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Economie, finances et monnaie - Traités et Affaires institutionnelles
Le Spiegel publie dans un contexte tendu une interview de Jean-Claude Juncker qui porte essentiellement sur la situation de la Grèce : il y souligne les efforts faits par ce pays, mais n'exclut pas, "si tout va à vau-l'eau", une faillite
06-02-2012


Dans son édition datée du 6 février 2012, le Spiegel publie un long entretien avec Jean-Claude Juncker titré "…ensuite c’est la faillite". Le Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe répondait aux questions de Michael Sauga et Christoph Schult, lesquelles portaient notamment sur la situation de la Grèce.Der Spiegel

Il faut dire que la situation de ce pays continue d’attirer toutes les attentions, les négociations en cours avec ses créanciers privés ainsi qu’avec la troïka UE-BCE-FMI n’ayant pas encore abouti à un accord faisant l’unanimité au sein du gouvernement de coalition. Peu de temps avant que Jean-Claude Juncker n’accorde cet entretien, il annonçait par voie de communiqué qu’il n’y aurait pas de réunion de l’Eurogroupe le 6 février 2012, et ce alors que cette date circulait dans les médias, qui annonçaient aussi la fin prochaine des difficiles négociations en cours.

Au vu des difficultés des partenaires de la coalition à s’entendre – une réunion qui a duré cinq heures le dimanche 5 février a permis de dégager certains points d’accord mais a aussi révélé qu’il reste des pommes de discorde entre les partis qui sont au gouvernement, et il a donc fallu convoquer une nouvelle rencontre pour le 6 février –, les bourses européennes ont ouvert à la baisse dans la matinée du 6 février 2012. C’est dans ce contexte tendu qu’est parue l’interview du président de l’Eurogroupe.

"Peut-on donner de l’argent à un pays corrompu ?" La première question posée par les journalistes du Spiegel donne le ton de l’entretien. Jean-Claude Juncker reconnaît qu’en effet, il a dit il y a trois ans qu’il y a de la corruption en Grèce. "Mais cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas soutenir la Grèce, au contraire, il faut aider la Grèce si le pays s’efforce sincèrement de couper court aux éléments de corruption qu’il y a visiblement eu là-bas", explique Jean-Claude Juncker qui constate pour conclure que c’est ce que fait, au prix de gros efforts, la Grèce, dont le gouvernement est selon lui bien conscient du problème, qui existe à tous les niveaux de l’administration, ainsi que de ses conséquences négatives sur l’image du pays.  

"La Grèce doit savoir que nous ne reculerons pas sur le thème des privatisations", prévient Jean-Claude Juncker

Quand les journalistes de l’hebdomadaire allemand lui demandent si la Grèce est “réformable“, Jean-Claude Juncker reconnaît que le programme d’ajustement "a dévié du chemin car les Grecs n’ont pas atteint certains objectifs". "Nous avons cependant obtenu des progrès considérables avec le gouvernement grec", affirme le président de l’Eurogroupe qui cite la baisse du déficit budgétaire ou encore le recul des coûts du travail. "Il est vrai que les réformes structurelles ne sont pas encore suffisantes, mais il y a des progrès notables", rétorque-t-il aux journalistes lorsqu’ils pointent la question des réformes. "L’économie du pays a gagné en compétitivité", poursuit Jean-Claude Juncker qui juge qu’il serait "injuste de faire comme si les Grecs se roulaient les pouces".

Pour ce qui est des privatisations, Jean-Claude Juncker s’adresse au gouvernement grec, qui est resté sur ce point en deçà de ce qui avait été convenu : "la Grèce doit savoir que nous ne reculerons pas sur le thème des privatisations", prévient-il ainsi. "Nous allons améliorer nos aides administratives", explique Jean-Claude Juncker aux journalistes curieux de savoir comment il faut s’y prendre. Jean-Claude Juncker mentionne l’existence en Europe de nombreux experts qui ont gagné en expérience au fil de différents processus de privatisation : "de tels experts vont devoir aider la Grèce à l’avenir", propose le président de l’Eurogroupe.

