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Santé
6e Conférence nationale Santé : Les défis et les opportunités de la mise en œuvre au Luxembourg de la directive sur l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers
15-06-2011


Parmi les grands sujets abordés lors de la 6e Conférence nationale Santé qui a réuni dans un esprit participatif le 15 juin 2011 à Mondorf-les-Bains les professionnels de la santé, les représentants de patients et des responsables administratifs et politiques, figurait la directive sur l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.

Le ministre de la Santé appelle à la coopération dans le système de santé pour le mettre à jour

Mars Di Bartolomeo, ministre de la Santé, à la 6e Conférence Santé, le 15 juin 2011La transposition de cette directive qui les droits des citoyens de l'UE à recevoir des soins de santé dans un autre État membre obligera, selon le ministre de la Santé, Mars Di Bartolomeo, le système de santé luxembourgeois à miser encore plus sur la transparence et la qualité, une comptabilité analytique sur les prestations et à créer des centres de compétence. "Les systèmes de santé changent en Europe", a-t-il lancé à son auditoire, "et met le système hospitalier luxembourgeois devant le défi de prendre lui-même les choses en main de manière volontaire". Une fenêtre temporelle s’est ouverte, qui va se clore avec la transposition de la directive avant le 25 octobre 2013, a-t-il souligné, donc dans 28 mois. "Plus il y aura de coopération, et moins y aura de surprises", a ajouté Mars Di Bartolomeo, en faisant allusion au prochain plan hospitalier.

Lorsque cette directive a été négociée, a encore narré le ministre, le Luxembourg faisait partie des pays qui s’opposaient "de manière très engagée" à ce que les soins de santé soient assimilés à de simples prestations de services marchandes. Les valeurs défendues par le Luxembourg – solidarité, équité, universalité, qualité – ont eu gain de cause. Maintenant, avec la transposition de la directive, il y a une nouvelle loi à élaborer pour appliquer la directive au système de santé national. 

Ce qui va changer au Luxembourg

Ce fut Anne Calteux, attachée Santé et Sécurité sociale à la Représentation Permanente du Luxembourg auprès de l’Union européenne qui exposa ce qui changera au Luxembourg avec la directive sur les soins de santé transfrontaliers

Le contexte

Dans un premier temps, Anne Calteux a évoqué la situation géo-sociologique particulière du Luxembourg. Pays à petite superficie et avec une population peu nombreuse, le Luxembourg ne peut se prévaloir de la masse critique de patients nécessaire à la mise en place d’une médecine spécialisée de pointe dans tous les domaines. De l’autre côté, le Luxembourg se trouve au centre d’une région frontalière qui se caractérise par un très grand nombre de travailleurs transfrontaliers et par la proximité de nombreuses infrastructures médicales étrangères. Finalement, pour les Luxembourgeois du moins, il n’y a pas de barrière linguistique qui fasse obstacle à leur mobilité dans le sens large du terme.

Autre pondérable important : Si dans l’Union européenne, la mobilité des patients ne représente en moyenne que 1 %, elle est de 4 % de prestations de santé qui ont été effectuées en 2010 dans d’autres Etats membres pour des patients affiliés au Luxembourg. Et ce nombre n’inclut pas les travailleurs frontaliers. En 2010, 18 000 demandes ont été introduites pour des soins à l’étranger. 626 refus ont été communiqués. Le coût de ces prestations dus à la "mobilité sortante" des patients a été de 34 millions d’euros.

Anne Calteux a fait remarquer lors de son exposé que le Luxembourg n’a pas été pris de court par la nouvelle législation, puisqu’il a été très rapide à transposer dans son droit national la jurisprudence issue du cas Kohll-Decker de 1998 qui a conduit la Cour de Justice de l’UE à réaffirmer que les ressortissants communautaires peuvent se faire soigner dans un autre Etat membre et être remboursés selon les tarifs de l’Etat d’affiliation. Néanmoins, la directive va au-delà des questions de simple remboursement de soins dans un autre Etat membre.

La négociation de la directive au sein de l’UE et les positions-clés du Luxembourg

Anne Calteux a tenu à faire l’historique de  négociation de la directive au sein de l’UE pour expliquer les positions-clés et les valeurs défendues par le Luxembourg.

Anne Calteux, attachée Santé et Sécurité sociale à la RP auprès de l'UE, 6e Conférence Santé, 15 juin 2011Dès le travail sur l’avant-projet de la directive, le gouvernement a eu des contacts avec la Commission et au Parlement européen pour mettre en exergue que le pays avait un système de santé basé sur la solidarité, l’équité et l’universalité de l’accès aux soins et entendait promouvoir des soins de qualité pour tout le monde.

