Encore un sigle européen cryptique, compliqué, rébarbatif. Et pourtant, il cache une œuvre pionnière de l’ère numérique qui est la nôtre, une œuvre pionnière à laquelle la Bibliothèque nationale de Luxembourg (BNL) a apporté sa contribution, jugée importante par les promoteurs du projet Europeana pour l’avènement d’un engagement futur pour une meilleure accessibilité du patrimoine culturel européen.
Europeana Licensing Framework et les enjeux stratégiques qu’il implique ont été présentés le 28 novembre 2011 à la Bibliothèque nationale à Luxembourg avec la participation de la ministre de la Culture, Octavie Modert, de Jill Cousins, directrice d’Europeana, de Richard Swetenham, chef de service "Access to Information" à la Commission Européenne, de Patrick Peiffer, "workpackage leader" du Europeana Licensing Framework et chef de la section du Consortium Luxembourg à la BNL, et de Paul Keller, chef de projet senior chez Kennisland.
Une brochure a été publiée qui décrit le volet "droits d’auteur" dans le cadre du projet Europeana Connect, mené de 2009 à 2011. Cette publication a été gérée par la Bibliothèque nationale de Luxembourg en collaboration avec le "Digital Strategy Think Tank" Kennisland d'Amsterdam et l'Institute for Information Law (IvIR) de l’Université d’Amsterdam.
Décryptons donc un projet qui a, selon les mots de la ministre de la Culture, Octavie Modert, nécessité quatre ans de travail, qui constitue un "lien créatif en Europe", qui est une innovation technologique avec un effet à long terme et qui permet de diffuser un patrimoine culturel qui n’est plus commercialisé ou qui relève d’ores et déjà du domaine public. Un projet qui aura aussi incité la BNL à doubler d’ici la fin de 2011 ses objets numérisés disponibles sur Europeana, passant de 20 000 à 40 000 fascicules de quotidiens.
Europeana est la grande bibliothèque européenne numérique qui regroupe et donne accès à des œuvres numérisées par des bibliothèques, des archives, archives audiovisuelles et musées européens. Europeana compte plus de 1 500 institutions collaboratrices telles que la Bibliothèque Nationale de France, la British Library à Londres ou le Rijksmuseum à Amsterdam. Ainsi, Europeana permet au public de découvrir et d’explorer le patrimoine culturel et intellectuel de l’Europe. Europeana a été officiellement lancée en novembre 2008 par la Commission européenne qui assure une grande partie de son financement. Le portail devrait donner fin 2011 accès à 20 millions de livres, tableaux, films, cartes, archives, objets de musée et enregistrements sonores provenant des fonds de plus de 1 500 instituts culturels.
Ce terme définit le nouveau cadre légal du partage des métadonnées par Europeana. Ce cadre légal se compose de 4 éléments-clés :
Ce cadre, qui sera mis en œuvre dès le 1er janvier 2012, devrait aider Europeana à gérer ses relations avec ses fournisseurs de données et ses utilisateurs, comme l’a expliqué la directrice d’Europeana, Jill Cousins. La bibliothèque numérique recourt à des licences standardisées, interopérables et qui peuvent être lues de façon automatique pour permettre aux données d’être intégrées par d’autres applications et services. Ces licences permettent de faire la part de ce qui peut être fait avec les métadonnées et les contenus auxquelles elles donnent accès par des agents humains ou par des machines. Dans ce contexte, le "Europeana Licensing Framework" introduit des normes communautaires qui permettent de soutenir les meilleures pratiques entre utilisateurs et ré-utilisateurs des données disponibles sur Europeana.
Europeana a un plan stratégique pour 2011-2015 qui se définit sur 4 axes : agréger, faciliter, distribuer et engager.
L’objectif Agréger consiste à mettre en place une source ouverte et fiable qui donne accès au patrimoine culturel européen. Il s’agit entre autres de combler le trou du 20e siècle et de donner accès à des œuvres sur lesquelles il existe encore des droits d’auteur, et ce en collaboration avec les éditeurs et les ayant-droits.
