A l’occasion de leur 12e Sommet de la Grande Région, le 24 janvier 2011, les exécutifs ont décidé de lancer une démarche commune visant à développer une "Région Métropolitaine Polycentrique Transfrontalière" (RMPT) en Grande Région. Un projet basé sur les résultats de l’étude Metroborder dont la Région Lorraine, qui assure la présidence du 13e Sommet de la Grande Région, a souhaité lancer les fondements en organisant le 31 mai 2011 à Pont-à-Mousson un "séminaire de préfiguration" qui était ouvert "à tous les acteurs de la Grande Région".
Pour Jean-Pierre Masseret, président de la Région Lorraine, développer cette RMPT en Grande Région est "un projet qui fait sens car il porte la vie", pourvu que sa dimension humaine en soit le socle. Pour lui, la RMPT doit aussi un sens économique, afin que la Grande Région puisse compter en Europe, et il doit s’agir aussi d’un projet de territoire donnant sens aux complémentarités qui existent entre les différents types d’espaces qui constituent la Grande Région.
Dans ce projet qui est politique, il s’agit de "faire preuve de responsabilité", "d’aller plus loin en volonté, en déterminisme", estime Jean-Pierre Masseret qui souligne que la Grande Région existe, qu’elle est déjà puissante et que tous les atouts sont réunis pour construire une RMPT. Son objectif à l’issue de cette journée était de mettre au point un plan de travail opérationnel et un programme d’actions concrètes afin de les soumettre à la Commission européenne qui est en train de plancher sur les futurs dispositifs qui seront mis en place dans le cadre de la prochaine période de programmation financière. Le président de Région a donc appelé de ses vœux une charte fondatrice de cette future RMPT.
Romain Diederich, géographe qui assure la direction de l'Aménagement du Territoire du Ministère de l'Intérieur et de l’Aménagement du Territoire à Luxembourg, a présenté brièvement les résultats de l’étude Metroborder, fruit d’un projet de recherche mené par ESPON. L’objectif ? Mettre en place une RMPT au sein de la Grande Région afin que celle-ci puisse faire face à la concurrence des autres régions métropolitaines européennes. Il s’agit d’augmenter son potentiel et son attrait économique, de développer une vision commune pour son développement territorial, de permettre le développement de synergies et de complémentarités et enfin d’offrir une meilleure qualité de vie à ses habitants.
Selon Romain Diederich, la Commission prend très au sérieux la question des régions métropolitaines polycentriques transfrontalières. L’étude Metroborder a permis de comparer la Grande Région avec d’autres régions, pour mieux connaître les défis auxquels elle doit faire face, mais aussi ses potentiels. Parmi ses atouts, la Grande Région a tout simplement la réalité des nombreux travailleurs frontaliers, des liaisons existantes en termes de transport, même si elles peuvent être améliorées, et le fait qu’une certaine "qualité métropolitaine" existe de fait autour de la capitale luxembourgeoise. Son degré de développement économique est par ailleurs assez impressionnant.
Le potentiel pour faire de cette région une RMPT découle d’une compréhension polycentrique de ce territoire qui se structure autour de la capitale luxembourgeoise et de la capitale sarroise, qui sont elles-mêmes entourées d’autres aires urbaines fonctionnelles adjacentes. Si l’étude a identifié un "espace central" pour la RMPT, Romain Diederich juge qu’il faut aller au-delà. Mais si les potentiels sont importants, comme en témoigne par exemple le haut niveau d’interaction spatiale de la région, les défis ne manquent pas non plus. Il faut en effet améliorer la gouvernance multi-niveaux, accentuer le fonctionnement polycentrique et pouvoir impliquer plus dans ce processus tant les acteurs économiques que les citoyens.
