Dans le cadre des discussions en cours dans les institutions de l’UE sur la création, en application du traité de Lisbonne, du Service européen d’action extérieure (SEAE), le Wort du 11 mars 2010 a consacré plusieurs articles à l’évolution actuelle des structures de la politique étrangère de l’UE.
Le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a, dans une brève interview avec le journaliste Wolf von Leipzig, insisté sur le fait que les intérêts nationaux continueront à exister à côté des intérêts communs européen. Les ambassades nationales continueront donc elles aussi à exister. Les représentations de l’UE "seront avant tout utiles au niveau consulaire", alors que les relations politiques et économiques bilatérales entre pays suivront leur cours.
Le Luxembourg dispose, selon le ministre, de suffisamment de ressources pour envoyer des fonctionnaires nationaux au SEAE. Jean Asselborn pense néanmoins qu’il ne serait pas bon "d’opérer avec des quotas nationaux". Ce qui importe pour lui, c’est "l’efficacité du nouveau service". Transparence et égalité entre les Etats devront prévaloir dans la répartition des postes.
Le ministre s’est refusé à évaluer, 100 jours après son entrée en fonctions, l’action de Catherine Ashton, la haute représentante pour la politique extérieure : "la politique étrangère de l’UE ne dépend pas d’une personne. Qui croit que cela serait ainsi n’a rien compris à l’esprit européen. Si les ministres des Affaires étrangères de l’UE sont bons, Catherine Ashton et la politique extérieure de l’UE le seront également. Par contre, si les intérêts nationaux priment dans l’UE, alors Mme Ashton est mal partie."
Le journal lui-même se montre plus sceptique que le ministre. Hortense Bentz, dans son éditorial, fait le constat que les querelles autour des compétences, des postes et des personnes continuent après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne comme avant. Catherine Ashton a été pour Hortense Bentz "le plus petit dénominateur commun" pour les chefs d’Etat et de gouvernement, mais elle est aussi, donne à penser l’éditorialiste, soumise à une pression multiple. Elle doit trouver sa place comme premier ministre européen des affaires étrangères, mettre en place un service de 8000 personnes de poser les accents d’une politique étrangère européenne dans le plus grand nombre possible de rencontres et de sommets, et cela dans un contexte où Etats membres et institutions européennes se disputent les compétences.
La question fondamentale n’est donc pas la personne de Catherine Ashton, mais de savoir "qui déterminera la future politique étrangère de l’UE ?". Et cette question soulève dans son sillage les autres questions restées sans réponse : la part du national et de l’européen dans le futur SEAE, les rapports entre Conseil, PE et Commission, le rôle des trois grands – "qui se jalousent" - dans la répartition des postes, le rapport entre les grands et les petits Etats membres. Et de cela, on parle très peu selon Hortense Bentz. Comme on parle très peu des objectifs et des contenus d’une telle politique étrangère européenne et du rôle de l’Europe dans un contexte où elle ne tient plus la même place qu’elle a tenue si longtemps dans l’Histoire. Pour Hortense Bentz, il s’agit de savoir si les pays européens veulent vraiment agir ensemble, "alors que les désaccords récents (..) ont malheureusement mis en évidence la volonté de pouvoir des vieux Etats-nations que ces derniers ne veulent pas toujours et sans conditions se subordonner au concept général européen. Mais en cela ils font fausse route."
Ady Richard, dans un papier qui attire l’attention sur un article de Stuart Eizenstat et Anthony Luzzato Gardner qui vient de paraître dans Foreign Affairs est nettement moins tendre et parle d’une Europe "sans épée et sans âme". "Le cœur et l’âme sont restés le privilège des Etats-nations, comme, pour ainsi dire par conséquence, la politique étrangère et de sécurité". Citant Hobbes qui disait que des "traités sans épée restent des mots en l’air et ne peuvent offrir aux gens la moindre sécurité", il suspecte les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE de n’avoir pas voulu une ministre des affaires étrangères de l’UE, mais "une faible chargée des affaires extérieures" et un nouvel appareil bureaucratique, sans qu’il y ait le moindre consensus sur les compétences.
Ady Richard cite ensuite le député européen Charles Goerens, pour lequel le consensus en matière de sécurité existe au niveau "armée du salut", et les auteurs de l’article de Foreign Affairs, "Un nouveau traité, une nouvelle influence?", qui font plusieurs constats. Les chefs de l’UE veulent un haut représentant pour la politique extérieure qui soit leur serviteur et pas leur rival. Le traité de Lisbonne ne pourra pas compenser les fortes divergences d’analyse et le manque de volonté politique. Il manque à l’UE un consensus sur ses valeurs communes et une vision commune d’un monde devenu multipolaire, alors que ses Etats-nations ne sont plus souverains que d’un point de vue formel et juridique. Et Ady Richard de conclure : "Il ne faut donc pas s’étonner que le président des Etats-Unis, Barack Obama, se soit décommandé pour le sommet UE-USA de mai."