Le projet de loi prévoit la modulation du système d’indexation automatique des salaires pour les 3 prochaines années. En 2012, 2013 et 2014, il n’y aura au maximum qu’une seule tranche indiciaire par an. Par ailleurs, la prochaine tranche, initialement prévue pour mars 2012, sera reportée au mois d’octobre 2012. Ensuite, au moins 12 mois devront s'écouler avant l'adaptation suivante.
Dans son exposé des motifs, le gouvernement explique que le projet de loi sur la modulation de l’indexation des salaires est en ligne avec un accord bilatéral avec les représentants syndicaux de novembre 2010.
Le gouvernement invoque par ailleurs l’édition 2011 du "Bilan Compétitivité" qui montre "que la position compétitive globale du Luxembourg, basée sur 78 indicateurs, s’est marginalement dégradée, faisant suite à une détérioration continue au fil des dernières années. Plus particulièrement la compétitivité-coûts, basée sur le taux de change effectif réel, continue à se dégrader."
Il place ensuite sa démarche dans le contexte de la crise financière et économique de la zone euro et des nouvelles mesures qui ont renforcé la coordination et la surveillance des politiques budgétaires et structurelles dans les Etats membres de l’UE. Dans ce cadre, la détérioration continue de la compétitivité-coûts (du Luxembourg) est selon le gouvernement "confirmée par l’analyse ex post pour la période 2001-2010 du nouveau scoreboard communautaire sur les déséquilibres macroéconomiques excessifs ("excessive imbalances procedure")". Finalement, il met le doigt sur les engagements qu’il a pris dans le cadre du "pacte euro plus".
Le dispositif de modulation de l’index proposé par le gouvernement ne constitue "qu’un élément qui contribuera à donner un certain répit aux entreprises et accessoirement aux finances publiques et qui permettra aussi de mettre en place, jusqu’en 2014, une protection contre les chocs salariaux inflationnistes." En effet, le dispositif offre une sécurité appréciable pour la planification budgétaire – publique et privée – au cours des trois prochaines années.
Dans son rapport, la Chambre signale par ailleurs que "le paiement de 3 tranches indiciaires entre 2012 et 2014 tel que prévu par le projet de loi augmentera le revenu des ménages privés de quelque 1,3 milliard d’euros".
En amont, le projet a provoqué de nombreux débats que les avis des chambres professionnelles reflètent.
La Chambre des Métiers approuve le décalage du système d’indexation des salaires et traitements tel que prévu par le projet de loi. Elle déplore cependant l’absence de mesures structurelles. D’après la Chambre des Métiers, il aurait fallu procéder à un moratoire de deux ans en matière d'application de l'échelle mobile des salaires afin de briser la dynamique entre inflation et hausse du coût salarial.
La Chambre de Commerce a émis un avis similaire. Elle plaide par ailleurs en faveur d’une refonte du système d’indexation qui prend en compte notamment une redéfinition de la composition du panier des biens et services, une limitation de l’indexation automatique des salaires à 1,5 fois le salaire social minimum ainsi qu’une remise à zéro systématique du compteur d’inflation servant au déclenchement d’une prochaine tranche d’indexation.
La Chambre des Fonctionnaires et Employés publics par contre s’oppose au projet de loi. Pour elle, l’indexation des salaires, traitements et pensions ne représente pas une augmentation des revenus, mais n’est que la compensation de la perte du pouvoir d’achat suite à l’inflation.
Dans son avis du 10 janvier 2012, la Chambre des Salariés ne reconnaît pas la nécessité d’une quelconque modulation du système d’indexation.
Dans son avis du 17 janvier 2012, le Conseil d’Etat regrette que l’exposé des motifs ne comporte pas d’analyse plus fine relative à l’évolution du coût de la main d’œuvre et en particulier à la compétitivité du coût du travail au niveau du secteur privé par rapport à la situation applicable sur les principaux marchés de l’économie luxembourgeoise.