Metroborder fait ressortir trois leitmotivs qui devraient guider la démarche. "Métropole économique" tout d’abord. L’objectif étant d’activer le potentiel transfrontalier existant, de créer une "masse critique" nécessaire, de dégager des pistes pour le développement économique transfrontalier. "Laboratoire de l’Europe" ensuite. Pour Romain Diederich, la région a là une carte à jouer, la Commission ayant en tête l’image d’une région pilote qui pourrait faire figure de modèle pour l’Europe. Il s’agit donc de convaincre Bruxelles que ce qui est fait en Grande Région vaut bien la peine d’être soutenu. "Région mobile et accessible" enfin. Il s’agit là d’améliorer tant les connexions avec les métropoles voisines que les connexions internes. Pour ce faire, un concept de mobilité doit être soutenu politiquement et permettre de définir les projets prioritaires à développer en matière de transport, et pourquoi pas, de créer une communauté des transports à l’échelle de la Grande Région, ou de développer un concept commun de trains à grande vitesse ?
Metroborder est un projet de recherche. Il s’agit maintenant de le concrétiser en impliquant les acteurs politiques, socio-économiques et les citoyens.
La première table-ronde de la journée était consacrée à l’économie, l’objectif étant une croissance intelligente, durable et inclusive en Grande Région. Christina Grewe, chargée des relations internationales à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Trèves, a souligné que le plus grand défi auquel doivent faire face les entreprises est, pour toutes les branches, et dans le monde entier, le fait que le marché est très concurrentiel et qu’il faut donc trouver un équilibre entre individualisation et standardisation des produits. Dans ce contexte, un des plus grands atouts de la Grande Région est, pour Christina Grewe, son immense know how en matière de services.
Bien sûr, il reste beaucoup à faire pour aider les entrepreneurs en levant les obstacles administratifs qui perdurent, notamment pour les PME, sans compter les problèmes liés à la reconnaissance des diplômes, et l’importance de connaître la langue du voisin, une question qui est revenue de façon récurrente tout au long de la journée. Mais sur ce point Guy Brandenbourger, associé chez PricewaterhouseCoopers , a précisé cependant que, pour les entreprises de plus grande taille certes, la pratique a montré que, bien souvent les entreprises vont au-delà des difficultés qui ont été identifiées. L’exemple de Soludec, qui s’est implanté sur le marché de la construction lorrain malgré la problématique des normes qui diffèrent entre France et Grand-Duché, en témoigne.
Pour Guy Brandenbourger, qui se base sur une étude toute récente réalisée par son cabinet d’audit, il existe des perspectives de développement pour la Grande Région, notamment dans le domaine des biotechnologies et des matériaux. La création d’un centre de recherche en biotechnologies et d’une bio-banque à Luxembourg, qui résulte de la volonté des autorités publiques de positionner le Luxembourg dans ce domaine en développant un programme de médecine personnalisé, s’est faite certes grâce à des partenariats outre-Atlantique, mais aussi en lien avec les laboratoires et centres hospitaliers de la Grande Région.
De même, le projet d’Institut de recherche technologique Matériaux, qui compte parmi les projets soutenus en France dans le cadre du "grand emprunt", pourrait permettre des connexions avec les entreprises industrielles dont certaines, comme Goodyear et Delphi, ont installé leurs "technical centers" au Luxembourg. Un projet que Thierry Belmonte, directeur de recherche à l’Institut national polytechnique de Lorraine (INPL), voit lui aussi comme un grand atout.
Christina Grewe a attiré l’attention sur l’importance accordée en Allemagne aux technologies d’avenir, et notamment environnementales. Les compétences en matière de maisons passives ou d’énergie solaire par exemple font de ces branches une plus-value pour la Grande Région.
