Le règlement sur lequel se sont entendus Parlement européen et Conseil le 16 février 2011 pour fixer les procédures et les conditions requises pour une initiative citoyenne, innovation introduite par le traité de Lisbonne, va entrer en vigueur le 1er avril 2012. Si ce règlement est directement applicable en droit national, le Luxembourg a choisi de le mettre en œuvre par voie législative. Un projet de loi a été déposé à cet effet le 6 septembre 2011.
Le texte proposé par le gouvernement rappelle l’objet de la loi et les définitions, désigne le Centre des technologies de l’information de l’Etat en tant qu’autorité luxembourgeoise compétente pour opérer les vérifications et établir les certifications, et arrête le catalogue des sanctions pénales en cas d’infraction au règlement (UE), à la loi sous revue et aux dispositions légales nationales en matière de protection des données à caractère personnel.
Le 6 janvier 2012, le Lëtzebuerger Journal a publié une tribune du Parti pirate luxembourgeois qui appelle à une mise en œuvre rapide de l’initiative citoyenne au Luxembourg. "La participation à une initiative citoyenne doit rester gratuite et il convient de supprimer du texte de loi la nécessité de donner son numéro matricule lors de la signature", plaide le Parti pirate luxembourgeois. "Le gouvernement et le Parlement ont le temps, d’ici le 1er avril 2012, de corriger ces erreurs", conclut le Parti des pirates.
Le paragraphe 4 de l’article 3 du projet de loi stipule "qu’un règlement grand-ducal peut déterminer les frais en relation directe avec le contrôle de conformité, tel que prévu à l’article 5, paragraphe 4, du Règlement (UE) No 211/2011, qui sont à charge de l’organisateur".
Le dispositif "habilite le pouvoir exécutif de prendre un règlement grand-ducal afin de mettre les frais engendrés par les opérations de contrôle en vue de la certification d’un système de collecte en ligne, visées à l’article 6 du Règlement (UE) N° 211/2011, à charge de l’organisateur", explique l’exposé des motifs, précisant que "le principe de la gratuité des opérations de contrôle s’appliquera jusqu’au moment de l’entrée en vigueur d’un tel règlement".
Or, le Parti des pirates estime que la vérification des signatures doit être gratuite pour les organisateurs de l’initiative. C’est selon eux la seule façon d’éviter que l’initiative citoyenne ne soit réservée aux organisations dotées d’importants moyens financiers.
Le règlement européen prévoit, "dans le respect du principe selon lequel les données à caractère personnel doivent être adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont collectées", que "la communication de données à caractère personnel, y compris, le cas échéant, d’un numéro d’identification personnel ou du numéro d’un document d’identification personnel, par les signataires d’une proposition d’initiative citoyenne est requise, dans la mesure où cela est nécessaire pour permettre la vérification des déclarations de soutien par les États membres, conformément à la législation et aux pratiques nationales".
Le projet de loi luxembourgeois précise dans son article 4 que le numéro d’identification personnel auquel se réfère le règlement est le numéro d’identité, communément appelé "numéro matricule", tel que prévu par la loi modifiée du 30 mars 1979.
"Le Règlement (UE) No 211/2011 énumère dans la partie B de son annexe III les données personnelles que les signataires d’une initiative citoyenne doivent fournir pour pouvoir y participer, dont notamment un numéro d’identification personnel lorsqu’ils résident dans un pays qui dispose d’un tel numéro", expliquent les auteurs du projet de loi dans l’exposé des motifs.
La liste des Etats requérant un tel numéro d’identification, parmi lesquels le Luxembourg, est d’ailleurs inscrite dans la partie C de l’annexe III du règlement.
Mais pour le Parti des pirates, la vérification de l’identité des signataires par le numéro matricule n’est pas "une exigence explicite de l’UE". L’indication de ce matricule par les signataires est "superflue", juge ainsi Jerry Weyer, vice-président du parti, qui avance que "l’identité des signataires peut être vérifiée autrement, l’indication du nom et la signature suffisant largement à cet effet".
L’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et six autres pays de l’UE (à savoir le Danemark, l’Estonie, l’Irlande, la Slovaquie, la Finlande et le Royaume-Uni) n’exigent pas de numéro d’identification, relève le parti dont le vice-président craint que l’obligation de donner le matricule ne dissuade les citoyens de signer une initiative citoyenne. Il appelle donc à supprimer du projet de loi la nécessité de fournir son matricule aux signataires d’une initiative citoyenne.
L’avis rendu par la Commission nationale pour la Protection des Données (CNPD) rendu le 1er décembre 2011 pointe lui aussi l’utilisation du numéro matricule dans le cadre de l’initiative citoyenne. "Alors que la Commission nationale peut comprendre que l'utilisation d'un tel identifiant unique peut présenter certains avantages pratiques, elle tient à relever que cette utilisation présente également de nombreux risques significatifs au niveau des atteintes aux libertés et droits des citoyens", est-il ainsi indiqué dans cet avis. En effet, la Commission nationale "estime que des garanties appropriées (…) feraient défaut".
S’appuyant sur les annexes du règlement, la CNPD relève qu’en pratique, le modèle de formulaire de déclaration de soutien, sur lequel figureront, en plus des noms, prénoms, adresse, lieu de naissance et nationalité le numéro d’identification personnel, "aura vocation à circuler entre les différents signataires de l'initiative citoyenne, afin qu'ils puissent y déclarer leur soutien". "Il est fort probable que les signataires recevront communication des données personnelles des autres signataires", observe ainsi la CNPD, ajoutant que les organisateurs d'une initiative citoyenne auront par ailleurs accès aux données personnelles, y compris le numéro d'identification de l'ensemble des signataires. "Les risques potentiels d'abus par les signataires ou les organisateurs lors de la collecte des données ainsi que les risques de détournement de finalité ne peuvent pas être écartés", conclut-elle avant de se demander "pourquoi le Grand-Duché de Luxembourg a opté pour l'utilisation du matricule".
En effet, poursuit la CNPD, certains Etats membres qui disposent également d'un numéro d'identification, comme la Belgique par exemple, ont fait le choix de ne pas faire figurer ce dernier sur les formulaires de déclaration de soutien. "En prenant en compte que le nombre minimum de signataires est de 4500 pour le Luxembourg (celui de la Belgique étant de 16.500) la CNPD considère qu'il n'est pas nécessaire de collecter le numéro d'identité et que l'ensemble de toutes les autres données personnelles recueillies à l'occasion d'une initiative citoyenne devraient amplement suffire pour procéder aux vérifications de l'identité des signataires", indique l’avis.
La CNPD recommande donc de ne pas avoir recours au numéro d'identification national dans le cadre d'une initiative citoyenne. Une position qui reflète l’avis adopté le 21 avril 2010 par le Contrôleur européen de la protection des données en la matière.