Le 10 juin 2010, la Chambre des députés, réunie à l’occasion d’une séance publique, a mené, à la demande de la Commission de l’Economie, un débat d’orientation au sujet de la stratégie UE2020. L’objectif était en effet que les groupes politiques puissent se positionner en amont de l’adoption de la stratégie Europe 2020 afin de donner des orientations au gouvernement.
La stratégie UE2020, dont la Commission européenne a proposé les grandes lignes début mars 2010, fait suite à la stratégie de Lisbonne qui s’était donné en 2000 pour objectif de faire de l’Europe l'économie la plus compétitive au monde et de parvenir au plein emploi d’ici à 2010.
Bien que recadrée à mi-parcours, sous présidence luxembourgeoise de l’UE, la stratégie de Lisbonne n’a pas permis d’atteindre les objectifs fixés, ce que n’ont pas manqué de souligner tous les députés qui sont intervenus. Cet échec, Alex Bodry (LSAP) l’impute au manque de volonté des Etats membres dans la mise en œuvre de la stratégie, mais aussi à la crise économique et financière qui a profondément changé la donne et qui a accaparé l’attention de la plupart des députés pendant ce débat.
Henri Kox (Déi Gréng), qui regrette, comme André Bauler (DP), que les leçons de cet échec n’aient pas été tirées, a d’ailleurs déposé une motion invitant entre autres à prendre le temps de lancer une campagne de consultation incluant un bilan de la stratégie de Lisbonne. Pour le député vert en effet, qui a vu sa motion rejetée et dont l’appel à prendre le temps de la réflexion a été vivement rejeté par le ministre de l’Economie Jeannot Krecké aux yeux de qui le temps presse, une réflexion approfondie serait nécessaire avant de se lancer dans une nouvelle stratégie de ce type, et il faudrait impliquer d’autres acteurs que les politiques.
Alex Bodry, qui a relevé à quel point le calendrier était serré pour cette stratégie présentée en mars pour être soumise au Conseil européen de juin, a lui aussi fait part du souci des socialistes lié au manque de participation des différents acteurs de la société civile. La consultation lancée par la Commission, à laquelle le Luxembourg a répondu en janvier 2010 ainsi que l’a rappelé le ministre de l’Economie, n’a en effet duré que quelques semaines. L’espoir du président du LSAP est cependant que l’approche "top-down" pratiquée par la Commission se corrigera au fil du temps. Car comme il dit, avec un tel forcing, il est difficile d’obtenir l’adhésion à une telle stratégie. Et Henri Kox abonde dans son sens en soulignant que, sans appropriation de ce texte, la nouvelle stratégie risque elle aussi d’échouer.
Pour autant, dans l’ensemble, les députés luxembourgeois ont salué le fait que les objectifs de la stratégie UE2020 étaient, par rapport à ceux de la stratégie de Lisbonne, certes "moins ambitieux mais aussi plus raisonnables", pour citer Norbert Haupert (CSV). Ce qui devrait améliorer les chances de les voir se réaliser.
Fernand Kartheiser (ADR) juge cependant que les objectifs de la Commission ne sont pas réalistes et que le document de la Commission est "illisible" et "n’apporte pas grand-chose". Il y voit en effet un moyen pour la Commission d’augmenter ses pouvoirs. André Hoffmann (Déi Lénk) a l’impression quant à lui qu’on a déterré là "le cadavre de la stratégie de Lisbonne", qui selon lui sentait déjà la putréfaction, pour le faire revivre dans la stratégie UE2020.
Certes, les socialistes regrettent que le pilier économique de la stratégie ne soit trop dominant par rapport aux autres piliers – une critique qui valait d’ailleurs aussi pour la stratégie de Lisbonne -, mais Alex Bodry estime que les "objectifs sont les bons".