Thierry Belmonte a expliqué que les liens entre recherche et industrie étaient souvent complexes, les systèmes de valorisation de la recherche étant nombreux. Il importe à ses yeux que la demande industrielle vienne s’appuyer sur la recherche de base qui doit pouvoir se faire en toute sérénité. Le transfert de la recherche ne doit pas accaparer les chercheurs. Pour lui, l’excellence scientifique s’appuie toujours sur des partenariats, notamment transfrontaliers. Et il souligne que des liens forts existent au sein de la Grande Région en matière de recherche et d’enseignement. Mais ils doivent être consolidés et accompagnés par des programmes simples, faciles à monter, dans le cadre de structures administratives aussi légères que possibles. Il ne s’agit pas là de fonds, mais de compétences transfrontalières qui pourraient favoriser les échanges, en donnant par exemple la possibilité aux chercheurs de se former à la langue du voisin…
En bref, pour Guy Brandenbourger, il y a matière à densifier la recherche et à la connecter. Le potentiel de développement de la recherche et des entreprises venant se greffer autour est très important à ses yeux. Reste à mutualiser, à capitaliser cet actif. Son rêve, ce serait par exemple que des universités de la Grande Région approchent des entreprises comme SES qui ont une très grande visibilité internationale, ou encore que Cargolux soit connecté avec des projets locaux de développement, à l’image de ce qui va se faire avec le port plurimodal d’Illange.
"Pourquoi ne pas raisonner au niveau de la Grande Région comme pour une entreprise ?", a lancé Guy Brandenbourger, expliquant que les actionnaires (citoyens, politiques, acteurs socio-économiques) ont un actif à faire fructifier. En le rendant visible et distinctif au niveau de l’UE et du reste du monde. Et sans perdre de vue le développement, en interne, d’une économie de proximité. Contrairement à une objection venue de la salle, qui appelait à faire le choix entre une Grande Région des élites et celle des citoyens, Guy Brandenbourger appelle à ne pas opposer économie de proximité et économie d’excellence, dans la mesure où, dans les faits, l’excellence agrège aussi les entreprises implantées localement.
Pour Thierry Belmonte, il importe de se positionner sur des sujets qui revêtent une importance européenne et internationale. La question des minerais rares par exemple, sujet qui préoccupe grandement la Commission européenne, fait ainsi l’objet d’un projet de recherche. En ciblant bien les sujets de recherche, il est possible d’atteindre la taille critique nécessaire pour la recherche puis sa valorisation.
Richard Lioger, premier adjoint au maire de Metz, est intervenu dans le débat pour souligner l’importance pour la Grande Région d’être attractive pour accueillir les doctorants étrangers, mais aussi pour faire plus d’efforts afin de mettre en place des diplômes communs. Un sujet sur lequel a rebondi Peter Karsten, de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Sarre, pour insister sur la nécessité d’avancer aussi en matière de formation professionnelle et d’apprentissage. Tout le monde aurait en effet à y gagner au vu des difficultés rencontrées en Allemagne pour recruter de la main d’œuvre qualifiée alors que le chômage perdure en Lorraine par exemple…
Sujet horizontal qui a traversé la journée : le fait qu’il y a de nombreuses structures dans la Grande Région, ce qui peut apparaître souvent comme une grande "usine à gaz" ainsi que l’a résumé Claude Frisoni, directeur du CCRN qui modérait les tables-rondes. Pour Christina Grewe, beaucoup d’énergie s’y perd et on gagnerait à mutualiser les structures existantes.
La deuxième table-ronde de la journée était consacrée à l’attractivité et à la valorisation de la Grande Région. Les questions soulevées étaient nombreuses, puisqu’il s’agit de savoir comment gagner les cœurs des citoyens pour qu’il y ait une adhésion au projet grand-régional, mais aussi d’afficher une image attractive de la Grande Région aux yeux du reste de l’Europe et du monde… Difficile quand la question du nom donné à cet espace n’est toujours pas vraiment résolue, pas évident quand les citoyens ne connaissent pas la langue du voisin, malgré tous les projets qui se sont succédés sans pour autant toujours aboutir, pour pallier cette difficulté première… Pas évident non plus quand les médias ne jouent pas forcément le jeu et n’informent pas sur ce qui se passe chez les voisins. Sans compter que la Grande Région est du fait de sa grande diversité, qui fait aussi sa richesse, si difficile à appréhender... Même si les projets ne manquent pas, certains étant très concrets, développés par les communes au plus près des citoyens.
Pourtant, l’exemple de l’entreprise Pierre et Vacances, qui est venue implanter en Lorraine un Center Parc qui a permis de créer 600 emplois, est révélateur des atouts dont dispose la Grande Région. Certes, au moment de choisir un site pour un nouveau parc, Jean Chabert, directeur général du groupe, reconnaît qu’il avait conscience de s’installer en Lorraine, et non "dans la Grande Région".
