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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
Festival des migrations – À l’occasion d’une table ronde sur les populismes et la xénophobie, la question des politiques migratoires, au Luxembourg et dans l’UE, a été évoquée à la lumière de la crise
17-03-2012


Le 17 mars 2012, l’asbl La Vie nouvelle organisait, à l’occasion de la 29e édition du Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté organisé par le CLAE, une table-ronde qui s’est articulée autour de la xénophobie, nourrie de la peur de l’autre, et des populismes dont l’émergence se fait sentir en Europe.Laura Zuccoli, Robert Harmsen, Hubert Hausemer, Michel Legrand, Nicolas Schmit et Claude Frisoni réuni à l'occasion d'une table-ronde sur la xénophobie lors du Festival des migrations le 17 mars 2012

Qu’est-ce qui nourrit la "peur de l’autre" qui semble faire surface au Luxembourg ? Les "politiques" –  les hommes et les politiques migratoires – vont-ils tomber dans le panneau populiste ? Comment affronter efficacement ces réalités ? Telles étaient les questions auxquelles étaient invités à répondre Hubert Hausemer, philosophe, Robert Harmsen, professeur de sciences politiques à l’Université de Luxembourg, Nicolas Schmit, ministre de l’Immigration, mais aussi du Travail et de l’Emploi, Laura Zuccoli, présidente de l’ASTI et Claude Frisoni, journaliste et comédien.

Hubert Hausemer - Peur de l’autre et identité : éléments de réflexions

Hubert Hausemer a ouvert les discussions en montrant que la relation à l’autre, qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, est marquée par une certaine ambivalence. Certes on note dans un premier temps une certaine curiosité, et même de l’attrait à son égard, mais dès que l’autre devient visible ou sédentarisé, la tendance à la méfiance, à la peur, voire à la haine se fait plus sentir, observe en effet le philosophe.

Cette peur de l’autre, d’où vient-elle ?, s’est-il demandé. L’inconnu est source de confusion, de désarroi, il peut même être terrifiant, souligne Hubert Hausemer. Et l’autre est bien souvent relativement ou tout à fait inconnu… Or l’homme, dès sa naissance, est marqué par une grande vulnérabilité, et, étant dépourvu d’instincts sociaux, il lui faut les inventer, les adapter. Ces règles juridiques et morales mises en place ne sont pas des lois naturelles, et elles opèrent de façon incertaine : on ne sait pas si l’autre va s’y tenir, observe Hubert Hausemer qui constate en conséquence le recours à des "mesures de confiance" comme le repli dans des communautés homogènes, le rejet de l’autre, ou son acceptation sous condition d’assimilation. "Un cercle vicieux basé sur des stratégies précaires", commente Hubert Hausemer. Ce sentiment d’insécurité peut expliquer que l’autre soit source de peur, estime le philosophe luxembourgeois. Et ce d’autant plus que ces stratégies précaires sont mises à l’épreuve dans un monde où l’autre ne reste pas chez lui…

Face à cette peur, on peut soit se soumettre, soit résister.

Sur le plan interpersonnel, le philosophe, qui constate que la peur porte bien souvent sur "l’identité", propose de creuser cette notion d’identité qui est complexe et qui revient à se demander "qui est l’autre ?". Première réponse, il est mon semblable. Deuxième réponse, il est mon étranger. Troisième réponse, qui inclut les deux premières, l’autre est unique, insubstituable par ses actes existentiels, par l’autonomie de ses décisions et de ses choix. Pour faire face à la peur de l’autre, le philosophe indique la nécessité d’acquérir une identité forte, car "si je suis sûr de moi, il n’est pas besoin d’avoir peur de l’autre", explique-t-il, rappelant que la violence est bien souvent l’expression outrée de la faiblesse de son auteur. Une identité forte permet d’entrer en contact avec l’autre, d’apprendre de lui, et d’accepter, peut-être, qu’il nous transforme.