De même André Bauler explique-t-il qu’une telle stratégie est bien dans l’intérêt de l’UE et du Luxembourg. Norbert Haupert voit dans la stratégie UE2020, qui doit aller de pair avec une stratégie crédible de sortie de crise, une réponse à la question du positionnement de l’UE dans un monde globalisé.
Quant à Henri Kox, s’il appelle à sortir de la logique aveugle de la croissance, il salue cependant la prise en compte dans cette stratégie de la nécessité d’une croissance durable et il apprécie que l’on appelle à une meilleure qualité de vie et à un meilleur taux d’emploi.
Si la stratégie UE2020 va dans "la bonne direction", et ce que ce soit pour les chrétiens-sociaux, les libéraux, les socialistes et les Verts, la principale inquiétude réside cependant dans les moyens de la mettre en œuvre.
Les grands objectifs de la stratégie UE2020 vont en effet devoir être mis en œuvre, comme ce fut le cas pour Lisbonne, au niveau européen et au niveau national. Si Alex Bodry salue la rationalisation des procédures et l’idée d’un nouveau système d’évaluation ainsi que l’introduction d’une évaluation globale des progrès réalisés en cours de route par le Conseil, il insiste cependant sur la responsabilité des Etats membres dans la mise en œuvre des programmes nationaux.
Norbert Haupert a lui aussi insisté sur le nécessaire engagement des Etats membres tandis qu’André Bauler, pour qui sans contrôle, les meilleures intentions sont vaines, a pour sa part appelé à fixer des objectifs contraignants en introduisant un système de sanctions.
La mise en œuvre va passer par la définition de programmes nationaux de réforme et, l’échéance étant a priori fixée au mois d’octobre pour leur soumission, il va donc être nécessaire de se fixer d’ici là des objectifs nationaux auLuxembourg. Henri Kox a d’ailleurs bien souligné que ce débat d’orientation lançait les préparatifs de la stratégie nationale luxembourgeoise.
Pour Alex Bodry, cela va représenter un défi certain pour le Luxembourg qui va devoir aussi tenir compte dans la programmation de sa politique nationale des efforts européens de coordination des politiques économiques et budgétaires nationales. Cette corrélation entre stratégie UE2020 et efforts pour sortir de la crise est d’ailleurs revenue comme un fil rouge tout au long du débat. Pour Alex Bodry, il va donc falloir rationaliser et veiller à la cohérence des objectifs que se fixe le Grand-Duché dans le cadre des différents plans, ce qui devra se faire par une compilation des travaux des différents ministères. Le Luxembourg va aussi devoir s’armer sur le plan statistique pour être en mesure de livrer des données qui puissent être comparées au niveau européen.
Henri Kox quant à lui a appelé, dans une seconde motion elle aussi rejetée, à recourir à des indicateurs qui vont au-delà du PIB, y compris un ensemble d’indicateurs relatifs au bien-être, à l’éradication de la pauvreté, à l’égalité homme-femme, à l’égalité pour tous (entre les régions et entre les riches et les pauvres), à l’énergie, à l’utilisation des ressources naturelles et aux pressions sur les écosystèmes.
La stratégie UE2020 qui vise à une croissance durable, intelligente et inclusive, s’est donné pour objectifs de faire en sorte que, d’ici 2020, 75 % de la population âgée de 20 à 64 ans ait un emploi, que 3 % du PIB de l'UE soit investi dans la R&D et que les objectifs dits "20/20/20" en matière de climat et d'énergie soient atteints. Par ailleurs, la proposition de la Commission stipule aussi que le taux d'abandon scolaire devrait être ramené au-dessous de la barre des 10 % et qu’au moins 40 % des jeunes générations devraient obtenir un titre ou un diplôme et enfin qu’il conviendrait de réduire de 20 millions le nombre de personnes menacées par la pauvreté. Ces deux derniers objectifs doivent encore être validés lors du Conseil européen de juin dans la mesure où les chefs d’Etat et de gouvernement ne s’étaient pas entendus à leur sujet en mars dernier.
