La commission des Affaires étrangères et européennes de la Chambre des Députés, présidée par Ben Fayot, a tenu le 21 mars 2011 une réunion de travail à la Maison de l'Europe en présence des membres luxembourgeois du Parlement européen, de Laurent Mosar, président de la Chambre des Députés et de Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne.
Cette réunion commune avait été conçue pour "illustrer la volonté d'un dialogue renforcé entre les entités nationales et européennes", comme cela est "prévu par le traité de Lisbonne". Tout cela en présence de la presse. Et pour le président de la Chambre, cela devrait devenir une tradition annuelle.
Le premier volet abordé fut la question de la mise en œuvre de la Charte des droits fondamentaux des citoyens de l’UE, pour le respect de laquelle la Commission a adopté le 19 octobre 2010 une stratégie. Viviane Reding a souligné d’emblée que l’utilisation de la Charte ne se faisait pas sans difficultés, à cause des questions juridiques qu’elle suscite. La Charte, élaborée entre 1999 et 2000 par une Convention à laquelle ont aussi participé les parlements nationaux, mais devenue juridiquement contraignante avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, est pour elle "la constitution de l’UE", sur laquelle les commissaires de la Commission Barroso II ont prêté serment.
Mais comment les constitutions des Etats membres et la Charte peuvent-elles cohabiter ? La Charte est applicable au droit européen qui doit, dans son intégralité, être en conformité avec ses clauses, et à la transposition nationale de ce droit européen. La Commission doit soumettre toutes ses propositions législatives à ses normes, et il en est de même des amendements du Parlement européen des propositions de la Commission.
Mais, souligne, Viviane Reding, il y a plein de domaines dans lesquels l’UE n’est pas compétente. A ce moment, les règles nationales prévalent tout comme les clauses de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Pour éviter qu’il y ait "un trou noir" entre ces normes, l’UE adhérera, comme le demande le Traité de Lisbonne, à la CEDH, et la ratification de cette adhésion devrait commencer en été 2011.
D’autre part, la Cour de Justice de l’UE à Luxembourg et la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg ont formalisé dans un accord leur complémentarité et la reconnaissance de leurs jurisprudences.
Dans la pratique, la Commission a ainsi pu intervenir sur la question des expulsions collectives de Roms de France à l'été 2010 parce que celles-ci étaient en contradiction avec la directive sur la libre circulation des personnes.
La députée socialiste Lydie Err, qui est membre effective de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, a salué le fait que par son adhésion à la CEDH, l’UE se soumette de manière si claire à ses clauses. Elle aussi pense que la crainte que les Cours de Luxembourg et de Strasbourg ne divergent dans leurs arrêts n’est pas rationnelle.
Reste que la Cour des droits de l’homme est victime de son propre succès et manque cruellement de moyens pour jouer son rôle. En même temps, l’Agence des droits fondamentaux de l’UE (FRA) est, selon Lydie Err, dotée de plus de moyens que tous les comités du Conseil de l’Europe pris en ensemble. Sa question à la Commission : Comme l’UE aura le droit d'avoir un juge à la Cour de Strasbourg, contribuera-t-elle aussi substantiellement à son fonctionnement ?
Pour ce qui est de la FRA, Viviane Reding a insisté sur le fait que celle-ci est "un héritage" qu’elle a reçu, mais qu’elle est organisée pour être utile. Sa tâche est d’abord de collecter des données sur des questions liées aux droits fondamentaux, des données que les Etats membres ne collectaient pas ou qu’ils sont réticents à livrer. Le travail de la FRA consiste ensuite à faire ressortir les faits. La FRA n’est pas une agence politique. L’agence politique, c’est la Commission elle-même, et c’est Viviane Reding elle-même qui a expliqué le cadre de ce mandat et ses limites au personnel de l’agence de Vienne. Il n’y aura donc pas de dispute entre FRA et Conseil de l’Europe.
