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Economie, finances et monnaie
Un tour d’horizon de la crise globale et européenne et des chantiers de la régulation avec Christian Chavagneux
01-02-2012


Christian Chavagneux, le 1er février 2012, lors d'une conférence organisée par la Gréng Stëftung"Le 1er février 2012, Christian Chavagneux*, le rédacteur en chef adjoint de la revue Alternatives économiques et auteur d'une "Brève histoire des crises financières" parue en octobre 2011 aux éditions La Découverte, a tenu à l’invitation de la Gréng Stëftung une conférence sur la question de savoir si "le G20 veut vraiment la finance et les paradis fiscaux".

Qu’est-ce une crise financière ?

Partant de son dernier livre, Christian Chavagneux a fait le constat que "la finance a pris une place démesurée dans nos économies" et que "ses dérapages pèsent lourdement sur l’emploi et le bien-être des populations partout dans le monde". Et comme il n’est pas facile pour le simple citoyen de comprendre les ressorts de l’instabilité financière, afin d’apprécier la pertinence des politiques qui prétendent la combattre, il est pour lui d’un grand intérêt de revenir sur les grandes crises du passé.

Dans son livre et lors de la conférence, Christian Chavagneux a fait le récit des plus exemplaires d’entre elles et de leurs issues : la fameuse bulle sur les tulipes dans la Hollande du XVIIe siècle ; la façon dont l’Écossais John Law a créé la première bulle boursière de l’histoire entre 1716 et 1720 dans la France du régent ; la crise financière de 1907, qui a conduit à la création de la banque centrale des Etats-Unis ; et la crise de 1929, au cours de laquelle le président Roosevelt a usé de toute son habileté pour imposer les régulations qui allaient assurer plusieurs décennies de stabilité.

A partir de là, il a développé une "économie politique des bulles", une sorte de modèle de la crise financière qui permet de mieux comprendre le dérapage des subprimes en particulier et les mécanismes économiques en jeu dans les crises financières en général. Dans son exposé, Christian Chavagneux a aussi développé le rôle joué par les inégalités sociales, les rapports de forces politiques et les batailles idéologiques. Pour lui, "disposer d’un tel schéma des crises permet de juger les multiples chantiers ouverts par le G20, leurs avancées et leurs faiblesses".

Cela est d’autant plus vrai qu’après quatre années de crise financière due au surendettement général, à une dérégulation financière exagérée et à une répartition de plus en plus inégale des richesses, les solutions ne semblent toujours pas claires pour relancer l’économie, réguler les finances et réduire les inégalités sociales.

Au chapitre des régulations, et en ce qui concerne l’UE, l’économiste français a mis en exergue les tentatives européennes de contrôler au niveau micro-prudentiel les innovations financières à travers l’EBA, l’autorité bancaire européenne, d’arriver à des accords juridiques en ce qui concerne l’échange de produits toxiques entre institutions financières rendant obligatoire le passage par des chambres compensatoires, afin que les banques soient mieux en mesure de connaître leur exposition au risque. Au niveau macro-prudentiel, il a évoqué la création du Conseil européen du risque systémique (CERS). Mais ces instruments sont seulement en train de se former et leurs effets n’ont pas encore pu être évalués.

La crise dans la zone euro

Lors de la discussion, la crise dans la zone euro a été un des grands sujets. Christian Chavagneux a été très direct. "Les Grecs ont triché et vécu au-dessus de leurs moyens. Il faut qu’ils paient une partie de leur dette et quelques années d’austérité seront dans leur cas inévitables." L’Irlande et l’Espagne ont été victimes d’une bulle immobilière. L’endettement de la France est dû à la baisse de l’imposition qui a eu un impact structurel.

Cette crise s’est développée dans une zone monétaire qui n’a pas conduit, telle est sa thèse, à plus de convergence économique, comme on l’avait espéré avec la création de l’euro, mais à une plus grande spécialisation des économies des Etats membres. Les uns se sont bien développés en termes de compétitivité, et d’autres moins, comme le Portugal. La dévaluation interne à laquelle il a fallu recourir s’est traduite par une pression de plus en plus forte sur le coût du travail, ce qui a eu des conséquences sociales très graves, notamment en Grèce et au Portugal, ou avec l’explosion du chômage des jeunes dans les pays du Sud de l’Europe. Mais en même temps, il y a eu convergence des taux d’intérêts. L’on a prêté sans regarder de plus près au risque au même taux à la Grèce et à l’Allemagne, la dernière, compétitive, ne posant aucun problème pour rembourser, l’autre roulant vers les abysses.