L’objectif Faciliter consiste à soutenir le secteur du patrimoine culturel avec de l’innovation, du transfert de connaissances et la défense de ses intérêts en termes d’accès. Europeana met en réseau les fournisseurs de données et des agrégateurs comme Wikipedia, Google, l’INA, etc… Cela passe entre autres par un investissement dans les technologies du Web sémantique.
L’objectif Distribuer consiste à rendre le patrimoine culturel accessible aux utilisateurs, où qu’ils soient et quand ils le veulent. Les contenus d’Europeana doivent pouvoir intégrer d’autres sites de recherche auxquels les utilisateurs ont plus aisément recours.
L’objectif Engager consiste à explorer de nouvelles manières de participation des citoyens à leur patrimoine culturel, par des possibilités d’interactivité ou de contribution, comme la collecte de documents privés sur la période 1914-1918. .
Pour arriver à atteindre ces quatre objectifs, quatre instruments sont mis en place.
Le "Europeana Data Exchange Agreement", le "Creative Commons Zero Universal Public Domain Dedication" et ses "guidelines", les "Europeana Terms for user contributions" et le "Europeana Data Model".
Le Europeana Data Exchange Agreement (DEA) a pour but de structurer la relation entre Europeana et ses fournisseurs de données. L’accord spécifie la manière dont les métadonnées et les "previews" livrés par ces fournisseurs peuvent être utilisés par Europeana et des parties tierces. Il précise aussi comment les fournisseurs peuvent recevoir en retour des métadonnées enrichies et avoir accès à d’autres métadonnées qui les intéressent.
Le Creative Commons Zero Universal Public Domain Dedication (CC0 waiver) est un instrument juridique développé par Creative Commons pour donner accès à des données sans restrictions sur une éventuelle réutilisation. L’accord DEA dit qu’Europeana publie les métadonnées qu’elle reçoit de ses fournisseurs selon les clauses du CC0. En pratique, cela veut dire que tout un chacun a le droit d’utiliser des métadonnées publiées par Europeana pour tout but et sans aucune restriction.
Les Europeana Data Use Guidelines iront de pair avec toute métadonnée publiée par Europeana. Elles donnent des recommandations aux utilisateurs pour le meilleur usage des données recueillies.
L’Europeana Data Model spécifie le formatage des données afin qu’Europeana puisse les utiliser, incluant des informations sur les droits relatifs aux objets digitaux rendus accessibles part Europeana et sur la manière dont ils peuvent être utilisés.
En pratique, les promoteurs d’Europeana se sont heurtés à des résistances, les fournisseurs craignant de perdre des revenus, de ne plus pouvoir contrôler l’utilisation de leurs données ou de voir se diluer l’attribution et la qualité des métadonnées par rapport à leur origine. Mais les avantages – gagner de nouveaux clients, mieux remplir leur mission publique ou devenir plus visibles et significatifs – l’ont emporté, selon Jill Cousins qui dirige le projet. En un an, les choses ont pu avancer substantiellement. Un papier blanc sur la laitière de Vermeer – mettre sur le réseau des images à haute résolution et précises plutôt que des previews qui faussaient la couleur de l’original au point d’en altérer la perception auprès du public - a joué un rôle important dans ce contexte, parce qu’il a su montrer que les avantages priment sur les désavantages qui ont encore hanté l’esprit des professionnels du patrimoine culturel. Parmi ceux-ci, il y a avait des représentants de l’INA français, des Archives nationales des Pays-Bas, de la British Library, de la BN de Lituanie, du Rijksmuseum d’Amsterdam, des National Archives du Royaume Uni, de la BN allemande, et du Deutsches Museum de Munich, sans oublier la BBC. Pour Jill Cousins, il reste néanmoins nécessaire de continuer à faire tomber les murs.
