Le 31 mai 2012, le Premier ministre Jean-Claude Juncker a commenté, lors d’une conférence de presse, les recommandations que la Commission européenne avait adressées la veille au Luxembourg dans le cadre du semestre européen. Il a ensuite expliqué les enjeux du rapport dont il partage depuis le Conseil européen informel de mai 2012 la charge sur le renforcement de l’union économique dans l’UE. Il a également commenté les difficultés qu’affrontent actuellement la Grèce et l’Espagne et plaidé pour un aménagement dans le temps, sinon dans la substance, de la mise en œuvre des mesures de réajustement économique et budgétaire.
Le Premier ministre a souligné que la Commission européenne avait jugé plausibles les données macroéconomiques sur lesquelles le Luxembourg a fondé son programme de stabilité. Mais la Commission a critiqué le fait qu’à moyen terme, la viabilité budgétaire était relativement basse au Luxembourg et appelé "à la prudence en raison d’un haut niveau de dépenses incompressibles et structurelles", notamment "les charges implicites liées au vieillissement".
Dans cette logique, la Commission a jugé que les mesures prises dans le cadre du projet de réforme de l’assurance-vieillesse n’allaient pas assez loin et recommandé "d’accélérer la mise en œuvre des mesures qui vont limiter les dépenses liées à l’âge, mais aussi de prendre des mesures additionnelles afin d’augmenter le taux de participation des travailleurs âgés, en particulier en réduisant la retraite anticipée". Elle a également invité le Luxembourg "à prendre des mesures pour adapter l’âge légal de départ à la retraite à l’espérance de vie de façon à assurer la viabilité à long terme du système de pension". A ce sujet, Jean-Claude Juncker a fait la remarque qu’en ce qui concerne l’âge légal de départ à la retraite, 65 ans, rien ne sera changé. Quant à la durée réelle de la vie de travail, il a déclaré que le gouvernement n’était pas le seul à déterminer le cours des choses, mais que le secteur privé jouait aussi un rôle important sur ce dossier, alors que les entreprises rechignent à engager des salariés âgés de plus de 50 ans, une attitude que Jean-Claude Juncker juge "abstruse". Quant aux dépenses, le report annoncé pour un an de l’ajustement des pensions est déjà pour lui "une mesure forte".
En matière de salaires, la Commission a critiqué le fait "qu’à partir de 2015, le mécanisme d’indexation automatique (des salaires, ndlr) va de nouveau être appliqué normalement" et recommandé de nouvelles mesures entre autres pour réformer, en consultation avec les partenaires sociaux et en respectant les pratiques nationales, les négociations salariales. Jean-Claude Juncker a déclaré à ce sujet que le gouvernement prenait acte de la recommandation de discuter de la réforme de l‘indexation des salaires avec les partenaires sociaux. L’autre partie de la recommandation a été interprétée par le Premier ministre comme un appel à la révision du système de fixation des salaires et surtout du salaire social minimum. Sa réaction : "Je dis clairement : il n’y aura pas de changement en ce qui concerne le salaire minimum. La cohésion sociale et le bon climat social sont aussi des atouts du site économique luxembourgeois. Il n’y a pas que la productivité qui compte pour la compétitivité. Il faut aussi lutter contre la pauvreté et le risque de pauvreté que de nombreux chiffres nous révèlent."
Une autre critique relevée par le Premier ministre est celle dirigée contre un système d’éducation luxembourgeois dont les performances ont été jugées "relativement faibles", de sorte que la Commission a estimé "que certains élèves pourraient gagner à se concentrer sur un nombre limité de langues afin de pouvoir terminer leurs études et de se concentrer sur les sciences ou la formation professionnelle". Ici, il a demandé à ce que la Commission tienne un peu plus compte de l’extrême complexité d’un système, par la force des choses, multilingue.
La Commission européenne a enfin constaté que le Luxembourg ne semble pas en bonne voie d’atteindre ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre dans le cadre de la stratégie Europe 2020. Le secteur du transport routier représente la plus importante source d’émissions, et la Commission juge trop bas le taux de taxation environnementale de 6,4 % de l’ensemble des taxes sur le revenu, alors que la moyenne de l’UE était en 2010 de 7,4 %, en soulignant que la plupart de ces revenus proviennent de la taxation de l’énergie. Bref, le Luxembourg pourrait augmenter les taxes sur le carburant et l’énergie. Jean-Claude Juncker a admis que le Luxembourg pratique effectivement des prix de l’essence et du diesel plus bas que ses voisins, mais que le gouvernement n’ira pas au-delà des augmentations de la taxation de l’énergie qu’il a prévues. Pour le Premier ministre, même si le tourisme à la pompe est en cause, "les quantités que nous vendons sont peu significatives pour le climat global".
Revenant sur les questions budgétaires, le Premier ministre a insisté sur le fait que le Luxembourg n’avait pas fait d’emprunts pour financer les dépenses courantes, mais pour des investissements pour le futur. Ainsi, en dépensant en 2011 1,7 milliards d’euros en investissements directs, donc 3 à 4 points du PIB, financés entre autres par un emprunt d’un milliard, il a strictement respecté une première "règle d’or" budgétaire, qui est celle qu’aucun emprunt public ne doit dépasser la somme des investissements publics directs. (LIEN CSL) Or, il pense que la Commission, dans ses critiques, a négligé ce point, lorsqu’elle a critiqué la politique de dépenses du gouvernement, comme elle a négligé d’autres dépenses en 2009 et 2010 pour préserver des banques systémiques ou prendre des mesures de relance de la croissance. Un peu plus d’objectivité de la part de la Commission serait pour lui de mise.