D’emblée, le député de Déi Lénk, Serge Urbany, a exigé que le projet de loi soit enlevé de l’ordre du jour. Son argument : le projet de loi invoque un concept, la compétitivité-coût, qui n’est pas prévu par la loi-cadre de 1977 et les règlements qui ont suivi comme critère, les critères prévus étant une inflation divergente avec les pays voisins ou une évolution négative des exportations, chose dont il ne peut par ailleurs pas être question dans la situation actuelle. Pour Serge Urbany, le recours à la compétitivité-coût révèle que tout a été décidé d’avance à Bruxelles avec le gouvernement, avec le pacte euro plus de mars 2011 et l’exigence de la Commission et du Conseil de juin 2011 que le Luxembourg revoie son système d’indexation des salaires. Serge Urbany a parlé d’un "coup d’Etat" auxquels seuls les syndicats ont résisté, mais qui serait mené avec la complicité de presque tous les partis. Dans son intervention au cours du débat, le député de la Gauche a expliqué que le Luxembourg est en bonne position dans les classements internationaux qui jugent les performances macro-économiques des Etats. Il a contesté la manière dont le bilan-compétitivité était utilisé dans le débat autour de l’indexation des salaires et regretté qu’aucune obligation ne fût faite aux patrons sur la manière dont ils devraient réutiliser les économies faites sur les salaires avec la modulation de l’indexation. Pour lui, la crise en Europe et au Luxembourg est l’aboutissement d’une lutte pour la redistribution des richesses économiques, et le vote à la Chambre allait révéler de quel côté tout un chacun se trouvait.
L’ordre du jour ayant néanmoins été adopté, le député socialiste Claude Haagen, rapporteur, a pris la parole, pour dire que le projet de loi avait été accepté à l’unanimité par la commission des Affaires économiques. Il a expliqué le contexte dans lequel cette loi a été envisagée : des temps incertains pour l’Europe, une zone euro qui est en récession, un Luxembourg confronté à des prévisions de croissance autour de 1,2 %, loin de ces taux historiques entre 4 et 6 % des deux décennies précédentes. L’économie luxembourgeoise est très dépendante de l’extérieur, a souligné le député, et son moteur économique a des ratés. Elle a perdu en termes de compétitivité par rapport à ses principaux partenaires. La modulation de l’indexation des salaires doit protéger entreprises et salariés contre des chocs inflationnistes. 440 millions de frais salariaux seront versés en moins, mais 3 tranches indiciaires garanties impliqueront 1,3 milliard d'euros de hausses de salaires sur trois ans et compenseront partiellement l’inflation. Une chose unique en Europe et dans le monde.
Felix Eyschen, qui a parlé au nom du CSV, a préféré parler de modulation plutôt que de manipulation au sujet de la loi. Pour lui, le Luxembourg est touché comme le reste de l’Europe par la crise, "même si nombre de personnes ne veulent plus entendre ce mot".
Mais comme le problème est reconnu comme tel, il faut prendre la meilleure mesure possible. Pour lui, si la modulation n’est pas votée, cela aura des conséquences négatives pour le pays. Et d’invoquer l’étude allemande sur la durabilité des finances publiques luxembourgeoises déjà évoquée par le président de la BCL et qui atteste au Luxembourg des finances publiques à terme moins bonnes que celles de la Grèce. Bref, il faudra "visser manuellement de petites vis qui ne feront pas mal plutôt que de devoir faire marche arrière plus tard, et alors ça fera mal".
Paul Helminger, au nom du DP, a décrit la loi comme une demi-solution, d’autant plus que l’on ne touchait pas au panier-type de marchandises à la base du calcul sur l’inflation. Tout en déclarant que son parti allait voter en faveur du projet de loi, il a reproché au gouvernement son immobilisme pour avoir éludé des réformes structurelles, y compris de l’indexation, de ne pas répondre aux problèmes de déficit de l’Etat central et du chômage ainsi que de ne pas prévoir plus de sélectivité sociale dans ses mesures.