L’eurodéputé libéral Charles Goerens a quant à lui constaté que la question de la loi sur les médias en Hongrie a été confiée à la commissaire en charge des médias, Neelie Kroes, mais que la FRA n’avait pas été chargée de fournir un avis. Il voulait donc savoir pourquoi cela n’avait pas été le cas. L’eurodéputé vert Claude Turmes, qui a rappelé à la commissaire Reding que le Parlement européen continue de critiquer ce qui se passe en Hongrie, et notamment la composition politiquement monolithique du Conseil des médias et a mis en minorité le PPE lors du vote d’une résolution, s’est demandé si l’UE n’avait pas plus de marge de manœuvre.
Viviane Reding, qui a été elle-même commissaire aux médias pendant dix ans, a rappelé que lors de la réforme de la directive sur la télévisions sans frontières, 24 Etats membres, dont le Luxembourg, avaient rejeté sa proposition d’un régulateur des médias. Selon elle, l’UE n’est donc pas compétente pour les médias, sauf en termes de marché intérieur. Selon Viviane Reding, l’approche de la Commission n’est pas juridico-administrative, mais conforme au traité européen, et la Charte des droits fondamentaux ne s’applique pas. Seule une réforme du traité européen pourrait changer les règles du jeu. Et c’est pourquoi la FRA, qui avait fait dernièrement un rapport retentissant sur la situation des réfugiés à la frontière gréco-turque, n’a pas été chargé d’un rapport sur la loi sur les médias.
Le député libéral Xavier Bettel s’est ensuite demandé ce qui allait en être de la formation des juges qui seront de plus en plus souvent contraints de tenir compte des arrêts et de la jurisprudence européenne et d’autres Etats membres de l’UE dans l’exercice de leurs fonctions.
La formation des juges et procureurs des juridictions des Etats membres du Conseil de l’Europe et de l’UE sera pour Viviane Reding un enjeu très important dans le futur proche. Ceux-ci seront obligés, dans le cadre du nouveau système de la Cour européenne des droits de l’homme, de clarifier nombre de situations en amont au niveau national. Et dans le cadre de l’UE, ils seront de plus en plus souvent contraints à être compétents dans des affaires où des lois non-nationales seront appliquées, vu le nombre croissant d’affaires transfrontalières.
D’autre part, la Commission essaiera de faire supprimer l’exequatur, cette procédure par laquelle un jugement prononcé dans un autre Etat membre est appliqué chez soi, une procédure longue et chère, et qui n’est pas en phase avec le principe de la reconnaissance mutuelle des jugements entre Etats membres de l’UE. La confiance mutuelle pourra naître à condition que les protagonistes des systèmes judiciaires de l’UE sachent comment fonctionnent ceux des autres. C’est pourquoi la Commission a créé entre autres le portail e-Justice qui fournit aux citoyens, aux entreprises, aux magistratures et aux praticiens du droit une foule d’informations pour l’exercice de leurs droits ou de leurs professions. Mais le changement de mentalités que cette orientation des justices de l’UE implique ne se décrète pas selon la commissaire.
La commissaire Viviane Reding a ensuite déclaré qu’elle n’était pas heureuse de l’inaction au Luxembourg qui fait partie des 13 pays qui n’ont pas encore introduit le numéro d’urgence pour les disparitions d’enfants 116 000.
Les personnes vulnérables – handicapés, enfants, - ont besoin selon elle d’actes, non de belles paroles. Les enfants ont besoin d’une justice adaptée aux enfants.
Pour les victimes, qui ont un statut difficile dans les systèmes judiciaires européens, la Commission fera des propositions en mai 2011.
Dans les affaires transfrontalières – violence domestique, divorces, non-représentation d’enfants – il faut arriver à protéger les "éléments vulnérables" dans toutes les juridictions tout en sachant que le droit de la famille relève de la compétence nationale.
Sur la pédopornographie sur l’Internet, la coopération entre Etats membres et au sein d’Europol a été renforcée. Au Luxembourg, Safer Internet rencontre un franc succès et peut compter sur des partenaires efficaces.
