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Politique étrangère et de défense
L’UE s’apprête à prendre des sanctions contre la Libye et se mobilise pour évacuer ses ressortissants et ceux d’autres pays qui en feraient la demande
Jean Asselborn dénonce un "génocide" et demande des sanctions contre les "membres du clan Kadhafi".
23-02-2011


Le vice-premier ministre luxembourgeois et ministre des Affaires étrangères a été dès le Conseil Affaires étrangères du 21 février 2011 un des premiers ministres européens à exprimer des critiques univoques contre le régime du colonel Kadhafi en Libye, ébranlé par une révolte populaire, la défection d’une partie de son gouvernement, de son armée et de son réseau diplomatique. Le 23 février 2011, Jean Asselborn a évoqué ouvertement des sanctions.

"Ce qui se passe en Libye est à mon avis un génocide de grande ampleur", a estimé M. Asselborn dans un entretien Jean Asselborn interviewé par la Deutschlandfunk le 23 février 2011 - Source : www.dradio.de/dlf/à la radio Deutschlandfunk, en réaction au discours tenu mardi par le dirigeant libyen. "C'est très, très grave et je pense que le mot "sanctions" face à un tel phénomène est un mot très faible", a-t-il souligné. "Je pense que ce n'est plus qu'une question d'heures avant que l'Union européenne dise oui à des restrictions de visa et que nous gelions les comptes bancaires des Libyens qui ont agi de manière irresponsable et sont membres du clan Kadhafi", a-t-il dit.

L’UE se dirige vers des sanctions, suspend les négociations sur un accord-cadre, alors que les Etats membres vont vers un embargo sur les livraisons d’armes

La veille déjà, la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton avait annoncé au Caire que l'Union européenne avait dans l'immédiat "suspendu les négociations avec la Libye sur un accord cadre". Entamées fin 2008, ces négociations avaient pour but de conclure un tout premier accord de partenariat entre l'UE et Tripoli, avec un important volet commercial.

Le 23 février 2011, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Nicolas Sarkozy ont eux aussi réclamé des sanctions à l'encontre de la Libye. En même temps, les ambassadeurs permanents de l'UE à Bruxelles se réunissaient pour discuter de la question.   "Il est inacceptable qu'un dirigeant menace ses propres citoyens", a déclaré de son côté un porte-parole de la Commission européenne, Olivier Bailly, et la porte-parole de la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton, Maja Kocijancik, a abondé dans le même sens, tout en annonçant que des "mesures restrictives" étaient à l’ordre du jour.

Une des premières sanctions décidées dès le 23 février est un embargo sur les livraisons d’armes de la part des 27 Etats membres. L’UE a exporté ces dernières années et selon des chiffres rendus publics à Bruxelles 100 millions d’euros en armes, et même pour 334 millions d’euros en 2009. L’Italie avec 110 millions, Malte avec 80 millions et l’Allemagne avec 53 millions sont les leaders dans ces échanges, surtout du matériel d’interférence électronique, d’après les mêmes sources. Selon le quotidien belge "Le Soir", qui se réfère à des sources militaires, la firme FN Herstal a livré en juillet 2008 "367 fusils d’assaut F2000, 367 pistolets mitrailleurs P90, 367 pistolets 5.7, 50 pistolets « renaissance » de luxe (calibre 9 mm), 30 mitrailleuses légères Minimi, 22 000 grenades pour fusils, 1,134 million de munitions pour ces armes, à destination du 32e bataillon des forces d’élite de l’armée libyenne, dirigé par l’un des fils Kadhafi. Coût de la livraison: 6,9 millions d’euros. Le second volet concernait 2.000 FN 303 (des lanceurs semi-automatiques à air comprimé, armes dites à "létalité réduite") également destinées au 32e bataillon. Facture : 5,3 millions d’euros."

Le sort des 10 000 ressortissants de l’UE en Libye : le mécanisme européen de coopération pour la protection civile a été activé

Une autre grande préoccupation de l’UE est le sort de ses ressortissants en Libye qui sont au nombre d’une dizaine de milliers. L'Union européenne a annoncé le 23 février qu'elle mobilisait des moyens pour être en mesure d'évacuer de Libye au cours des prochaines heures et prochains jours les quelque 10 000 de ses ressortissants qui y restent, y compris par voie de mer.

Le mécanisme européen de coopération pour la protection civile a été activé afin de déterminer quels moyens de transport peuvent être mis à disposition par les Etats membres de l'Union pour cette opération, a indiqué un porte-parole de la Commission européenne. "Les opérations d'évacuation par les Etats membres ont déjà commencé", a-t-il précisé. La Commission cherche pour sa part à "coordonner la mise à disposition de capacités de transport pour poursuivre ces évacuations, notamment par mer, au cours des prochaines heures et (prochains) jours", a-t-il ajouté. Ce ne sera pas une tâche facile", a reconnu le porte-parole, car d’après la compagnie maritime française CMA-CGM, "tous les ports et terminaux sont temporairement fermés" en Libye en raison de la situation dans le pays.