Alex Bodry, au nom du LSAP, en situation difficile vis-à-vis de sa base syndicale, a mis en avant les mérites de l’indexation comme "instrument important de la préservation du pouvoir d’achat" et qu’il n’y a pas de raison de l’abolir, et qu’il sera maintenu contre les "revendications radicales du patronat" et "les recommandations de Bruxelles". Mais cela oblige à l’engager comme mécanisme avec flexibilité et discernement. Le gouvernement a pris une décision qui se situe à mi-chemin entre ce qu’ont voulu le patronat et les syndicats lors de négociations qui ont échoué entre les partenaires sociaux. Le système lui-même, dans une situation économique difficile, avec risque de récession et chômage élevé, garantit qu’une fois par an, début octobre, et cela sur 3 ans, les salaires et pensions seront adaptés de 2,5 % à l’inflation. "Cela n’existe pas nulle part ailleurs", a insisté le chef de file des socialistes. Par ailleurs, le gouvernement s’est engagé que le SMIC sera réajusté en dehors de l’inflation en 2013. C’est le contraire d’une politique qui ne mise que sur l’austérité et les économies budgétaires. Cette politique qui mise aussi sur la croissance et l’investissement se heurtera à des résistances à Bruxelles, mais elle est pour lui juste et sera accompagnée de mesures pour aider les citoyens à petits revenus. Pour Alex Bodry, la compétitivité ne doit pas se réduire à la question des salaires, et il attend du patronat qu’il apporte lui aussi sa contribution.
Henri Kox, des Verts, a clairement exprimé que les Verts sont en faveur de l’indexation des salaires, car elle garantit la paix sociale. Mais le travail sur un rapport plus équilibré entre les revenus élevés et les revenus modestes passe pour les Verts par une autre politique fiscale.
En tant que parti d’opposition, les Verts ont néanmoins annoncé qu’ils allaient voter pour la modulation temporaire du système d’indexation. Mais Henri Kox a exprimé leur opposition aux mesures collatérales pour les petits revenus et leur préférence pour des mesures fiscales.
Il a lancé un appel au dialogue entre les parties prenantes. Il a ensuite présenté une motion en faveur d’une table ronde pour le futur du pays, qui inclurait des sujets comme "l’importance du pétrole dans notre économie, l’avenir incertain de la place financière et de l’emploi ainsi que le maintien d’une politique sociale conséquente". Elle serait à mener "avec les acteurs de la tripartite, mais également des représentants des groupes parlementaires et de la société civile ainsi que des scientifiques en vue d’une refonte d’un modèle luxembourgeois se basant sur l’équité sociale et la soutenabilité écologique". Il faudrait "inclure dans ces réflexions une véritable réforme du système des pensions, le développement du marché de l’emploi dans la Grande Région et l’équilibre des finances publiques à moyen terme à travers des réformes fiscales redistributives" et "viser l’établissement d’un mécanisme durable de compensation de l’inflation tout en renforçant le tissu économique du pays". Henri Kox a conclu en disant comprendre que les syndicats n’approuvent pas la loi, "car les entreprises, que feront-elles de l’argent économisé ?"
Au nom de l’ADR, Jacques-Yves Henckes a expliqué que son parti scrutait toute mesure sous l’angle du respect de trois principes : la compétitivité, l’équilibre des finances publiques et leur nature socialement juste. Son groupe, a-t-il annoncé au bout d’une méandreuse argumentation, voterait contre le projet de loi, parce qu’il sert au gouvernement pour se dédouaner de ne pas lutter contre l’inflation, et que de ce fait, il nuit aux entreprises comme aux consommateurs. Gast Gibéryen est lui aussi intervenu pour dire que s’il l’on pouvait être sûr que la modulation de l’index contribue à la réduction du chômage, on l’accepterait. Mais il n’y a pas de garantie dans ce sens.
