Dans une tribune libre parue dans divers titres européens ce 1er mars 2012, le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht revient sur l’accord anti-contrefaçon, le controversé ACTA. Dans ce texte intitulé "Projet ACTA : pourquoi il faut réfléchir avant de l'attaquer", il défend ce qu'il considère comme les avantages de cet accord international. Il étaye l'argumentation qu'il a développée face aux députés européens de la Commission parlementaire du Commerce extérieur le 29 février 2012.
Comme il l'avait déjà fait le 22 février dernier, il rappelle que le renvoi de l'accord à la Cour européenne de Justice a pour but de "ramener un peu de bon sens dans le débat sur l’Acta, qui est en train d’échapper à tout contrôle, à la fois dans le monde virtuel et dans le monde politique".
Se présentant d'abord comme "un défenseur de l’Internet en tant qu’espace de liberté", il se dit favorable "à toute action publique de sensibilisation aux menaces potentielles qui pèsent sur cet outil" mais il n'accorde pas cette qualité aux mobilisations contre ACTA. Cet accord "n’a pas grand-chose à voir avec nombre de ces supposées menaces", affirme-t-il. Pour cause, "l’Acta n’introduira pas de censure sur internet. Il ne donnera lieu à aucune surveillance de courriels ou de blogs individuels. Il ne sous-traitera pas de fonctions de police à des prestataires privés de services en ligne. Il ne restreindra pas les ventes de médicaments génériques légaux. Il ne permettra pas à des agents des douanes d’inspecter des ordinateurs portables ou des lecteurs MP3", affirme-t-il pour taire des allégations jugées "hors sujet".
"Cet accord ne porte aucunement atteinte – d’un point de vue législatif – aux droits et libertés fondamentaux garantis par les traités européens" mais, au contraire, permettra de "défendre la propriété intellectuelle". Ainsi, si débat il doit y avoir, il doit porter sur "le rôle de la propriété intellectuelle dans notre société et notre économie".
"Nous avons construit un système global de protection de la propriété intellectuelle en Europe - la seule matière première dont nous disposions, pour reprendre le cliché bien connu. Nous avons défini les droits qui peuvent être protégés et les moyens d’y parvenir. Nous avons également prévu des mesures de sauvegarde, garantissant les droits des citoyens en matière de libre expression et de libre accès à l’information et à la protection des données, de même que les droits des prestataires de services et des intermédiaires qui commercialisent des biens bénéficiant d’une protection", poursuit-il. L'ACTA viendrait en complément "pour étendre les avantages de ce système au-delà de nos frontières". Ainsi, "il marque une étape mineure, mais significative, vers l’éradication de l’industrie mondiale du piratage et de la contrefaçon".
Traité de "mise en œuvre", ACTA "porte sur les procédures qui permettent de protéger ces droits. Il englobe la mise en œuvre sur le plan civil et pénal, ainsi qu’aux frontières, pose les principes élémentaires à respecter pour mettre en œuvre les droits de propriété intellectuelle sur l'Internet et définit des modalités de coopération internationale", poursuit le Commissaire. L'Union européenne a à ce titre enregistré une "grande réussite" en permettant que ce soit la législation européenne qui serve de base à cet accord international.
Pour Karel De Gucht, la population européenne trouve ainsi dans cet accord un de ces "nivellements par le haut" qu'elle est censée atteindre. Karel De Gucht souligne plus loin que plusieurs Etats ont déjà annoncé qu'ACTA ne les contraindrait pas à modifier leurs législations, puis s'enorgueillit que les entreprises aient estimé que les procédures mises en place pour sanctionner les infractions auraient des "répercussions positives sur leur croissance et leur rentabilité, ainsi que sur les emplois qu'elles créent".
Le Commissaire finit son courrier par une mise au clair biographique : " Lorsque j'étais encore jeune député européen, j'ai participé à l’élaboration du rapport Spinelli, en rédigeant le premier projet de catalogue des droits de l’homme, sur lequel s'est basé le Parlement européen en 1989 pour élaborer sa Déclaration des droits et libertés fondamentaux (…). Je n’aurais donc pas pu m'associer à la négociation d’un accord susceptible de porter fondamentalement atteinte à une partie de ces droits." Rappelant qu'il a toujours conçu le processus de négociation comme "une démarche ouverte et intégrative", les Etats y ont toujours été associés tandis que le Parlement européen a travaillé "en tandem" avec la Commission.
A l'heure où le Parlement européen et les Etats membres vont devoir se prononcer, l'avis de la Cour de Justice européenne "permettra, j'en suis convaincu, de les aiguiller dans la bonne direction." "Pour assurer le bon déroulement du processus démocratique, il nous faut d’abord faire la part des choses, en distinguant les faits de ce qui relève de la peur et du "on-dit", et ne pas manquer cette occasion de franchir un palier supplémentaire dans la protection globale des droits de propriété intellectuelle", conclut-il.