Par ailleurs, se pose la question de la mobilisation de moyens militaires européens pour aider à l'évacuation des ressortissants de l'UE et d'autres pays étrangers de Libye. L'Union européenne s'est dotée d'une force de réaction rapide de deux bataillons de 1 500 membres (groupements tactiques). Des missions humanitaires ou d'évacuation sont dans leur mandat. D’après des sources de la Commission, il appartient à la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, de demander leur engagement. Sa porte-parole n'a toutefois pas été en mesure de dire mercredi si Mme Ashton avait l'intention de le proposer, ce qui serait une première depuis leur création.

Les moyens de l'Union européenne pourraient également être mobilisés pour aider à évacuer des ressortissants d'autres pays qui en feraient la demande, a souligné la Commission.

Aucune indication n'a été donnée dans l'immédiat sur le nombre des personnes déjà évacuées par les Etats, au moyen d'avions dépêchés sur place depuis trois jours. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis, poursuivaient mercredi leur processus de rapatriement. Deux avions militaires affrétés par la France avec à leur bord quelques 500 rapatriés sont arrivés à Paris dans la nuit du 22 au 23 février 2011. Trois avions allemands ont atterri le 22 février à Tripoli, où se trouvent environ 400 Allemands. Un avion de l'armée de l'air néerlandaise a décollé le 22 février pour Tripoli, selon le ministère néerlandais de la Défense et doit embarquer "une bonne centaine" de Néerlandais, selon le ministère néerlandais des Affaires étrangères. L’Autriche et la Belgique avaient aussi envoyé des avions le 22 février. Deux avions bulgares avec 111 Bulgares et 91 étrangers se sont posés à Sofia en provenance de Tripoli le 23 février.

La Turquie, pays candidat à l'adhésion à l'UE, a annoncé avoir rapatrié ces trois derniers jours plus de 5 000 de ses ressortissants installés en Libye mais déplore un mort, a affirmé le 23 février le chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu. 25 000 Turcs résident au total en Libye.

La crainte d’une vague de plusieurs centaines de milliers de réfugiés au Sud de l'UE

Reste que l'Union européenne redoute, après les événements en Tunisie, en Egypte et en Libye une vague de migrants vers ses côtes méridionales, mais elle peine à trouver une position commune. L'Italie craint de voir affluer 200 000 à 300 000 migrants de Libye, et appelle l'UE à la solidarité. Les ministres italien, français, espagnol, grec, chypriote et maltais se sont réunis le 23 février 2011 à Rome pour  tenter d'élaborer "une ligne commune" et "soutenir la position exprimée par l'Italie à l'égard de l'Union européenne", a indiqué le ministère italien de l'intérieur à la veille d’un Conseil JAI.

 Jusque là, la Libye était considérée comme un véritable rempart contre le départ vers l'Europe de centaines de milliers - deux millions et demi selon le ministre italien des Affaires étrangères Frattini – de candidats à l'émigration en provenance d'Afrique sub-saharienne. Un traité conclu en août 2008 entre l'Italie et la Libye a entraîné, selon les autorités italiennes, la diminution de 94 % des débarquements de clandestins en Italie, avec une politique de refoulement immédiat, d'ailleurs dénoncée par les associations de défense des droits de l'homme.

Le régime du colonel Kadhafi a menacé l’UE de cesser toute coopération avec l'UE dans la lutte contre l'immigration illégale, ce qui est pris très au sérieux dans les pays du Sud de l’UE, inquiets du manque de solidarité d’autres pays qui ont opposé une fin de non-recevoir aux propositions de la Commission de "partager le fardeau" du traitement des demandes d'asile.

L’Italie notamment est remontée contre l’UE  depuis qu’elle a vu arriver sur les côtes de la minuscule île de Lampedusa plus de 5 000 jeunes Tunisiens fuyant la crise économique et l'insécurité après la chute du président Ben Ali. "L'Europe nous a laissés seuls face à cette urgence", avait alors déploré le ministre italien de l'Intérieur. Les tensions se sont entretemps apaisées, et l’'Union européenne a déployé depuis le 20 février 2011 la mission Hermes de Frontex (l'agence de surveillance des frontières européennes).

Finalement, la Commission a déclaré craindre une crise humanitaire aux frontières de la Libye avec la Tunisie et l’Egypte, où plusieurs milliers de personnes ont afflué.