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Emploi et politique sociale - Justice, liberté, sécurité et immigration
"On ne peut pas retenir les gens, il faut donc mener un travail d’information" en collaboration avec les autorités portugaises, plaide Nicolas Schmit au sujet du nombre d’arrivées, en hausse, de ressortissants portugais au Luxembourg
07-03-2012


Début février 2012, le CLAE organisait une table-ronde consacrée aux nouvelles migrations internes en Europe, et notamment à l’arrivée au Luxembourg de personnes venues du Portugal, mais aussi d’Espagne et d’Italie, dans l’espoir de fuir la crise. Représentants consulaires et associatifs avaient fait le point sur l’ampleur du phénomène et les problématiques qu’il soulève avec l’intention d’attirer l’attention sur la question. www.wort.lu

Dans son édition datée du 7 mars 2012, le Luxemburger Wort consacre tout un dossier au cas des milliers de Portugais arrivés récemment au Luxembourg pour tenter leur chance. Nicolas Anen a interrogé le consul général José Carvalho Rosa et José Ferreira Trindad, président du Centro d’apoio social et associativo no Luxemburgo (CASA), qui étaient tous deux présents à la table-ronde du CLAE, et qui s’inquiétaient de voir leurs concitoyens "partir à l’aventure" sans être bien informés sur le coût de la vie au Luxembourg. Le journaliste a recueilli le témoignage de Claudio Tomaz, qui vit au Luxembourg depuis un mois à peine et qui explique que dans son pays, "toutes les portes étaient fermées". Nicolas Anen s’est aussi entretenu avec le ministre Nicolas Schmit, qui est en charge à la fois de l’Emploi et de l’Immigration.

"Ce sont des situations qui, en pratique, poussent à la mobilité", indique Nicolas Schmit en évoquant une "situation économique et sociale dramatique" au Portugal

S’il n’apprécie pas particulièrement le terme de "vague d’immigration" au sujet de citoyens européens qui ont le droit de circuler librement dans l’UE, Nicolas Schmit reconnaît qu’au cours des derniers mois, le nombre de personnes venues du Portugal au Luxembourg est en hausse. "Les raisons sont claires : crise économique et chômage", explique le ministre qui souligne que le nombre de jeunes gens arrivés au Luxembourg a augmenté particulièrement vite. Il faut dire qu’au Portugal, un jeune sur trois ne trouve pas de travail. "Ce sont des situations qui, en pratique, poussent à la mobilité", constate Nicolas Schmit qui est aussi conscient du niveau de salaire minimum "extrêmement bas" au Portugal, quand il est respecté. Nicolas Schmit évoque donc une "situation économique et sociale dramatique" dans ce pays. "Quand en plus de cela le gouvernement incite pratiquement les gens à émigrer, on comprend qu’on attache au Luxembourg, qui offre de hauts standards sociaux et le salaire minimum le plus élevé d’Europe et qui accueille une grande communauté portugaise, de grands espoirs", explique le ministre qui s’étonne d’ailleurs de cette invitation du gouvernement à l’émigration.

"Derrière ces chiffres, il y a des gens, des familles", observe le ministre qui note que la tendance est à la hausse

"Nos chiffres reflètent ceux du Consulat pour ce qui est des arrivées", déclare Nicolas Schmit. José Carvalho Rosa indique que, depuis 2008, le Consulat enregistre entre 4300 et 4400 nouvelles personnes, un chiffre qui est monté à 4900 en 2010. Fin février, il comptait déjà 860 nouvelles inscriptions depuis le début de l’année 2012. "Si nous continuons à ce rythme, nous atteindrons 6000 nouveaux enregistrements cette année", augure ainsi le consul.

"Derrière ces chiffres, il y a des gens, des familles", observe le ministre qui explique que le profil des nouveaux arrivants est très variable. "Certains sont peu qualifiés, d’autres au contraire le sont très bien", rapporte-t-il, racontant s’être entendu dire que des personnes diplômées faisaient la plonge ou travaillaient dans des entreprises de déménagement. "Il y a souvent des problèmes de langues, car ces personnes ne connaissent pas de langue étrangère, ou bien ne parlent que l’anglais", ajoute Nicolas Schmit.

A ces chiffres, le ministre ajoute donc ceux qui concernent les enfants qui arrivent dans les classes luxembourgeoises. Ainsi, entre le 15 septembre 2010 et le 14 septembre 2011, 259 enfants portugais ont été accueillis, le plus souvent dans les "classes d’accueil". Ils représentent 42 % des enfants étrangers. En six mois, du 15 septembre 2011 au 8 février 2012, le ministre évoque le chiffre de 140 enfants portugais pris en charge. "La tendance est donc à la hausse", observe Nicolas Schmit, qui voit là un grand défi dans la mesure où souvent, ces enfants ont des difficultés à être intégrés dans le système scolaire luxembourgeois et ont besoin de beaucoup de soutien, notamment pour rattraper leur retard en langues.

"La proportion des ressortissants portugais dans le taux de chômage augmente", constate Nicolas Schmit qui s’inquiète des problèmes sociaux et de logement auxquels peuvent être confrontés certains de ces nouveaux arrivés

Les nouveaux arrivants ne peuvent pas tous trouver leur place sur le marché du travail luxembourgeois, répond le ministre au journaliste en s’appuyant sur l’évolution des chiffres des demandeurs d’emploi. En décembre 2009, il y avait 4835 Portugais parmi les demandeurs d’emploi inscrits au Luxembourg, soit 32,6 % d’entre eux. Deux ans plus tard, au 31 décembre 2011, ils étaient 5771 et représentaient 35,7 % des demandeurs d’emploi.