Sur le plan collectif, Hubert Hausemer soulève plusieurs nécessités : la première, c’est la reconnaissance mutuelle, ce qu’il appelle la fraternité ; la deuxième, c’est l’égalité devant la loi, ou encore la justice ; la troisième, c’est la liberté, qui est conditionnée tant par la fraternité que par la justice qui rendent autonome ; la quatrième enfin, c’est la solidarité. "La mise en pratique de ces valeurs peut créer la confiance qui élimine la peur de l’autre", conclut Hubert Hausemer.

Robert Harmsen - Populismes et politiques migratoires : évolution des discours et contradictions

Robert Harmsen a évoqué, au sujet du phénomène électoral de la montée des populismes en Europe, l’émergence d’une ligne de clivage politique en Europe qui est essentiellement identitaire. Il y a d’une part les "intégrationnistes" et d’autre part les "démarcationnistes", les premiers affichant une attitude plutôt favorable par rapport à la mondialisation, l’immigration et l’intégration européenne, quand les seconds ont plus tendance à s’opposer à ces trois phénomènes. Ce clivage est exploité par les partis populistes, observe le politologue, mais il influence aussi de plus en plus les partis gouvernementaux et en vient donc à modifier le champ politique.

Quelle influence cela a-t-il sur les politiques migratoires ? Robert Harmsen identifie trois tendances qui se dessinent.

Premièrement, il observe une focalisation, voire une obsession pour une politique des nombres, indépendamment du contexte. Un exemple, la volonté affichée par les conservateurs britanniques en 2010 de "réduire le solde migratoire" de la Grande Bretagne, ce qui impliquerait, en plus d’une maîtrise de l’immigration, un contrôle des départs et des retours….

Deuxièmement, le politologue constate un renforcement des exigences formelles d’intégration, avec l’obligation de cours de langues ou de civisme, parfois préalablement à l’entrée dans le pays, comme aux Pays-Bas. Des instruments répressifs qui sont conçus comme des moyens de contrôle sur l’immigration, et non comme des moyens de renforcer l’intégration, note Robert Harmsen qui cite l’exemple d’un Américain installé de très longue date aux Pays-Bas qui a échoué au test imposé aux ressortissants de pays tiers car il n’a pu répondre, faute d'avoir jamais été confronté à ces réalités, à des questions portant sur les allocations chômage…

Robert Harmsen observe en troisième lieu un couplage de plus en plus marqué entre discours identitaire et politiques d’immigration, une construction discursive qui correspond à un rejet du multiculturalisme dans certains pays et à la construction d’une identité nationale fixe face à une immigration perçue comme menaçante. Un discours de plus en plus repris y compris par les partis modérés.

Pourtant, remarque le politologue, les politiques migratoires sont complexes et parfois empreintes de contradictions. Ainsi, tandis qu’on cherche à limiter l’immigration, on encourage l’arrivée de personnes hautement qualifiées avec la carte bleue européenne, ce qui illustre la reconnaissance qui est faite de la nécessité d’une certaine immigration. D’ailleurs, Robert Harmsen fait observer que les perspectives démographiques de l’Europe, qui nécessiteraient une grande immigration, sont les grandes absentes du débat. Il pointe aussi le paradoxe qui tient à l’européanisation progressive du domaine depuis Tampere. Robert Harmsen voit ainsi une double incohérence : d’une part au sein même des politiques publiques d’immigration, mais aussi entre des discours politiques de plus en plus simplistes et des politiques publiques qui reflètent la complexité du phénomène migratoire.

Le Luxembourg a-t-il vraiment une politique d’immigration ? Le ministre Schmit s’interroge en soulignant que, dans le contexte européen, le Grand-Duché s’en est abstenu

Nicolas Schmit a commencé son intervention par une interrogation : le Luxembourg a-t-il vraiment une politique d’immigration aujourd’hui ?

Il y a certes eu, dans les années 60, mais aussi avant, des politiques d’immigration assez répressives, qui visaient à aller chercher des travailleurs en choisissant leur pays d’origine, à savoir l’Italie, puis le Portugal, raconte le ministre. Mais depuis, "on a une autre dimension", constate-t-il : avec la mobilité dans l’UE, les choses ont changé, les gens ont commencé à avoir des droits sociaux, et c’est même allé jusqu’à la reconnaissance d’une citoyenneté européenne. Dans ce contexte européen, le Luxembourg s’est abstenu d’avoir une politique d’immigration, observe Nicolas Schmit qui souligne qu’il y a peu d’emprise et de contrôle sur la mobilité des citoyens de l’UE.