Viviane Reding lancera aussi une refonte de la directive sur la protection des données personnelles de 1995 selon le principe que "mes données personnelles m’appartiennent, si quelqu’un veut les avoir, il faut me les demander, et celui à qui elles sont données doit les rendre à la demande de qui les a données, et il faut pouvoir les éliminer". Ce principe, que les grands réseaux sociaux rejettent, vaudra néanmoins alors pour toutes les entreprises qui ont des clients sur le territoire de l’UE. Ces idées provoquent des remous, comme aussi celle d’un régulateur des données personnelles avec fonction juridictionnelle.
Viviane Reding a ensuite évoqué les suites du débat de l’été 2010 sur les Roms. Le rapport de la task-force qui avait été alors constituée et qui va bientôt être publié montre, selon la commissaire, que les Etats membres n’utilisent guère en général les moyens qui sont mis à leur disposition pour intervenir, quelques bonnes pratiques mises à part. D’autre part, le rapport montre que la directive sur la libre circulation pose des problèmes dans une dizaine de pays qui ont tous en train de changer ou vont devoir changer leurs législations nationales de transposition, comme le Luxembourg, "qui va être en conformité bientôt". En avril 2011, la Commission va proposer un cadre pour les stratégies nationales en faveur des Roms sur plusieurs axes qui sont avant tout la pauvreté, la santé et l’insalubrité, le chômage et la non-scolarisation des enfants. Dans ce cadre, Viviane Reding a souligné la contribution utile du Parlement européen et que la Commission va contrôler la mise en œuvre de ces stratégies nationales via la FRA.
Quant aux femmes dans les conseils d’administration et les fonctions dirigeantes des entreprises, Viviane Reding peut désormais s’appuyer, au-delà d’études universitaires, sur des études provenant de trois grandes entreprises – la Deutsche Bank, Goldmann&Sachs et McKinsey – "pas des haut-lieux du féminisme", selon elle, qui montrent néanmoins qu’une entreprise où il y a un équilibre hommes-femmes à tous les niveaux a de meilleurs résultats et moins d’erreurs de gestion y sont commises. Selon Viviane Reding, les femmes représentent 60 % des diplômés universitaires. Où disparaissent-elles ? Il s’agit en tout cas d’un "potentiel mal entretenu" en Europe, et le Luxembourg ne se distingue que par le fait de devancer Malte.
Quant à l’accord SWIFT qui permet aux Etats-Unis d’accéder aux informations bancaires du réseau Swift dans le cadre de la lutte antiterroriste, Viviane Reding a signalé qu’après le rejet par le Parlement européen de l’accord décidé par le Conseil JAI juste avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, et l’entrée en vigueur le 1er août 2010 pour une durée de cinq ans, Européens et Américains vont devoir faire le point sur le fonctionnement des garde-fous et systèmes de contrôle de l'accord. Selon elle, le rapport qui va paraître bientôt signale un mieux. Ce qui n’est pas l’avis des députés européens.
En ce qui concerne les PNR, les USA viennent de désigner l’attorney general Eric Holder comme négociateur.
Quant aux scanners corporels, la réglementation européenne va s’orienter selon deux axes : les droits de l’individu et la santé.
Bien qu’elle ne soit pas de son ressort, Viviane Reding a commenté la politique extérieure européenne. "La politique extérieure concrète, l’aide humanitaire et la coopération au développement, ça marche, et personne n’en fait grand cas, bien que la commissaire en charge de l’aide humanitaire, Kristalina Georgieva, soit constamment sur la brèche avec les événements en Libye ou en Tunisie, et ailleurs". Quant à Catherine Ashton, sa collègue Viviane Reding estime qu’on lui a confié "un travail impossible", avec deux casquettes de vice-présidente de la Commission et de haute représentante pour la politique extérieure. Pour Viviane Reding, l’UE dispose maintenant d’un embryon de service d’action extérieure (SEAE). Mais Catherine Ashton doit gérer cinq à six dossiers urgents, être à la Commission, sur le terrain et au Parlement européen. "Les conséquences négatives de cela sont réelles. Il y a de l’espoir pour le futur, mais ce n’est pas bon pour l’image de l’UE à l’extérieur comme à l’intérieur", a conclu Viviane Reding.