Richard Swetenham, de la Commission européenne, a précisé que l’approche de la Commission sur la question des Open Data inclut l’information culturelle et scientifique et sa réutilisation. Un deuxième paquet de mesures sera lancé en décembre 2011. Il visera la révision de la directive sur la réutilisation des informations du secteur public et se basera sur la décision de la Commission sur un portail sur les Open Data, ce qui stimulerait la simplification de la levée des droits d’auteur et des licences transfrontalières. Cela se ferait par le biais d’une proposition de directive sur les œuvres orphelines, un livre vert sur la distribution des œuvres audiovisuelles, et la gestion collective des risques. Par ailleurs, il s’agit de rendre accessible le patrimoine culturel sur le Web, en faisant avancer le projet Europeana. Tout cela est en parfaite concordance avec l’Agenda numérique de l’UE.
Richard Swetenham a rappelé les recommandations faites dans son rapport par le Comité des Sages de janvier 2011, un rapport intitulé de manière très intentionnelle "The new Renaissance" :
Et dans ce contexte, les métadonnées liés aux objets numérisés produits par les institutions culturelles devraient être accessibles gratuitement pour leur réutilisation.
Patrick Peiffer, de la BNL, qui a été "workpackage leader" du volet "contrats et licences" d’Europeana dans le cadre du projet Europeana Connect de 2009 à 2011, a expliqué quelques finesses théoriques et pratiques du projet. Il a d’abord fait le constat qu’il n’y a pas d’accord sur ce qu’est le domaine public, où le droit d’auteur ne vaut plus. Reste qu’il faut clarifier la situation pour l’utilisateur par une charte et attirer son attention sur ce que signifie le domaine public, la clarifier aussi par une marque sur les objets numérisés élaborée avec Creative Commons qui livre métadonnées et lignes directrices pour les usagers. En rendant les choses faciles pour les gens, ceux-ci vont agir en conformité avec les lignes directrices et faire un bon usage des données auxquelles ils ont accès, pense Patrick Peiffer.
Et pour savoir si une œuvre est déjà dans le domaine public, un Public Domain Calculator ou calculateur de domaine public a été créé. Cet outil analyse 30 juridictions pour lesquelles il permet d’évaluer si oui ou non des droits d’auteurs sont encore valables, ce que tous les partenaires et fournisseurs doivent par ailleurs clarifier chacun de son côté. Reste que ces idées doivent encore être expliquées et rendues plus accessibles à toutes sortes de partenaires potentiels par des ateliers et des rencontres. Sans oublier une dizaine de traductions de la brochure.
Si la mise en œuvre du "Europeana Data Exchange Agreement" est un succès en 2012 et les métadonnées ouvertes, Europeana devrait entamer un prochain pas selon les principes du CC0 et permettre l’usage commercial des métadonnées qu’elle rend publiques sur le Web.
Avec le projet Europeana Awareness (2012-2014), où l’IvR et la BNL travailleront de nouveau ensemble, ce travail pour faire connaître la démarche Europeana continuera. Le travail sur la levée des droits d’auteur se fera de manière "modulaire", et ces modules devront être acceptés par les "organisations de gestion collective" et devront être effectifs de manière transfrontalière. Un mémoire à cet effet a déjà été signé en automne 2011 sur base d’un rapport de l'Institute for Information Law (IvIR) de l’Université d’Amsterdam
Paul Keller, chef de projet senior chez Kennisland, a terminé la série de présentations sur les prochains pas d’Europeana Awareness en matière de levée de droits d’auteur et de règles pour la réutilisation des différentes couches de l’information digitale, soit l’objet numérisé, les previews et les métadonnées qui décrivent l’objet.
Paul Keller pense, à l’instar du Comité des Sages et des recommandations de la Commission 27 octobre 2011, que les institutions culturelles qui numérisent du matériel qui relève du domaine public avec de l’argent public devraient le rendre accessible de la manière la plus large possible Une manière de le faire et de passer par Europeana sur base des licences de type CC0, Europeana étant une des plates-formes pour faire avancer la redistribution et la réutilisation du patrimoine numérisé.