Ce qui a présidé à ce choix, c’est le fait que la Lorraine offrait à la fois un espace naturel de qualité et la proximité de grandes villes, la zone de chalandise visée par le groupe pour ce genre de parcs étant de 5 à 10 millions d’urbains situés à 2-3 heures de route en voiture. La clientèle visée par le parc installé en Lorraine est donc tant allemande, française que luxembourgeoise, et ce d’autant plus que le réseau autoroutier est bien irrigué. Autre avantage pour le Center Parc, pendant six mois de l’année, une des entités de la Grande Région au moins est en vacances, ce qui n’est pas négligeable ! De ce point de vue, la connaissance de la langue allemande a été un critère d’embauche important, notamment pour les personnels en charge de l’accueil des clients. La question de la langue a ainsi été un enjeu important de la formation mise en place avec le soutien de la Région Lorraine. Jean Chabert ne tarit donc pas d’éloges sur les spécificités et les atouts de cet espace, soulignant combien les régions frontalières offrent une opportunité du simple fait qu’elles sont des lieux de perméabilité et d’échange.
Le projet Terroir Moselle, développé dans le cadre du programme Leader, a été cité par l’assistance comme un exemple à suivre en termes d’initiatives valorisant tant l’attractivité économique et touristique de la Grande Région, qu’un de ses traits caractéristiques et identitaires. Le tourisme a donc émergé comme un des grands chantiers à privilégier.
Comme l’a résumé Claude Frisoni, il conviendrait peut-être d’établir une base de données des nombreux projets de coopération qui existent à différents niveaux, mais aussi d’arriver à faire comprendre à la fois à ceux qui vivent ici qu’à ceux qui vivent ailleurs que vivre dans la Grande Région est une chance.
Caroline Huck, coordinatrice de la Région Métropolitaine Trinationale du Rhin supérieur, est venue témoigner de l’expérience menée dans cette région assez petite, ou vivent de nombreux frontaliers, et qui n’a pas eu peur de se doter "d’un nom à rallonge", même s’il est évident, comme l’a relevé un peu plus tard l’assistance que le terme de "Rhin supérieur" est nettement plus explicite que celui de "Grande Région"…
Parmi les spécificités de cet espace, Caroline Huck a souligné qu’il était dotés de nombreuses universités et centres de recherche, que plus de 600 clusters y ont été dénombrés et que les réseaux d’entreprises transfrontalières y font aussi bonne figure.
Caroline Huck est revenue brièvement sur l’histoire de cette jeune "Région métropolitaine" qui a vu le jour le 9 décembre 2010 alors que les premières réflexions qui ont présidé à sa naissance remontent à 2006. Tout au long du processus, les acteurs politiques, économiques, scientifiques ont été représenté, ainsi que la société civile. Ce qui ressort dans le mode de gouvernance qui a été adopté et qui est fondé sur quatre piliers. Le pilier politique rassemble les structures de coopération, qui, comme dans la Grande Région, sont nombreuses elles aussi. Pour autant l’objectif n’est pas de fusionner mais bien de créer une gouvernance associant les différents niveaux, chacun ayant une raison d’être. Un pilier économique qui réunit les chambres de commerce, les agences en charge de l’innovation et bien sûr les entreprises, devrait se voir doter très prochainement d’un coordinateur. Le troisième pilier, scientifique, réunit les établissements d’enseignement supérieur et les centres de recherche recensés. Enfin, la société civile constitue le quatrième pilier, sans toutefois que sa place ne soit clairement définie : s’agit-il d’un pilier à part, mais parallèle aux trois autres, ou plutôt un pilier venant en sous-bassement de l’ensemble ? La question reste ouverte à ce stade.
La région s’est dotée d’une stratégie commune fixant, sur la base des quatre piliers, des objectifs pour les 10 années à venir et une liste de projets à réaliser.