Interrogé sur la proposition faite par le Ministère allemand des Finances de mettre en place un commissaire au budget en Grèce, Jean-Claude Juncker souligne que la Grèce fait déjà l’objet d’un contrôle rigoureux. "Si la Grèce doit s’éloigner encore du chemin de la vertu envisagée, l’intensité de la surveillance ira croissante", prévient-il cependant. A ses yeux, l’idée d’un commissaire au budget n’est "pas absurde en soi tant qu’elle n’est pas appliquée qu’à la seule Grèce, mais à tous les pays endettés qui s’écartent des objectifs".

"Si la Grèce devait quitter de façon substantielle la voie de l’ajustement de sa propre responsabilité, alors Athènes ne devrait pas escompter plus avant que les autres fassent preuve de solidarité à son égard", indique cependant Jean-Claude Juncker lorsque les journalistes l’interrogent sur la possibilité qu’une surveillance renforcée ne porte pas ses fruits. "Si nous devions constater que tout va à vau-l'eau en Grèce, alors il n'y aurait pas de nouveau programme, ce qui voudrait dire que la faillite serait déclarée en mars", poursuit-il, soulignant que la Grèce en est bien consciente et que "la seule possibilité que cela puisse arriver devrait donner aux Grecs les muscles là où ils donnent pour le moment quelques signes de paralysie".

Jean-Claude Juncker, qui plaide pour "réduire les moyens dans les régions prospères pour les déployer là où il y a le feu", se dit "convaincu que les risques de contagion de la crise grecque sont aujourd’hui moindres qu’il y a un an ou deux"

Face aux déclarations des journalistes qui jugent que les Grecs se trouvent dans une situation désespérée, Jean-Claude Juncker reconnaît que l’économie grecque a dû faire face au cours des trois dernières années à une récession de 12 % et que le chômage a augmenté de façon dramatique. Quant à l’UE, "elle s’est tellement endettée pour lutter contre la crise financière après 2008 qu’il n’y a désormais plus de marge pour des programmes de relance massifs", explique le Premier ministre luxembourgeois qui plaide pour une utilisation intelligente des instruments existants. "Nous avons besoin de débattre sur la façon de mobiliser plus fortement les fonds structurels européens pour lutter contre la crise", juge en effet le président de l’Eurogroupe qui précise qu’il ne parle pas seulement des fonds disponibles, mais bien de réelles réaffectations. Jean-Claude Juncker plaide donc pour "réduire les moyens dans les régions prospères afin de les déployer là où il y a le feu".

Pour ce qui est de savoir si une nouvelle décote de la dette grecque impliquant aussi ses créanciers publics n’améliorerait pas la situation, comme le demande la rédaction du Spiegel, "le débat est prématuré" selon Jean-Claude Juncker. "Tant qu’il n’y a pas d’accord sur le programme d’ajustement grec" qui "montrera le chemin d’un rétablissement durable", il est selon lui trop tôt pour réfléchir à un désendettement supplémentaire.

Lorsque la rédaction du Spiegel lui demande d’où doit venir l’argent pour aider la Grèce, Jean-Claude Juncker rappelle les étapes des négociations en cours : les créanciers privés vont d’abord apporter leur contribution et la troïka va discuter avec le gouvernement grec de mesures d’austérité supplémentaire, ensuite, "nous verrons si le deuxième plan d’aide prévu pour le moment à hauteur de 130 milliards d’euros suffira". Pour Jean-Claude Juncker, la BCE, dont il rappelle l’indépendance, doit décider seule de participer ou non, en renonçant par exemple, comme le suggèrent les journalistes, aux bénéfices sur ses obligations grecques. "Mais elle porte bien sûr une part de responsabilité en ce qui concerne l’avenir de la Grèce", affirme le Premier ministre luxembourgeois.

Jean-Claude Juncker, qui se dit "sûr à 100 %" que la zone euro comptera en 2013 les mêmes membres qu’en 2012, est "convaincu que les risques de contagion de la crise grecque sont aujourd’hui moindre qu’il y a un an ou deux". "Les marchés ont pris acte du fait que nous sommes sur la bonne voie", affirme le président de l’Eurogroupe. Devant l’insistance des journalistes, Jean-Claude Juncker assure qu’il n’y aura pas de décote de la dette portugaise : "Nous avons toujours dit que la Grèce est un cas particulier", rappelle-t-il, expliquant qu’une contribution des créanciers privés a été nécessaire dans le cas de la Grèce, mais qu’elle est "définitivement exclue" pour d’autres pays.