Le Luxembourg va devoir se définir des objectifs nationaux ambitieux mais réalistes selon Alex Bodry qui entend par là qu’ils devront correspondre aux standards de développement du Luxembourg qui offre, selon les domaines, un tableau très contrasté.
En matière de taux d’emploi, le Luxembourg se situe à peu près dans la moyenne européenne et les objectifs définis au niveau européen devraient, aux yeux du président du LSAP, être bénéfiques pour le Luxembourg en permettant notamment de contribuer à résoudre le problème du financement du système de pensions. Norbert Haupert a lui aussi repris cet argument en soulignant ce que le gouvernement avait déjà fait pour augmenter le taux d’emploi des femmes. Le taux d’emploi des jeunes et celui des plus de 50 ans l’inquiètent et il reconnaît que les objectifs de la stratégie sont ambitieux quand on constate qu’au cours des dix dernières années, le taux d’emploi n’a augmenté que de 2 % malgré les efforts réalisés.
André Bauler s’est montré très inquiet lui aussi du taux d’emploi des femmes et des séniors et il a surtout insisté sur une nécessaire réforme de l’ADEM. Henri Kox quant à lui s’est demandé si la nouvelle stratégie disposait vraiment des moyens pour agir contre un chômage qui a dépassé le seuil des 10 % dans l’UE avec des pointes atteignant 20 % dans certains pays.
Pour le ministre du Travail, Nicolas Schmit, le chômage est un vrai défi car il est la source principale de la pauvreté et de l’échec scolaire. A ses yeux l’objectif de 75 % de taux d’emploi ne sera pas facile à atteindre. Les priorités : améliorer la position des femmes sur le marché du travail, mieux former les travailleurs qui ne sont pas assez qualifiés, accompagner les jeunes et investir dans la formation en amont. Le plus gros problème est à ses yeux l’emploi des plus de cinquante ans, comme il l'avait d'ailleurs rappelé le 7 juin dernier à l'occasion du Conseil Epsco.
Pour ce qui est des investissements dans la recherche et le développement, le Luxembourg se situe actuellement à 1,62 % du PIB, soit en dessous de la moyenne européenne qui est de 1,9 %.
Pour Alex Bodry, il serait donc judicieux que le Grand-Duché se fixe pour 2020 un objectif un peu en dessous des 3 % prescrits au niveau européen pour que l’effort fourni par le pays corresponde, en termes de progrès, à celui fait au niveau européen. Pour Norbert Haupert, qui souligne la croissance spectaculaire des investissements publics en R&D au Luxembourg ces dix dernières années, il importe de continuer à améliorer les infrastructures et de faire le maximum pour renforcer les partenariats public-privé afin de valoriser les résultats de la recherche et de créer par ce biais de la croissance et de l’emploi.
André Bauler, qui a souligné que la R&D était un pilier de la compétitivité européenne, voit peu de nouveautés dans les objectifs européens et si les 3 % du PIB sonnent bien, il souligne cependant que le montant des investissements dépendra alors directement de la croissance… Pour Henri Kox, qui s’est montré très critique à l’égard des investissements réalisés pour le financement d’ITER, il conviendrait pour l’UE de mieux investir dans les technologies durables, secteur dans lequel elle a perdu son leadership. Jeannot Krecké, qui estime que les PME ne sont pas encore sur le chemin de la recherche et du développement, considère que l’objectif de 2,6 % serait plus réaliste pour 2020.
En ce qui concerne les objectifs 20/20/20, sujet abordé à la Chambre la veille dans le cadre d’un débat d’orientation concernant l’avant projet de plan national de développement durable, le Luxembourg s’est déjà engagé pour réduire ses émissions de CO2. Henri Kox, qui estime qu’un certain nombre de problèmes se posent en matière de taxe carbone, mais aussi du fait qu’il n’existe pas d’indicateurs pour mesurer les progrès faits en matière de protection de l’environnement, a appelé dans une de ses deux motions à augmenter le taux de réduction des gaz à effet de serre à 30 % par rapport aux niveaux de 1990 et à introduire une taxe carbone/taxe énergie destinée au financement des innovations pour la protection du climat.