En matière de coopération scientifique, Caroline Huck a relevé que le Rhin supérieur devait faire face à la même problématique que la Grande Région, à savoir, comment faire en sorte que les gens se rencontrent et travaillent ensemble. Pour y répondre, une initiative intitulée "Offensive sciences" a été mise en place, mettant à disposition, grâce à un cofinancement Interreg, un fonds doté de 6 millions d’euros. Le réseau EUCOR, qui réunit depuis plus de 20 ans les universités de la région, permet à tous les étudiants de l’une des universités du réseau d’avoir accès aux cours et aux services proposés par toutes les autres. Enfin, en matière d’apprentissage transfrontalier, c’est aussi un projet INTERREG tout juste lancé qui permet à des jeunes de suivre une formation théorique dans un pays et de poursuivre leur formation pratique dans un autre.
En termes de tourisme, le projet Upper Rhine Valley, qui bénéficie aussi d’un cofinancement INTERREG IV A Rhin supérieur, permet de faire la promotion commune de la région à l’international, la présentant comme une région touristique unique. Il existe aussi un projet de promotion des vins de la région.
Pour ce qui est du développement économique, une étude a été lancée pour identifier les clusters de la région. Il en ressort que les entreprises ne travaillant pas de manière transfrontalière sont nombreuses et la volonté est donc de favoriser "l’inter-clustering transfrontalier". Cela se fait par le projet Trion en matière d’énergies renouvelables, par la Biovalley pour les sciences de la vie, par le projet IT2Rhine pour ce qui est des NTIC…Sans compter les initiatives équivalentes dans les domaines des industries créatives ou encore des industries vertes.
Le sujet de la société civile est loin d’être aisé à aborder, a confié Caroline Huck. C’est par le biais de Forums citoyens tri-nationaux se tenant ce printemps à Strasbourg, Bâle et Karlsruhe que la question a été abordée. Ces débats, qui ont porté sur l’avenir de la région ou encore sur les attentes et les besoins des citoyens, ont pu être organisés là encore grâce à un cofinancement INTERREG, et leurs résultats seront présentés à l’occasion d’un grand séminaire prévus au printemps 2012 en Rhénanie Palatinat.
Pour ce qui est de la promotion de la région au niveau européen, un plan d’action existe depuis 2009. Les actions de lobbying se font à deux niveaux : d’une part des actions structurelles qui portent par exemple sur la réflexion en cours portant sur le futur du projet Interreg à l’horizon 2013, et d’autres part des actions de lobbying se font de façon plus ponctuelles. Les responsables politiques rencontrent ainsi les institutions européennes, tandis que les députés européens de la région ont été invités à jouer un rôle d’ambassadeurs du Rhin supérieur.
La troisième table-ronde avait pour objectif de se pencher sur le quotidien de la Grande Région.
Ce fut l’occasion pour le bourgmestre de la Ville de Luxembourg, Paul Helminger, de mettre sur le doigt sur une des difficultés du projet, à savoir la définition de l’espace visé par l’initiative. A ses yeux, la réalité du vivre-ensemble ne vaut pas pour l’ensemble de la Grande Région mais se concentre en gros sur l’espace constitué au cœur du Quattropole. Et c’est donc là qu’il faut selon lui recentrer le débat et "réinventer le territoire".
Du côté de Nancy, des voix se sont élevées pour souligner que lorsqu’il est question de Metz, qui est dans le Quattropole, on oublie souvent que nombre de fonctions métropolitaines sont de plus en plus partagées entre Metz et Nancy. Certes, la Grande Région n’est pas un territoire optimal, mais il ne faut pas perdre de vue ces réalités…
Moritz Petry, président de la communauté de communes Irrel en Rhénanie-Palatinat, a lancé un appel qui a trouvé quelques échos tout au long de la journée pour que les petites villes et les territoires ruraux ne soient pas les parents pauvres du projet de Région métropolitaine transfrontalière, mais en soient bel et bien parties prenantes. Car de quoi aurait l’ait cette région sans cette nature qui la rend si agréable à vivre…
Un des grands enjeux du vivre-ensemble, ce sont les questions de transport. Sur ce point, Alex Kies, directeur général adjoint de la Communauté des Transports du Luxembourg, a souligné que, depuis cinq ans environ, la nécessité de ne pas s’arrêter aux frontières est prise en compte, ce qui a conduit à créer des lignes de bus transfrontalières et à améliorer l’offre existante. Un des problèmes est que cette dernière est difficile à identifier et il conviendrait donc de commencer par collecter l’information sur l’offre déjà en place afin de la rendre plus accessible. Les objectifs que se fixe le Verkéiersverbond sont de donner une marque aux transports publics de la Grande Région, de constituer un réseau des différents acteurs de transport public afin de favoriser les interconnexions entre les offres existantes, et enfin de mettre en ligne un portail de la mobilité de la Grande Région.
