité à décliner les propositions du Grand-Duché en matière de réglementation des marchés financiers, explique qu’il faut "penser aux niveaux européen et mondial". "Nous sommes d'avis", a-t-il déclaré, "que les mêmes règles de surveillance et de contrôle doivent s'appliquer à toutes les places financières, où que ce soit. Nous sommes d'avis que la réglementation européenne doit être renforcée. Ce qui ne veut pas dire que nous aurons besoin d'une autorité centralisatrice réglementaire et prudentielle européenne, mais que les mêmes règles soient partout d'application et vérifiables."
Evoquant les propositions de la Commission européenne sur les agences de notation, qui viennent d'être adoptées, Jean-Claude Juncker a poursuivi en indiquant que "le rapport de Larosière constitue une bonne base de négociations et [que] nous tenons beaucoup, nous, à ce que d'ici à la fin de l'année, l'Union européenne se soit mise d'accord sur de nouvelles règles, sur base de ce rapport." Le Premier ministre annonce ainsi "nous ne faisons ni ne ferons aucune obstruction" et qu’il n’y a ses yeux pas de nécessité de faire des concessions dans ce cadre.
En effet, rappelle-t-il, "nous avons une réglementation prudentielle de pointe, qui peut être amendée si telle était la position de la Commission. Mais le Luxembourg ne fera rien pour empêcher l'Europe de disposer d'un cadre réglementaire valable pour toutes les places financières. Le Luxembourg n'est pas un problème. Que la Commission téléphone à Londres si elle veut avoir un problème..." Et d’inviter son interlocuteur à interroger lui aussi les Britanniques sur ces questions car "nous sommes d'avis que la Banque centrale européenne (BCE) doit jouer un rôle de pointe dans tous les nouveaux systèmes à mettre en place. D'après ce que j'ai compris, nos amis britanniques ne l'envisagent pas de la même façon".