Le ministre relève qu’il y a non pas "une" mais "des" immigrations au Luxembourg. La situation des ressortissants des pays tiers se distingue en effet nettement de celles des citoyens communautaires. La loi de 1972 accepte en effet les ressortissants des pays tiers "à dose homéopathique, si on en a besoin", résume le ministre qui souligne que le Luxembourg a d’ailleurs introduit une "green card" avant la "blue card" européenne. L’objectif, c’est pour tous les pays, d’attirer les talents, car le marché des cerveaux est devenu globalisé et pour eux, on adopte des règles très souples, y compris en matière de regroupement familial. A l’égard des ressortissants des pays tiers, qui ne représentent que 6 % des étrangers au Luxembourg, on a donc une politique très différenciée, en fonction des besoins du marché du travail.

"A Bruxelles, les libéraux ne voient pas les hommes, mais la mobilité de facteurs", s’est indigné Nicolas Schmit pour qui "cette Europe-là crée des tensions"

Ce qui fait bouger les gens, c’est souvent l’emploi, a précisé le ministre qui a évoqué la situation des nouveaux arrivants au Luxembourg ces derniers mois. Il voit là "une mobilité forcée", conséquence de "la politique insensée imposée par l’UE dans les pays en crise", soulignant que dans certains cas, en l’occurrence au Portugal, ce sont les gouvernements eux-mêmes qui appellent leurs citoyens à partir. Nicolas Schmit s’est aussi indigné vivement de "l’image catastrophique" qui est donnée de la Grèce, présentée comme un pays de fainéants et de profiteurs, alors que les familles y vivent une vraie catastrophe. "A Bruxelles, les libéraux ne voient pas les hommes, mais la mobilité de facteurs", s’est encore insurgé Nicolas Schmit pour qui "cette Europe-là crée des tensions".

"Le problème aujourd’hui, c’est que certains flux migratoires signifient aussi l’apparition de nouvelles précarités", qui prennent la forme de travail au noir, pour quelques jours seulement, mais aussi de logement, un problème crucial au Luxembourg contre lequel, a concédé le ministre, rien n’a été fait. Pour ceux qui viennent en dehors des règles, la situation est souvent encore plus précaire, a ajouté Nicolas Schmit. "Cela crée des tensions dans la société", s’inquiète le ministre qui évoque le risque de dumping social – les contrôles sur certains chantiers ont montré que certaines personnes étaient payées 3 à 5 euros de l’heure, a indiqué le ministre, dénonçant toute forme d’exploitation. "Comment gérer ce type d’immigration qui touche à la fois la cohésion et le modèle de développement du Luxembourg ?", c’est la question qu’a soulevée le ministre.

Nicolas Schmit a cru bon de faire la distinction entre l’immigration et l’asile, qui sont deux choses différentes du point de vue de la loi. Au début des années 1990’, le Luxembourg a accueilli un grand nombre de demandeurs d’asile, ce qui n’a alors pas posé problème dans la mesure où les résidents ont compris la pressions subie dans le contexte des guerres ethniques qui ont frappé les Balkans, a rappelé le ministre. Aujourd’hui, où le nombre de demandes d’asile a déjà dépassé les chiffres des années 1990’, on fait face à des situations différentes, qui sont moins comprises par les résidents, a expliqué Nicolas Schmit. Certes il y a des explications à ces départs nouveaux, mais la perception du citoyen, qui est un enjeu majeur, est différente.

