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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Éducation, formation et jeunesse - Emploi et politique sociale
En réaction à l’avis motivé adressé par la Commission au Grand-Duché au sujet de la loi sur les aides financières pour études supérieures, François Biltgen "confirme avec fermeté la position du Luxembourg"
01-03-2012


Le 27 février 2012, la Commission européenne a adressé au Luxembourg un avis motivé concernant sa loi sur les aides financières de l’Etat pour études supérieures. Dans ce dossier qui suscite de vives prises de position, la Commission européenne avait ouvert une enquête sur la loi d’août 2010, qui impose une condition de résidence pour l’obtention des aides pour études supérieures. "Il est probable que cette disposition lèse davantage les travailleurs migrants originaires d'autres États membres de l'Union que les travailleurs luxembourgeois, ce qui constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité et contrevient donc à la législation européenne sur la libre circulation des travailleur", indique la Commission pour expliquer l’avis motivé adressé au Luxembourg.

Cet avis motivé fait suite à la mise en demeure que la Commission européenne avait signifiée au Grand-Duché le 6 avril 2011 et à laquelle le Luxembourg a répondu le 26 mai 2011. Le Luxembourg a désormais deux mois pour donner suite au courrier de la Commission européenne, avant que cette dernière ne décide, le cas échéant, d’introduire un recours en manquement devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, François Biltgen, a réagi à cet avis motivé par voie de communiqué dès le 1er mars 2012. Il rappelle dans un premier temps que la Cour de Justice a été saisie par le Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg d’une demande de décision préjudicielle dans les recours intentés par des travailleurs frontaliers dans le contexte de l’aide financière de l’État pour études supérieures. "La question de savoir si la législation luxembourgeoise en matière d’aides financières de l’État pour études supérieures respecte le droit européen sera donc de toute façon soumise à l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne", déclare ainsi le ministre en prélude à son argumentation, laissant ainsi entendre d’emblée qu’il ne semble pas craindre de défendre sa position devant la Cour si la procédure d’infraction entamée par la Commission devait aller jusque là.

"Sans préjudice quant à la réponse formelle et circonstanciée que le gouvernement fera parvenir à la Commission dans les délais impartis, François Biltgen, confirme avec fermeté la position du Luxembourg", est-il d’ailleurs aussitôt expliqué.

"Les aides financières de l’État pour études supérieures sont une mesure de politique nationale en matière d’enseignement supérieur, mesure destinée, d’une part à conforter une politique d’enseignement supérieur basée essentiellement sur la mobilité et la formation des étudiants à l’étranger, et d’autre part à augmenter à 40 % d’ici 2020 le taux de résidents diplômés de l’enseignement supérieur, et ce conformément à l’Agenda 2020 de la Commission européenne", souligne François Biltgen pour ouvrir son argumentaire.

La position de la Commission, qui considère l’étudiant comme un enfant de travailleur, revient à "une infantilisation de l’étudiant majeur"

Pour le ministre, la politique luxembourgeoise en matière d’aides financières de l’État pour études supérieures est "une politique en faveur du citoyen européen pour que celui-ci puisse exercer son droit à l’éducation de façon autonome et conformément aux principes du Processus de Bologne". Du point de vue des autorités luxembourgeoises, "l’aide financière de l’État pour études supérieures est un droit personnel pour l’étudiant destiné à l’émanciper des contraintes financières et sociales de sa famille et de lui conférer une garantie d’autonomie dans le choix de son avenir". Or, commente le ministre dans son communiqué, "la Commission européenne, de par sa position, considère l’étudiant, quelque soit son âge, comme un `enfant´ de travailleur ; ce principe constitue une infantilisation de l’étudiant majeur".

"Une mise en cause de la législation luxembourgeoise par la Commission européenne devrait entraîner également la mise en cause des législations d’autres États membres"

François Biltgen rappelle ensuite qu’en vertu des traités qui régissent le fonctionnement de l’Union européenne, les politiques ayant trait à l’enseignement en général et à l’enseignement supérieur en particulier, relèvent essentiellement de la compétence des États membres. D’ailleurs, souligne-t-il, "la grande majorité des États membres lient, comme le Luxembourg, l’attribution d’une aide financière pour études supérieures à la résidence du requérant sur leur territoire, de sorte qu’une mise en cause de la législation luxembourgeoise par la Commission européenne devrait entraîner également la mise en cause des législations d’autres États membres". "La clause de résidence luxembourgeoise, qui existait bien avant la modification de la loi en 2010, n’a d’ailleurs jamais auparavant été mise en cause par la Commission", argue ainsi le ministre.