Par ailleurs, le Luxembourg tenait à garder sa capacité de pilotage national de son système de santé et voulait donc que les autorités nationales puissent appliquer un système d'«autorisation préalable» pour des soins de santé à l’étranger.

Finalement, le Luxembourg voulait que la directive harmonise avec le règlement 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. Ce règlement stipule que la détermination des prestations sociales et de leurs conditions d’attribution se fait au niveau national, en fonction des traditions et de la culture de chaque pays. Mais en même temps, il fixe des règles et des principes qui doivent garantir le droit à la libre circulation des personnes dans l’UE.

Bref, le Luxembourg voulait éviter le "tourisme de santé" et "la santé à 2 vitesses". En cela, il s’est opposé au début à la Commission qui avait "une approche plus 'marché intérieur'" (Anne Calteux) et qui refusait le principe de l’autorisation préalable comme une entrave à la libre circulation. Au Parlement européen, l’on fut plus modéré, même si l’on mettait en avant le fait que le principe de l’autorisation préalable constituait une exception à la libre circulation qu’il fallait encadrer et limiter à certains cas.

Ce qui fut fait, puisque les soins de santé à l’étranger requièrent maintenant une autorisation préalable seulement pour trois raisons,

  • s’ils impliquent un séjour à l’hôpital d'une nuit au moins, ou
  • s’il s’agit de soins hautement spécialisés et coûteux, ou
  • s’il s’agit de cas graves et particuliers en rapport avec la qualité ou la sécurité des prestations fournies à l'étranger.

Et un refus ne peut être opposé à une demande que

  • si le traitement en question ou le prestataire de soins de santé pressenti peuvent représenter un danger pour le patient, ou
  • si des soins appropriés peuvent être dispensés sur place dans le délai requis. Et chaque refus doit être justifié.

Les conséquences de la directive pour le Luxembourg

Anne Calteux est affirmative : "La directive respectera pleinement les différences qui existent entre les systèmes de santé des 27 Etats membres ainsi que les compétences exclusives nationales en matière d’organisation, de fourniture et de financement de ces systèmes." Mais  elle leur imposera par ailleurs un certain nombre d’obligations nouvelles. Ces obligations varient selon qu’il s’agit de l’Etat membre d’affiliation, auprès duquel le patient est assuré, ou de l’Etat membre où le patient se fait soigner. Certaines dispositions s’appliqueront indépendamment de la qualité de l’Etat.

Le Luxembourg est l’Etat membre d’affiliation

Ce cas de figure risque d’être assez fréquent vu les particularités de l’infrastructure médicale et hospitalière du Luxembourg.

En ce qui concerne le remboursement, l’Etat membre d’affiliation sera obligé de rembourser les frais encourus par ses patients à hauteur des coûts qui auraient été pris en charge si les soins avaient été dispensés sur son territoire, sans que le remboursement ne puisse excéder les coûts réels des soins reçus et à condition que les soins font partie de ceux auxquels le patient a droit dans l’Etat membre d’affiliation. Il doit disposer d’un mécanisme transparent de calcul des coûts des soins de santé transfrontaliers reposant sur des critères objectifs, non discriminatoires et préalablement connus. Le remboursement pourra être limité pour des impératifs de planification, pour garantir un accès suffisant à des soins de qualité ou pour éviter des gaspillages de ressources financières, humaines et techniques.

L’Etat membre d’affiliation aura la possibilité d’imposer au patient qui se fait soigner à l’étranger les mêmes conditions que celles qu’il lui aurait imposées s’il s’était fait soigner sur son territoire (exemple : consultation préalable d’un généraliste).

Autorisation préalable. Les catégories de soins de santé que l’Etat membre d’affiliation pourra soumettre à autorisation préalable, à savoir les soins nécessitant une nuitée hospitalière ou le recours à des infrastructures spécialisées, devront être communiquées préalablement à la Commission européenne. Confrontées à une demande d’autorisation préalable, les autorités nationales auront l’obligation de vérifier si les conditions du règlement 883/2004 sur la coordination des régimes de sécurité sociale sont remplies ; si tel est le cas, le régime du règlement doit obligatoirement s’appliquer. Enfin, l’Etat membre d’affiliation devra traiter les demandes de soins de santé transfrontaliers dans des délais raisonnables.

L’information des patients revêt une place importante dans la directive, afin de parer à l’asymétrie d’information qui prévaut trop souvent dans le domaine des soins de santé. Ainsi, un ou plusieurs points de contact nationaux (PCN) fournissent, sur demande, aux patients des informations concernant leurs droits dans l’Etat membre de traitement, les conditions de remboursement, les voies de recours et de réparation. Cela peut se faire par la mise en contact avec les PCN dans l’Etat membre de traitement. Les PCN doivent systématiquement souligner la différence avec le règlement 883/2004, qui peut être plus avantageux dans certains cas. Ils peuvent aussi être intégrés dans des centres d’informations existants.