Pour ce qui est des énergies renouvelables, il semble impossible aux yeux d’Alex Bodry d’atteindre l’objectif de 20 % et il faudra donc voir à l’automne comment se positionner sur ce point. André Bauler souligne que le Luxembourg est limité en la matière et qu’une analyse est nécessaire. Jugeant "peu clair" ce que fait le gouvernement en ce moment, il estime qu’une stratégie cohérente serait nécessaire. Une des questions qu’il soulève est par exemple de savoir comment attirer au Luxembourg des activités dans ce domaine.
En matière d’efficacité énergétique, le Luxembourg est, pour Alex Bodry, en bonne position mais ce sera au gouvernement de voir s’il semble réaliste de se fixer pour objectif une réduction de 20 % de la consommation d’énergie. Pour André Bauler, qui a rappelé la position du DP qui s’est prononcé pour une réforme et des investissements dans ce domaine dès 2007, le Luxembourg, qui avait fait figure de pionnier en la matière, ne doit maintenant pas laisser passer sa chance.
Henri Kox proposait par ailleurs dans sa motion de réviser l’assiette des recettes publiques, notamment en réduisant d’ici à 2020 la pression fiscale sur le travail et en la reportant sur l'environnement, l’utilisation des ressources naturelles et le capital, en appliquant la méthode ouverte de coordination associée à une coopération renforcée. A ses yeux, cela aiderait notamment à encourager une utilisation de l’énergie plus efficace, et cela taxerait l’utilisation abusive des ressources et les pratiques polluantes plutôt que de peser sur les revenus et l’emploi. Quant au ministre Jeannot Krecké, il explique qu’il faut se fixer des objectifs qui pourront être acceptés par la population.
En matière d’éducation, en 2008, le Luxembourg avait un taux d’abandon scolaire de 13,4 % et il semble donc que l’objectif de descendre en dessous de la barre des 10 % est adapté aux yeux d'Alex Bodry qui estime que "nous devons être ambitieux".
Norbert Haupert qui a insisté sur la nécessité d’investir dans l’éducation a rappelé la réforme menée en soulignant que beaucoup dépendra désormais de la pratique. Il est à ses yeux importants d’investir aussi dans la formation pour adultes, domaine dans lequel des efforts restent à faire.
Pour André Bauler une des principales raisons de l’échec scolaire est lié au Luxembourg à l’échec dans une des trois langues d’enseignement. Le taux de diplômés est au Luxembourg assez élevé, et ce notamment du fait que les statistiques prennent en compte les gens qui travaillent sur son marché, ce qui fait dire à Alex Bodry qu’il faut aller au-delà de l’objectif européen des 40 %.
La lutte contre la pauvreté nécessitera selon Alex Bodry, qui n’a pas manqué de souligner la fragilité du modèle social européen, des efforts ciblés. Norbert Haupert a sur ce point aussi rappelé les mesures ciblées mises en place par le gouvernement pour améliorer la qualité de vie des enfants et des populations les plus fragilisées. André Bauler, qui a évoqué les problèmes de dignité, d’égalité des chances liés à l’exclusion sociale, a insisté sur l’importance d’un accès à Internet et il a donc appelé à faire des efforts en termes d’éducation aux TIC afin d’éviter ce qui est à ses yeux aussi une forme d’exclusion. Si Henri Kox a souligné toute l’importance que les Verts accordent eux aussi à la lutte contre la pauvreté et à l’inclusion sociale, il a cependant souligné que la stratégie UE2020 comptait peu d’éléments sur la redistribution des richesses.