Ingrid Lang, présidente du comité d’accompagnement EURES T-SLLR, qui constate une demande en main d’œuvre en augmentation de la part des entreprises, relève sur les questions de mobilité qu’il faudrait peut-être songer à amener les entreprises plus près des personnes qui y travaillent… Quant à Ioulia Sauthier, conseillère sur les questions internationales auprès de la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE) de Lorraine, elle a insisté sur le manque d’informations sur les nombreuses initiatives qui existent pour aider à attirer à la fois les entreprises et les jeunes qualifiés dans la Grande Région. Elle a aussi évoqué l’existence d’un projet pilote visant à sensibiliser les jeunes à la création d’entreprises qui va être menée de façon transfrontalière et sensibiliser les classes aux différentes législations, aux différentes techniques de management d’un pays à l’autre.
Henri Lewalle, chargé de mission auprès de l’alliance nationale des Mutualités chrétiennes de Wallonie a montré comment des projets cofinancés dans le cadre d’Interreg avaient permis d’améliorer l’accès aux soins de santé transfrontaliers dans une région dont il se réjouit qu’elle ne se contente pas d’un seul centre, ce qui permet d’avoir des services répartir sur l’ensemble du territoire… La Grande Région offre de nombreux lieux où sont dispensés des soins de qualité, le problème est cependant qu’il est parfois difficile d’accéder à des soins de proximité. Et comme le domaine de la santé et de la protection sociale relèvent de la compétence des Etats membres, il n’est pas aisé de voir au-delà des frontières.
Un exemple parmi tant d’autres, celui d’un résident d’Arlon qui a besoin d’un PET-Scan. Il doit pour se faire se rendre au plus près à Liège, et donc faire environ 1h20 de route, ce qui a un coût social très élevé. Or, le CHL est doté d’un tel appareil à Luxembourg, accessible en 25 minutes pour notre Arlonais. Une convention administrative permet donc l’accès à cet examen, ce qui arrange d’ailleurs le CHL dont le PET-Scan, qui est prévu en France pour 800 000 à 1 million de personnes, ne serait sans cela pas rentable.
Autre exemple, qui touche les prestataires. Les quatre personnes devant assurer les gardes de neurologie de part et d’autre de la frontière belgo-luxembourgeoise sont d’astreinte une semaine sur deux. S’ils travaillaient ensemble, ils pourraient espérer être d’astreinte seulement une semaine sur quatre… Conclusion, l’intérêt à mutualiser les ressources est évident.
Aussi, Henri Lewalle a-t-il lancé un appel au Grand-Duché de Luxembourg pour qu’il rejoigne au plus vite la Belgique et la France qui ont signé un accord-cadre de coopération sanitaire. Celui-ci, qui a d’ailleurs servi de modèle pour d’autres accords de ce type, entre l’Allemagne et la France notamment, facilite l’accès aux soins des patients vivant dans des zones frontalières. L’offre est mutualisée et à terme, on aboutira à une synergie entre les prestataires.
"Une Grande-Région connectée à l’Europe", tel était le titre de la dernière table-ronde. Le positionnement géographique de la Grande Région, en plein cœur de l’Europe, est un atout indéniable. Mais comment optimiser au mieux les moyens de transport et faire cet espace une plateforme d’échanges ?