Si l’on n’écoutait que la Commission, et surtout le FMI, a continué le Premier ministre, l’on supprimerait le salaire minimum, l’indexation des salaires, les ajustements des pensions, la préretraite, on augmenterait de manière drastique la durée de vie de travail et les prix de l’énergie. Le gouvernement n’ira pas dans cette direction, a-t-il assuré, et défendra ce type de positions au Conseil et au Conseil européen. Selon lui, le Luxembourg "pourra compter sur le soutien d’autres pays".
Dans un second temps, Jean-Claude Juncker a expliqué les enjeux et les premières idées du rapport qui sera rédigé sous la conduite du président du Conseil européen Herman Van Rompuy et en coopération étroite avec les présidents de la Commission, de la Banque centrale européenne, et Jean-Claude Juncker comme président de l’Eurogroupe sur les principales étapes et sur une méthode de travail pour atteindre l’objectif du renforcement de l’union économique.
Il y a d’abord l’union bancaire, où il s’agit d’aller des organes de supervision macro-prudentielle nationaux vers un instrument européen et de faire converger les systèmes de garantie en cas de défaut de paiement de banques systémiques. Tout cela aura de fortes conséquences pour un pays comme le Luxembourg, dont l’économie est fortement déterminée par le secteur financier, a souligné le Premier ministre, et "le Luxembourg doit donc s’y préparer".
Il s’agit aussi d’aller vers une union budgétaire, d’aller donc au-delà du six-pack actuel. Mais Jean-Claude Juncker ne croit guère à un rapprochement des systèmes de pensions des Etats membres dans le cadre d’une telle union budgétaire.
Un autre problème qui se pose en ce qui concerne la gouvernance de la zone euro, c’est son contrôle parlementaire. Plusieurs idées et options circulent. Il y a l’idée d’un Parlement de la zone euro, "car il n’est pas possible que des membres britanniques du Parlement européen participent à des votes qui concernent le futur de l’euro", a déclaré le Premier ministre. Une Conférence des Organes spécialisés dans les affaires communautaire de la zone euro à l'instar de l'actuelle COSAC est aussi une option. Finalement, il est envisageable de créer une assemblée des commissions budgétaires et des finances des parlements nationaux des Etats membres de la zone euro.
Un rapport intermédiaire sera remis au Conseil européen des 28 et 29 juin 2012.
Jean-Claude Juncker a jugé la situation en Grèce et en Espagne préoccupante. Le programme de réajustement ne pourra pas être changé dans la substance ni en Grèce ni en Espagne, a-t-il insisté. Mais il est d’accord avec la Commission qui est "prête à envisager de prolonger d'un an le délai pour que l'Espagne atteigne ses objectifs budgétaires", comme l’a annoncé le commissaire aux Affaires économiques Olli Rehn la veille, mais à condition qu'elle présente un plan budgétaire "solide". L'Espagne aurait ainsi jusqu'à 2014, et non plus 2013, pour revenir à un déficit public de 3 %. Mais le dernier mot sur la question reviendra au Conseil et à l’Eurogroupe, comme l’a souligné Jean-Claude Juncker. Une solution similaire pourrait être envisagée pour la Grèce à qui un délai supplémentaire serait accordé.
Jean-Claude Juncker est par contre opposé à ce que de nouvelles mesures d’austérité soient imposées. La consolidation est une tâche nationale, a-t-il expliqué, mais la croissance est une tâche européenne. Il faudra donc aboutir, au-delà d’un rapport intermédiaire pour le renforcement de l’union économique dans l’UE, à une série d’initiatives à court terme qui devraient être lancées par le sommet des 28 et 29 juin. "Car sans croissance, il n’y aura pas de consolidation."
La croissance est également un sujet au Luxembourg, a enchaîné Jean-Claude Juncker. Il y a à ce sujet une lettre de l’UEL qui plaide pour une table-ronde sur le futur du pays. Il y a le Mouvement écologique, qui, par les paroles de sa présidente, a mis en cause sur les ondes de RTL le principe même de la croissance à l’infini, en se référant aux recommandations de la Commission.
Pour le Premier ministre, la croissance est donc "un vrai sujet au Luxembourg", même s’il ne peut partager l’idée d’une croissance zéro. Il ne convoquera pas non plus une table-ronde sur le futur, peu propice pour résoudre les questions pratiques qui se posent. Il projette par contre des entrevues avec les différentes composantes du patronat, notamment ceux des secteurs du commerce et de l’artisanat, des secteurs qui ont un grand potentiel de création d’emplois pour résorber une partie du chômage. Avec les syndicats, il se concertera aussi pour travailler sur le chômage des jeunes, plus élevé que dans les pays voisins, l’Allemagne et la Belgique, et dont le taux est trois fois supérieur à celui du chômage général, un fait que la Commission a elle aussi souligné dans ses recommandations.
Le Premier ministre a finalement commenté la douzième place que le Luxembourg occupe dans le World Competitiveness Yearbook (WCY) 2012 parmi les 59 économies les plus compétitives dans le monde (voir la page afférente sur le portail du STATEC) qui constitue un recul d’un rang par rapport aux années précédentes. Il a regretté ce recul, mais, malgré un communiqué de la Chambre de Commerce qui ne va pas dans son sens, il a mis en avant le fait que parmi les Etats membres de l’UE, seuls la Suède, l’Allemagne et les Pays-Bas devançaient le Luxembourg. Un des éléments qui font la différence est de nouveau le salaire minimum qui lui semble malgré tout un atout. Bref, "le Luxembourg est plus compétitif que ne veut nous le faire croire le patronat luxembourgeois".