En vue du Conseil européen du 28 octobre 2010 qui discutera entre autres de la réforme du Pacte de stabilité et de la prolongation du mécanisme de crise européen au-delà de 2013, le rendant ainsi permanent, le Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe Jean-Claude Juncker a résumé dans une interview donnée au quotidien luxembourgeois "Wort" ses positions développées depuis le compromis de Deauville entre la France et l’Allemagne. Ce compromis conditionne la création d’un « mécanisme permanent et robuste pour assurer un traitement ordonné des crises dans le futur » entre autres à une semi-automaticité des sanctions en cas de non-respect des normes budgétaires du pacte de stabilité, à la suspension dans certains cas du droit de vote des Etats membres de l’UE fautifs et à un changement du traité de Lisbonne.
La déclaration de Deauville dit que "s'agissant du volet correctif du Pacte, lorsque le Conseil décide d'ouvrir une procédure de déficit excessif, il devrait y avoir des sanctions automatiques dès lors que le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, décide qu'un État membre n'a pas pris les mesures correctrices nécessaires dans un délai de 6 mois."
Jean-Claude Juncker aurait préféré que "le champ d’évaluation politique eût été plus réduit", soit à travers une automaticité intégrale des sanctions ou avec une proposition par la Commission de sanctions qui ne puisse être rejetée que par une majorité qualifiée, donc l’inverse de ce qui se fait actuellement. "Cela me semble peu réaliste de rouvrir cette partie du paquet Van Rompuy. Mais nous devons néanmoins soulever à Bruxelles la question de savoir s’il ne faut pas aller dans la direction d’une évaluation politique plus sévère. Une telle évaluation ne doit pas se baser sur des opportunités politiques, mais obéir à des considérations objectives."
La déclaration de Deauville dit que "dans le cas d'une violation grave des principes de base de l'Union Économique et Monétaire, et suivant les procédures appropriées, la suspension des droits de vote de l'État concerné" doit être envisagée.
Jean-Claude Juncker "rejette strictement" cette idée avancée par la France et l’Allemagne, parce qu’elle "ne mène nulle part". Il la trouve aussi "relativement abstruse", dans la mesure où le traité de Lisbonne prévoit bien à l’article 7 (TUE) une suspension du droit de vote d’un Etat membre, mais seulement en cas de violation grave des droits de l’homme. Voir le droit de vote d’un Etat membre suspendu pour avoir violé les clauses du pacte de stabilité "ne serait ni politiquement ni moralement compréhensible" selon lui.
Jean-Claude Juncker estime que les pays de la zone euro, mais seulement ceux de la zone euro, ont besoin d’un tel mécanisme. Le mécanisme actuel - l’EFSF, qui a d’ailleurs son siège à Luxembourg – qui est prévu jusqu’en 2013, devra être ancré dans le traité européen, pour que l’ordre constitutionnel de certains Etats membres, notamment de l’Allemagne, puisse être respecté. Dans un tel contexte, Jean-Claude Juncker est clair : "Si un tel mécanisme nécessite une modification du traité, le Luxembourg approuve une telle modification." Mais elle ne doit s’appliquer qu’aux Etats membres de la zone euro," pour éviter que par exemple les Britanniques n’y accrochent d’autres désidératas de modification", et elle devra être "aussi light que possible".
D’un point de vue technique, deux articles, les articles 122 et 125 (TFUE), entrent en considération selon Jean-Claude Juncker pour être modifiés.
L’article 122 prévoit que "dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie" peuvent être prises. L’article prévoit également le cas où "un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d'événements exceptionnels échappant à son contrôle", et où "le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l'Union à l'État membre concerné".
L’article 125 contient la "no bail out clause". Il y est dit que « l'Union ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique. Un État membre ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un autre État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique."
Jean-Claude Juncker pense que "l’article 122 du TFUE est plus approprié pour la modification light du traité" qu’il préconise. L’article 125 devrait rester selon lui "inchangé", "car sinon nous risquons d’induire des comportements budgétaires insouciants". L’amendement de l’article 122 pourrait être arrimé selon lui au traité d’adhésion de la Croatie, qui doit être ratifié par tous les Etats membres avant la fin de 2013.
Jean-Claude Juncker n’a pas beaucoup apprécié la manière de procéder de la France et de l’Allemagne, qui veulent à deux imposer leur volonté aux autres 25 Etats membres. Bien qu’il faille "compter avec des débats et controverses ponctuels, je pense que nous trouverons une solution et que la liste des désidératas pour changer le traité se limitera au mécanisme de crise permanent". Quant à la suspension du droit de vote, Juncker pense "que l’idée n’aura pas de suite. Et si pour des raisons cosmétiques, elle est encore poursuivie, elle n’aboutira à aucun résultat".