Jacques Chérèque, ancien syndicaliste et ministre en charge de l’Aménagement du Territoire dans le gouvernement de Michel Rocard, a souligné que la Grande Région est parcourue de flux d’échanges majeurs qui sont des corridors de circulation plutôt que des carrefours d’échanges. Selon lui, il faut donc transformer ces flux pour en faire des carrefours d’échanges. Il s’agit à la fois de favoriser l’accessibilité à la Grande Région et de faciliter la mobilité des populations en son sein. Car l’attractivité passe par la qualité et l’ampleur des services que peut offrir un territoire à qui veut s’y implanter. De l’avis de l’ancien ministre, la liaison entre les ports de la Mer du Nord et la Méditerranée n’est pas suffisante, et il importe de fixer des points d’ancrage multimodaux. Le PED qu’il a contribué à initier a été en son temps un point d’accroche, et le ministre juge que le pôle Sarrebruck-Forbach ou bien le Sillon lorrain, qui n’aura de sens que s’il franchit la frontière pour atteindre Luxembourg, sont autant de ces points d’accroche, d’ancrage qui peuvent structurer la Grande Région et qui font office de mini-laboratoires de la coopération. Jacques Chérèque identifie deux grands objectifs : l’emploi, qui peut être diffus et ne doit pas nécessairement être centré, et le bien-être. Et il importe donc d’associer la société civile dans l’aventure.
Jacques Kopff, directeur des ports de la Société des Ports de Moselle, a montré l’importance des voies fluviales pour l’accessibilité de la Grande Région. Quatre plateformes trimodales sont ainsi en projet en Lorraine, des fonds publics étant dévolus à ces projets d’aménagement des infrastructures qui ont une double vocation. Il s’agit d’une part de développer l’intermodalité et d’autre part d’accueillir de nouvelles entreprises.
Pour Jacques Kopff, l’enjeu pour la Grande Région est de massifier les flux, et il va s’agir, en travaillant en lien avec le rail, de rendre l’intermodalité opérationnelle. L’objectif étant de raccourcir la distance entre les ports de la façade maritime en Mer du Nord et "l’Hinterland" que constitue la Grande Région en créant des lignes de haut débit. Il ne s’agit pas de tout basculer vers les voies d’eau, mais de répondre aux besoins très différents des industries en termes de délais. Et il importe que le projet soit économiquement viable : pour cela, il faut trouver un équilibre entre les flux amont et aval. Pour Jacques Kopff, quand la façade maritime de la Mer du Nord sera ralliée par des lignes régulières, il est évident que les entreprises étrangères vont commencer à s’intéresser à la Grande Région dans la perspective de s’y installer.
Matthias Schwalbach, responsable de la promotion économique auprès de la Chambre des Métiers de Trèves, estime lui aussi que les connexions au sein de la Grande Région doivent être améliorés, sur le plan des infrastructures d’une part, mais aussi et surtout sur celui des transports publics. Les frontaliers ne sont en effet que 6 % à utiliser les transports publics, et il importe donc d’améliorer l’offre, d’avoir une meilleure information, des prix plus intéressants, en bref, de se réunir et de travailler ensemble ! Mais pour ce qui est des connexions avec les autres régions, les besoins se font sentir aussi dans tous les moyens de transport. Il n’est pas nécessaire d’établir un nouveau concept, mais il faut se concentrer sur les infrastructures ciblées…et les réaliser!
Werner Matthias Ried, chef de projet Elan M auprès de la Deutsche Bahn, a souligné que le TGV Est Européen, tout formidable qu’il est, a aussi eu pour conséquence de découpler la France et l’Allemagne sur le plan ferroviaire. Pourquoi ne pas prolonger les lignes ? Voilà un grand chantier !
De façon générale, Werner Matthias Ried estime que la Grande Région est dotée de suffisamment d’infrastructures, et même de trop quand on voit le nombre d’aéroports qui existent dans la Grande Région. En matière de rail, le réseau ferroviaire, qui est certes ancien, est même un des plus denses d’Europe, et le potentiel est immense. L’électrification de certaines lignes offrirait ainsi de grandes possibilités.