Pour Christian Chavagneux, il est devenu incontournable d’annuler une grande partie de la dette grecque, de l’ordre de 70 %. La contrepartie, qui est actuellement l’objet de négociations très dures, serait un remboursement des 30 % restant sur trente ans au taux de 4 % et un déplacement de la juridiction en cas de défaut de paiement d’Athènes vers Londres. "Pour des créances qui ne valent plus rien, c’est toujours une bonne affaire pour les banquiers", a-t-il conclu.

La seule austérité pour venir à bout de la crise des dettes souveraines n’est pas une solution pour l’UE, et même les agences de notation le disent, a expliqué le rédacteur en chef adjoint des Alternatives économiques, pour qui il faut néanmoins et évidemment contrôler les dépenses budgétaires et réduire les déficits, et le semestre européen est en ce sens une bonne chose à ses yeux. Ce qui ne l’a pas empêché de railler la Commission européenne pour avoir été plus prolixe au cours de l’exercice 2011 dans ses recommandations qui datent juin 2011 sur la flexibilité du marché du travail – c’est-à-dire "pouvoir virer plus vite" - que sur d’autres points.

Pour lui, il ne faudrait pas oublier les impôts ou des soutiens ciblés à la relance. Comme exemple positif, l’économiste a cité la décision de la BCE de mener deux opérations de prêts à 1 % sur 36 mois pour éviter aux banques européennes une pénurie de liquidités et donc en conséquence du crédit, la première opération de refinancement ayant eu lieu le 21 décembre 2011 et la deuxième étant prévue le 29 février 2012. La question cruciale sera ensuite pour Christian Chavagneux de savoir où ira cet argent.                   

Répondant à une intervention de l’eurodéputé vert Claude Turmes sur les pressions que la Banque européenne d’investissement subit de la part des agences de notation, ce qui a conduit la BEI à réduire de 15 milliards ses crédits à des projets de développement économique, et sur la possibilité que la BCE prête à la BEI au même taux qu’elle prête aux banques européennes, Christian Chavagneux a trouvé que c’était là "un canal intéressant de soutien à la croissance", et ce d’autant plus que le pacte budgétaire sous forme de traité intergouvernemental manque singulièrement d’éléments de croissance.

Quant à la règle d’or exigée par le nouveau traité, l’auteur de la "Brève histoire des crises financières" n’en pense pas grand-chose. Le temps est aussi venu selon lui de scruter les politiques fiscales, de supprimer des niches fiscales (75 milliards en France, mais pas toutes contre-productives), de soutenir la compétitivité avec des crédits pour l’innovation et la transition écologique, des investissements qui dégageraient des ressources et des gains de productivité pour les pays et les firmes qui s’engageraient sur ce chemin.      

Très critique, Christian Chavagneux l’a aussi été sur la création d’une agence de notation européenne. A qui serait-elle rattachée ? Si elle l’était au Conseil ou à la Commission européenne, elle manquerait sûrement de crédibilité, imagine-t-il en effet. Mais il n’a pas exclu une autre piste.

L’idée d’une taxe sur les transactions financières (TTF) lui est par contre très sympathique. Même introduite en France seulement, comme le président Sarkozy voudrait le faire, ce serait "un message politique fort" qui afficherait la volonté de faire contribuer le secteur financier à une sortie de crise dans laquelle il a ses responsabilités. Pour lui, 0,1% de taxe sur des opérations financières "n’est pas beaucoup".  

 

* Christian Chavagneux est rédacteur en chef adjoint d’Alternatives Economiques et rédacteur en chef de la revue L’Economie politique. Auparavant, il a travaillé comme chargé de mission à l’ex Commissariat général du Plan, comme économiste à la Société Générale et comme chargé d’études à l’Agence française de développement. Il a enseigné plusieurs années à Sciences Po et à l’université Paris IX Dauphine.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Ghana, une révolution du bon sens – Economie politique d’un ajustement structurel (Khartala, 1997), L’économie politique internationale (Repères La Découverte, 2001), Les dernières heures du libéralisme, la mort d’une idéologie (Perrin, 2007), Les paradis fiscaux (avec Ronen Palan, Repères, La Découverte, nouvelle édition 2007, réédité en 2012), et Une brève histoire des crises financières ; Des tulipes aux subprimes (La Découverte, 2011)

Christian Chavagneux est également chercheur associé au Centre for Global Political Economy de l’Université de Sussex.