Interrogé au sujet d’un éventuel renflouement du fonds de secours, Jean-Claude Juncker avance que, sur le principe, "il convient que le pare-feu soit assez haut pour que le feu qui brûle en Grèce n’atteigne pas les autres maisons européennes". Il rappelle que l’EFSF est doté de 250 milliards d’euros et se prononce pour "réunir ESM et EFSF".

Pour Jean-Claude Juncker, le nouveau traité implique que "lorsqu’un pays veut mettre en œuvre une réforme économique, il devra à l’avenir en discuter au préalable au sein de l’Eurogroupe"

Pour ce qui est de ses aspirations à une politique économique européenne, qui remontent aux négociations du traité de Maastricht, Jean-Claude Juncker explique qu’un gouvernement économique ne peut être établi par la ratification d’un pacte, mais bien par l’action politique. Pour lui, le nouveau traité signifie que "lorsqu’un pays veut mettre en œuvre une réforme économique, il devra à l’avenir en discuter au préalable au sein de l’Eurogroupe", ce qui vaut aussi pour les grands pays dont "la politique a d’énormes effets sur les espaces économiques voisins".

Il faut en finir avec les initiatives nationales, estime en effet Jean-Claude Juncker qui confie cependant ne pas être certain que tous les signataires du traité partagent la lecture qu’il en fait. La rédaction du Spiegel saisit la balle au bond et évoque la décision du président Nicolas Sarkozy d’augmenter le taux de TVA en France, une annonce qui, à en croire Jean-Claude Juncker, a en effet pris de court les partenaires de la zone euro, tout comme l’annonce faite en 2005 à Berlin d’augmenter le taux de TVA de 16 à 19 %, qui avait eu pour conséquence une augmentation de 0,3 % de l’inflation dans toute la zone euro au cours des deux années qui ont suivi. Le président de l’Eurogroupe part désormais du principe que chaque pays parlera des réformes qu’il prévoit à l’Eurogroupe. "Sinon, c’est le président de l’Eurogroupe qui le fera", prévient-il, rappelant qu’il avait déjà été décidé de procéder de la sorte lors du Conseil de décembre 1997.

"Ce qui prouve que le pacte fiscal pourrait s’avérer être un tigre de papier", déduisent les journalistes qui demandent si l’Eurogroupe doit se contenter de discuter des réformes envisagées ou si les ministres des Finances peuvent aussi opposer leur veto. "Un pays pourra toujours décider souverainement", rappelle Jean-Claude Juncker qui insiste cependant sur le fait qu’un gouvernement économique implique que personne ne peut faire quelque chose sans en parler avec ses partenaires d’une part, et d’autre part sans avoir prouvé que cela bon pour l’ensemble de la zone euro.

La rédaction du Spiegel pointe alors le fait que les États peuvent toujours en appeler à des "circonstances exceptionnelles" pour "faire plus de dettes". Pour Jean-Claude Juncker, il s’agit là d’une règle de bon sens, car si une telle possibilité n’était pas prévue, il ne serait selon lui pas possible de réagir de façon adéquate à des crises : "nous devrions infliger des sanctions financières en pleine situation d’urgence et nous renforcerions les problèmes budgétaires des pays", explique le Premier ministre luxembourgeois.

L’Allemagne n’a pas réussi à faire inscrire dans ce traité une disposition autorisant la Commission à saisir la Cour de Justice dans le cas où des pays ne respecteraient pas les règles, ce que pourront faire les pays entre eux, rappellent les journalistes de l’hebdomadaire allemand qui demandent à Jean-Claude Juncker s’il imagine que l’Allemagne puisse poursuivre la France par exemple. "Cela semble certes fantomatique, mais les deux pays ont si ardemment débattu de la règle d’or budgétaire que c’est leur crédibilité qui est en jeu s’ils ne l’appliquent pas", répond Jean-Claude Juncker qui s’attend à ce que la France introduise cette règle malgré les déclarations faites par le candidat socialiste à la présidentielle, François Hollande. "Les présidents nouvellement élus doivent se conformer aux accords européens trouvés avant leur entrée en fonction", rappelle en effet le Premier ministre luxembourgeois.