Les conclusions de l’avocat général du 16 février "n’ébranlent nullement la position luxembourgeoise"

Quant aux conclusions présentées le 16 février dernier par l’avocat général Eléonor Sharpston dans l’affaire qui oppose la Commission européenne aux Pays-Bas, François Biltgen estime qu’elles "n’ébranlent nullement la position luxembourgeoise". L’avocat général ne s’est pas opposée en principe à une clause de résidence mais a conclu que "bien que cette disposition puisse, en principe, être justifiée sous l’angle de son objectif social, les Pays-Bas n’ont pas démontré que la condition de résidence est un moyen approprié et proportionné d’atteindre cet objectif", relève en effet le ministre qui juge, "au vu des différences notoires qui existent entre les systèmes d’aides financières néerlandaise et luxembourgeoise", qu’il est "prématuré, voire irréaliste de vouloir en tirer des conclusions pour le dossier luxembourgeois".

"La procédure d’infraction lancée par la Commission européenne, et surtout l’argumentaire de la Commission, portent atteinte à ce principe historique et fondamental de portabilité et donc de mobilité de l’étudiant"

L’aide financière luxembourgeoise pour études supérieures mise sur la portabilité des bourses et des prêts et promeut ainsi la mobilité traditionnelle des étudiants luxembourgeois, rappelle encore le ministre Biltgen. Or, selon ses services, "la procédure d’infraction lancée par la Commission européenne, et surtout l’argumentaire de la Commission, portent atteinte à ce principe historique et fondamental de portabilité et donc de mobilité de l’étudiant". D’après l’interprétation que le Ministère de l’Enseignement supérieur fait des conclusions de l’avocat général de la Cour dans l’affaire concernant les Pays-Bas, une attribution des aides financières également aux étudiants non résidents serait "une charge déraisonnable susceptible d’avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide octroyée". Sans compter, argue encore le ministre, qu’elle serait "difficilement applicable sans générer par exemple des discriminations à rebours" et qu’elle devrait "donc aboutir à une abrogation de la législation". "Aucune autre solution praticable pour faire perdurer la politique traditionnelle du Luxembourg n’est proposée par la Commission", dénonce encore le ministre.

François Biltgen rappelle dans ce contexte que, contrairement à ce qui se passe au Luxembourg, les aides financières de la plupart des autres Etats membres ne peuvent être exportées de façon générale dans un autre Etat membre. Il souligne aussi que, du fait de la compétence essentiellement nationale des États membres pour l’enseignement supérieur, des obstacles d’accès directs et indirects continuent à exister dans d’autres États membres à l’égard des étudiants non résidents ou non nationaux.

Le ministre insiste par conséquent "pour que les aides financières pour études supérieures soient considérées, non pas comme un élément de politique sociale, mais comme un élément de la politique de l’enseignement supérieur". Il plaide en faveur d’un espace européen de l’enseignement supérieur sans obstacles dans lequel chaque État membre allouerait à ses résidents des aides financières portables et dans lequel les restrictions d’accès aux universités en raison de la nationalité des étudiants seraient abolies. Le ministre soutient que c’est uniquement dans un tel cadre que les clauses de résidence pratiquées presque universellement pourraient être rediscutées.

 "Nous n'envisageons pas de faire marche arrière", annonçait Jean-Claude Juncker dès le 29 février 2012

La veille, la rédaction de La Libre Belgique avait interrogé le Premier ministre Jean-Claude Juncker au sujet de cet avis motivé, lui demandant si son gouvernement allait revoir la disposition critiquée par la Commission européenne. "Je crois que, juridiquement, il n'y a pas discrimination et que donc la Commission se trompe", avait répondu Jean-Claude Juncker qui expliquait la nécessité de lui apporter "une réponse convaincante". "Sinon nous nous expliquerons devant la Cour de justice", envisageait-il.

Jean-Claude Juncker avait lui aussi fait référence aux conclusions de l’avocat général concernant les Pays-Bas. "J'ai noté que le Royaume de Belgique, dans ce dossier, appuie le gouvernement néerlandais alors que certains milieux belges ne cessent de nous critiquer pour avoir fait à peu près la même chose", expliquait-il. "Nous n'envisageons pas de faire marche arrière", annonçait le Premier ministre.

"J'avoue que j'avais des doutes sur cette législation", concède-t-il toutefois, mais il dit s’être vu démontrer "en droit que notre façon de faire était conforme". Jean-Claude Juncker observait lui aussi que, "si le Luxembourg perdait ce procès, bien des Etats membres devraient revoir leurs règles en la matière".