La politique suppose des objectifs, a poursuivi le ministre qui a souligné qu’au Luxembourg "nous n’avons pas l’obsession des chiffres". A ses yeux, c’est là qu’on voit l’autre comme une menace. Au Grand-Duché, contrairement à Claude Guéant qui veut réduire de moitié le nombre d’immigrants, "nous constatons une phénomène d’autorégulation". "Je ne sais pas si c’est toujours possible", a admis Nicolas Schmit, soulignant que cela dépend en grande partie du marché du travail. Toutefois, l’essentiel est aux yeux du ministre de ne pas donner l’impression que l’Etat est totalement impuissant face à un phénomène. "Sinon, on risque d’ouvrir la porte au populisme et à la démagogie", met-il en garde. "Nous n’y sommes pas encore", constate-t-il, "mais sous la surface, il y a cette tendance à dire qu’il y a des flux non maîtrisés".

Claude Frisoni s’insurge contre une "UE rebutante, plus proche du Zollverein que de l’utopie qui [le] faisait rêver"

"Les différends naissent-ils des différences ?", s’est demandé Claude Frisoni pour commencer son intervention. Il a relevé une évidence mise à jour par les généticiens, à savoir que c’est la différence qui permet l’évolution et la vie… Il est important de savoir qui on est soi-même pour ne pas avoir peur de l’autre, a encore avancé le comédien qui a ponctué son discours d’anecdotes aussi absurdes que cocasses. Claude Frisoni s’est dit par ailleurs "atterré" par l’image que donne l’Europe en cette période de crise, évoquant une UE "rebutante" qui "impose la misère à l’autre". Après la guerre, le Sud du Luxembourg a payé pour aider à reconstruire le Nord qui avait souffert des bombardements, a rappelé Claude Frisoni pour dénoncer une UE qui est désormais "plus proche du Zollverein que de l’utopie qui [le] faisait rêver".

Se souvenant d’une discussion qu’il avait eue il y a quelques années avec Régis Debray, à qui il vantait les mérites du Luxembourg où tout se passait bien, Claude Frisoni a rappelé la réponse de son interlocuteur : « tant qu’il n’y pas de menace, tout se passe bien ». Le risque, c’est d’utiliser les réalités à des fins cyniques s’est insurgé le comédien en évoquant la « campagne de haine contre les Roms menée en France pour draguer les populismes ». Mais Claude Frisoni s’est dit tout aussi scandalisé par les mesures prises par le gouvernement luxembourgeois dans le cadre de la loi sur les aides aux études supérieures : c’est injuste et cela ne permettra pas de faire la moindre économie, a-t-il dénoncé, avançant que cette mesure visait au fonds à rassurer les Luxembourgeois inquiets de savoir qui va payer le prix de la crise.

Laura Zuccoli met en exergue l’importance de la perception des frontaliers

Laura Zuccoli a évoqué les résultats d’une enquête menée dans le cadre d’un projet cofinancé par le FEI qui a permis de rencontrer dans les écoles du Grand-Duché 6000 jeunes âgés de 14 à 22 ans. Les résultats de cette enquête qui portait sur les questions d’identité et de peur de l’autre ont notamment permis de révéler que pour beaucoup de ces jeunes scolarisés au Luxembourg, la langue française est ressentie comme une contrainte, tandis que le "vivre ensemble" est perçu plus difficilement par les jeunes Luxembourgeois et Portugais. C’est surtout le cas de jeunes adultes qui sont déjà en contact avec le marché du travail. Ils y rencontrent en effet des personnes, les frontaliers, qui n’ont pas rencontré les mêmes difficultés qu’eux pendant leur cursus scolaire, notamment en raison du contexte multilingue du système luxembourgeois, et qui sont perçus comme très concurrentiels de ce fait. "La question de la Grande Région et de l’interdépendance devrait être plus discutée", en tire comme conséquence la présidente de l’ASTI qui insiste sur la nécessité d’insister sur les apports des étrangers à la richesse du Luxembourg plutôt que de parler de "peur", de "menace", ou encore de "tourisme" quand il est question d’asile et d’immigration.

Sur cette question des frontaliers, "manne qui nous est tombée du ciel en nous offrant 100 % de bénéfices" comme il l’a présentée, le ministre Schmit a expliqué que dans les têtes, la Grande Région n’est pas vraiment là, que les frontières subsistent et que c’est un chantier que le Luxembourg a tout intérêt à mieux construire.