Après les députés, ce fut au tour du gouvernement d’intervenir. Le premier a été le ministre de l’Economie, le socialiste Jeannot Krecké, qui a de nouveau insisté sur le fait que le Luxembourg est le seul pays au monde à indexer les salaires comme il le fait. L’indexation entraîne la paix sociale. Mais ce qui compte maintenant est que l’on change l’instrument pour être à même de l’utiliser encore demain. La modulation de l’indexation ne constitue pour lui en rien une régression sociale. Par ailleurs, a-t-il mis en exergue, les Luxembourgeois ne doivent pas oublier la dimension internationale de leur économie qui a apporté la prospérité au pays, et "les entreprises internationales doivent pouvoir y survivre" dans un climat difficile, alors que le FMI prévoit une légère récession et que les taux de croissance sur plusieurs années sont en-deçà des taux de croissance moyens des décennies précédentes dans l’UE comme au Luxembourg. Pour le Luxembourg, il s’agit d’une situation sans précédent depuis 1945, tant en termes de croissance que de chômage. La hausse des salaires n’est pas en soi un facteur de croissance, a expliqué un ministre qui se voulait magistral à l’égard de certaines critiques qu’il jugeait contraires à la raison économique, mais c’est la productivité qui la rend possible. Finalement, il a exprimé l’espoir que l’argent dégagé par la réforme pour les entreprises soit investi et non pas consommé.
Le Premier ministre Jean-Claude Juncker a exprimé dans son intervention son respect aux deux grands partis de l’opposition qui ont eux aussi entériné l’accord des partis de la coalition. L’indexation modulée ne constitue pas une régression sociale pour le Premier ministre qui y tient parce "50 % des salariés ne travaillent pas sous un régime salarial régi par une convention collective" et ne verraient éventuellement pas leurs salaires augmenter sans indexation. A l’adresse du patronat qui s’est plaint que la mesure était insuffisante, Jean-Claude Juncker a lancé que "le geste équivaut à plus de 2,6 % de réduction de l’impôt sur les sociétés et n’est donc pas une demi-mesure, mais une mesure pleine avec laquelle au contraire les entreprises peuvent faire beaucoup". Le Premier ministre a situé toute la discussion dans un contexte où partout en Europe, il y a des tentatives pour affaiblir les dispositions du droit du travail, notamment le contrat à durée indéterminée, qui devrait être la normalité. Ceux qui prônent la généralisation des contrats à duré déterminée ne connaissent pas les conditions de vie des gens, qui ont besoin de prévisibilité pour organiser leur vie de famille et le futur de leurs enfants, et ne doivent pas être soumis à l’angoisse de perdre leur emploi tout les six mois, a-t-il exposé, non sans émotion, rappelant que lui, fils d’ouvrier, n’aurait pas pu étudier, si rien n’avait été prévisible pour ses parents. Il a donc demandé au député vert Kox de ne pas railler certaines mesures compensatoires que le gouvernement envisage pour les personnes à revenus modestes. Mais, conciliant à l’égard de la motion des Verts, il a acquiescé à l’idée qu’un grand débat sociétal sur le futur du pays est nécessaire. Il a fait la proposition que le Conseil économique et social travaille sur la question, et seulement en cas d’échec, il faudrait envisager une autre enceinte sous les auspices du gouvernement.
L’OGBL a immédiatement réagi au vote à la Chambre, et regretté "que les représentants du peuple privent par cette mesure - ni annoncée dans les programmes électoraux de 2009, ni prévue dans le programme gouvernemental - les salariés, les pensionnés, les chômeurs et les bénéficiaires d’aides sociales pour les années 2012-2014 au total de quelque 500 millions d’euros de compensation d’inflation, voire de pouvoir d’achat, à condition que l’inflation reste au niveau actuel." Pour l’OGBL, "les gagnants de cette mesure seront en première ligne les entreprises qui peuvent retenir plusieurs centaines de millions d’euros dus à leurs salariés sans que le parlement et le gouvernement n’exigent une quelconque contrepartie". La mesure conduira par ailleurs "à une perte définitive de compensation d’inflation pour les salariés et les pensionnés également au-delà de l’année 2014".