Toutefois, le texte a déjà réuni contre lui des millions de citoyens européens. En effet, le 28 février 2012, une pétition rassemblant 2,4 millions de signatures et coordonnée par le site internet Avaaz a été déposée auprès de la Commission des pétitions du Parlement européen afin que les députés prennent acte des "craintes d'une remise en cause d'un internet libre" exprimées par la pétition et votent contre l'accord.
La Commission parlementaire des pétitions devra examiner le texte puis pourra demander à la Commission européenne de "mener une étude préliminaire, transmettre la pétition pour information à une autre commission, ou préparer une réaction officielle à la pétition", lit-on sur le site du Parlement. "La procédure de ratification d'ACTA vient tout juste de commencer. L'accord va devoir être examiné soigneusement, les inquiétudes vont devoir être prises en compte de façon objective, en essayant de combiner la liberté du web d'un côté et la lutte contre la contrefaçon de l'autre", a déclaré Erminia Mazzoni, eurodéputée italienne, membre de la commission des pétitions. Au Luxembourg, une pétition en ligne, demandant aux députés nationaux de se prononcer contre l'accord devrait atteindre prochainement la barre des 4500 signatures qu'elle a fixé comme objectif.
Le 1er mars 2012, les députés de tous les groupes politiques de la Commission du commerce international ont déclaré souhaiter "en savoir plus" sur la mise en œuvre de l'accord commercial avant de conseiller au Parlement européen de l'adopter ou non. "Ce ne sont pas les intentions d'ACTA qui inquiètent, mais ses possibles conséquences non-intentionnelles. ACTA manque de détails. La préoccupation majeure est l'interprétation du texte", a notamment déclaré le député David Martin.
Le 1er mars 2012, le ministre de l'Economie, Etienne Schneider s'est exprimé sur l'accord ACTA devant les députés de la Commission parlementaire du commerce extérieur et de la Commission des médias et communications, à la demande du groupe Déi Gréng. Le député vert, Claude Adam, avait, à travers une motion déposée le 15 février 2012, invité le gouvernement à se retirer de l'accord ACTA. Etienne Schneider a garanti que "le traité ACTA ne prévoit pas de surveillance des communications sur Internet" et que "le gouvernement n’apportera pas de changement à la législation nationale actuelle", lisait-on sur le site de la Chambre des députés.
Le Gouvernement luxembourgeois a pour l'heure décidé d'attendre l'avis de la Cour européenne de justice avant de soumettre un projet de loi au vote des députés. Ce processus pourrait durer encore deux ans. Au sortir de la réunion, le ministre de l'Economie, Etienne Schneider, a souligné que l'accord ACTA serait bénéfique aux entreprises nationales et européennes qui pourront désormais déposer une plainte dans tout pays signataire en cas de copie de machines, de processus, d'installations. "Nous sommes ainsi très contents qu'une série de pays comme le Maroc ou Singapour aient signé l'accord. Et le but est que des pays comme la Chine et l'Inde le signent également", a-t-il encore déclaré. Chaque année, dans l'Union européenne, l'économie perdrait des milliards d'euros à travers des piratages exercés dans des pays dénués de ce type de législation.
Par ailleurs, le ministre a garanti que l'accord ACTA n'engendrerait pas de surveillance nouvelle. Elle ne modifiera rien à la loi nationale de 2001, qui ne poursuit un citoyen pour téléchargement illégal qu'à la condition que celui-ci en tire un bénéfice économique."Nous avons une place financière, un centre de technologies de l'information et de la communication et nous avons également des centres de base de données. Si nous commencions au Luxembourg à autoriser des contrôles sur internet, sur les accès, sur ce que fait l'utilisateur, ce secteur serait mort demain", a aussi confié le ministre.
Déi Gréng ne partagent pas l'enthousiasme ministériel. "Même si un des partis qui s'opposent à ACTA portent le titre de "Pirate" dans son nom, ça ne signifie pas pour autant que les critiques contre l'accord tournent uniquement autour du téléchargement illégal", ont-ils fait savoir dans un communiqué de presse. "La manière dont le ministre Schneider réduit la critique aux multiples facettes contre l'ACTA à la crainte que le téléchargement de musiques ou films puisse être plus sévèrement contrôlée et sanctionnée est hautement irresponsable." Les écologistes rappellent d'ailleurs qu'ACTA "concerne également d'autres domaines sociétaux tels que les médicaments génériques". L'accord pourrait ainsi déboucher sur "un problème sanitaire mondial", mettent-ils en garde.
Claude Adam conclut le communiqué par une pointe d'ironie. "J'ai été étonné par la déclaration du ministre Schneider selon laquelle à Luxembourg, malgré ACTA, on pourra continuer à télécharger illégalement sur internet dès lors qu'on n’en tire pas de profit économique. J'espère que cette déclaration cache le constat que le droit d'auteur, en particulier dans le domaine digital, fasse l'objet doit être réformé fondamentalement et que les réformes correspondantes sont sur les rails".