"La proportion des ressortissants portugais dans le taux de chômage augmente", constate donc le ministre, ce qui montre "que des gens viennent au Luxembourg, y travaillent pendant une courte période, en cdd ou en intérim, - même si ce secteur est actuellement en recul en raison de la crise – et tombent ensuite au chômage". "Cela ne signifie pas pour autant qu’ils perçoivent des indemnités de chômage", précise le ministre, car il faut pour cela avoir travaillé six mois. "Après un certain temps, ils peuvent éventuellement toucher le RMG", indique Nicolas Schmit qui appelle à ne pas sous-estimer les problèmes sociaux qui peuvent se poser. Il s’inquiète aussi du logement, une problématique bien connue au Luxembourg. "La façon dont son logées certaines personnes, et parfois même certaines familles, est préoccupante", reconnaît le ministre qui évoque une tendance à se retrouver dans des situations que le Grand-Duché a pu connaître dans les années 1960’ et 1970’.

Nicolas Schmit dénonce le dumping social pratiqué par des entreprises et agences d’intérim qui profitent du désespoir de certains citoyens portugais

En janvier 2012, le ministre Schmit avait attiré l’attention sur la situation de travailleurs dormant sur les chantiers sur lesquels ils travaillaient la journée. Entre temps, il a donné pour instruction à l’ITM de mener plus de contrôles afin de veiller à ce que la situation ne se propage pas, mais aussi pour faire clairement comprendre que c’est inacceptable. "Il s’agit de cas isolés", précise cependant le ministre qui explique que ce ne sont certainement pas "les entreprises luxembourgeoises normales qui usent de telles pratiques". "Mais il existe des petites entreprises, qui n’ont souvent qu’une durée de vie courte, qui opèrent en pratiquant un dumping sur les prix et ce via le dumping social", observe Nicolas Schmit qui estime qu’il faut agir contre ces pratiques.

Quant aux contrats de très courte durée avec lesquels arrivent certains de ces nouveaux migrants, Nicolas Schmit rapporte de ses récentes visites auprès des différents bureaux de l’ADEM que "beaucoup de gens qui s’inscrivent auprès de l’ADEM sont depuis peu de temps au pays". Et il y a parmi eux beaucoup de ressortissants portugais. Si, pour s’installer au Luxembourg, les citoyens européens ont besoin d’une "promesse d’embauche", elle peut être valable pour quelques jours, et c’est souvent le cas, explique le ministre qui juge que ce n’est "vraiment pas correct".

Nicolas Schmit lance donc un appel aux agences d’intérim. S’il ne veut pas les montrer toutes du doigt, le ministre souligne cependant que les bureaux de l’Adem constatent cependant que beaucoup des nouveaux arrivants qui s’inscrivent au chômage "se sont presque fait appâter par de très courts contrats qu’ils ont eu d’agences d’intérim pour se retrouver ensuite dans la pauvreté absolue". "On profite en partie du désespoir qui se propage avec le chômage et la situation sociale pour appâter des gens sans leur offrir de réelles perspective d’emploi", dénonce Nicolas Schmit. S’il souligne qu’il faut donner la possibilité de chercher un travail dans un autre pays, il ne faut pas pour autant que cela aille de pair avec le dumping social ou une précarisation du travail, estime le ministre.

Le secrétaire général de l’Union luxembourgeoise des entreprises de travail intérimaire (ULEDI), Marc Kieffer, interrogé par le journaliste Nicolas Anen au sujet des pratiques dénoncées par Nicolas Schmit, lui a confié que le sujet n’avait pour le moment pas été abordé par les entreprises de la fédération. Il n’a pas non plus été interpellé sur le sujet par les syndicats. "Il est évident que, lorsque des migrants viennent au Luxembourg, ils ont besoin de durabilité", estime Marc Kieffer qui ne saurait "en aucun cas admettre de telles pratiques". Pour autant, s’il devait s’avérer que des agences d’intérim profitaient de la situation économique désastreuse sur le marché du travail portugais, l’Uledi ne pourrait rien faire de plus que les appeler à ne pas le faire, reconnaît le secrétaire général. "Nous avons un code de déontologie et nous espérons qu’il est respecté", déclare-t-il.

Nicolas Schmit admet lui aussi qu’il n’y a pas vraiment de moyens d’agir contre de telles pratiques. "Nos textes ne sont pas établis pour des situations de crise", indique le ministre qui rappelle que les citoyens européens ont le droit de s’installer dans un autre pays à condition d’en avoir les moyens et/ou d’y trouver un travail. "Mais il n’y a pas de cadre temporel de prévu", précise-t-il. "Dans une situation où la pression sociale et économique est telle, nous savons tous qu’il est plus difficile d’agir", admet cependant le ministre qui reconnaît qu’on ne peut pas faire beaucoup plus qu’informer et s’occuper des gens.

Pour ce qui est des perspectives, "il ne faut pas se faire d’illusions", prévient Nicolas Schmit qui s’attend à ce que le Luxembourg soit confronté à ce problème dans les mois, et peut-être les années à venir. "C’est pourquoi nous devons mieux informer, et ce en collaboration avec les autorités portugaises", conclut le ministre qui cite le consulat portugais, mais aussi les associations comme CASA ou encore les syndicats. "On ne peut pas retenir les gens, il faut donc mener un travail d’information et de persuasion pour que l’on n’arrive pas à des problèmes sociaux encore plus importants, et ce y compris au Luxembourg", plaide le ministre.