L’Etat membre d’affiliation est tenu de garantir l’accès de ses patients à leur dossier médical.

Le Luxembourg est l’Etat membre de traitement

L’Etat membre de traitement aura l’obligation de dispenser aux patients étrangers des soins respectant les normes de qualité et de sécurité applicables sur son territoire.

Il devra en outre fournir, à la demande des patients, des informations sur les normes de qualité et de sécurité applicables, mais aussi concernant le prix des prestations, le statut et le droit d’exercer des prestataires établis sur son territoire et les options thérapeutiques.

Il sera par ailleurs tenu de garantir la mise en place de procédures de plainte et de réparation, l’accès à leur dossier au profit des patients étrangers suite au traitement ainsi que la non-discrimination des patients étrangers sur base de leur nationalité.

L’Etat membre de traitement pourra néanmoins limiter l’accès des patients étrangers à son système de santé pour des raisons liés aux impératifs de planification.

Dispositions générales

Certaines dispositions de la directive s’appliquent aux Etats membres, indépendamment de leur statut.

Ainsi, ils seront encouragés à conclure des accords bilatéraux avec les pays limitrophes, surtout s’il s’agit de régions frontalières. Cela est particulièrement intéressant pour le Luxembourg

La directive prévoit également la création de réseaux européens de référence et de centres d’expertise, où le Luxembourg pourrait selon Anne Calteux compenser la tendance à une mobilité sortante dominante par son expertise nationale dans les domaines de la cardiologie, de la radiothérapie et des bio-banques.. La coopération interétatique est prévue au niveau du diagnostic et du traitement de maladies rares, ce qui pourrait être très positif pour les patients de la région, de l’échange d’informations dans le domaine de la santé en ligne ainsi que dans le domaine de l’évaluation des technologies de la santé.

La transposition de la directive

Annika Nowak, DG SANCO, Commission européenne, à la 6e Conférence Santé, 15 juin 2011Au Luxembourg, où l’on a opté pour "une démarche pragmatique et multisectorielle", un groupe interministériel a été constitué en février 2011 et une consultation des acteurs impliqués sera lancée. L’on recourra aux structures existantes, histoire d’éviter des doublons, et l’on devra travailler fort dans le domaine de l’accès à l’expertise décrit fans le chapitre IV de la directive, c’est-à-dire la reconnaissance des prescriptions établies dans un autre État membre, les réseaux européens de référence, les maladies rares, la santé en ligne, et la coopération dans le domaine de l’évaluation des technologies de la santé. Tout au long de ce processus, la coopération avec la Commission européenne continuera. Et comme la expliqué Annika Nowak de la DG SANCO (Santé et Consommateurs) de la Commission européenne, le Comité de travail "Santé transfrontalière" siègera à partir du 21 juin 2011 au niveau de l’UE et des Etats membres.

Conclusions

Pour Anne Calteux, la directive, qui est pas la nature des choses un texte de compromis, a un point faible : le fragile équilibre entre les droits des patients et le respect des compétences nationales.

Son point fort, c’est qu’elle a clarifié les droits des patients, qui devront être bien informés par les points de contact nationaux qui seront mis en place d’ici 2013.

Cette tâche est décrite par Jean-Marie Feider, le directeur de la Caisse nationale de Santé, de la manière suivante dans InSight SantéSécu (1/2011) de la manière suivante : "La directive porte finalement une importante obligation d’information pour les Etats membres. Ainsi, ils doivent mettre en place des points de contact nationaux, outillés pour fournir diverses informations aux patients. Ces informations ne concernent pas uniquement le remboursement de soins de santé, mais également les normes de qualité et de sécurité en vigueur, les prestataires soumis à de telles normes, les procédures judiciaires et administratives, les règles relatives à la protection des données et à l’accès au dossier médical, etc.. Ces informations n’étant pour le moment pas disponibles en un seul endroit, la transposition de la directive requiert en ce point particulier la contribution de tous les acteurs concernés (p.ex. le Ministère de la santé, le Ministère de la sécurité sociale, la CNS, etc.)."

Un autre point fort est selon Anne Calteux "la consécration du principe de l’autorisation préalable". Et il y a finalement l’accès à l’expertise à travers la coopération entre Etats membres. Mais l’issue de ce défi qui est aussi une grande opportunité dépend en fin de compte et selon l’experte de la bonne volonté des acteurs impliqués.