Le 3 août 2012, l'Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) tenait sa traditionnelle conférence de presse de l'été, consacrée d'une part à l'analyse des chiffres de l'activité financière, relevés par la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) d'une part, et aux sujets d'actualité d'autre part.
Les résultats financiers, à l'issue du premier semestre, démontrent que l'année 2012 risque d'être une mauvaise année pour le secteur financier. Ses résultats avant provision sont en effet en recul de 12 % par rapport au premier semestre de l'année précédente. Le produit bancaire a pour sa part reculé de 4,2 % tandis que les frais généraux ont augmenté de 5,7 %, en raison de la hausse des frais de personnel mais aussi des investissements informatiques rendus nécessaires par de nouvelles règlementations gourmandes en informations. L'ABBL ajoute à ce tableau négatif la baisse continue de la productivité observée dans le secteur depuis le début de la crise.
Alors que le directeur de l'ABBL, Jean-Jacques Rommes, estime que "le pays vit depuis cinq ans comme s'il n'y avait pas de crise", le président de l'association, Ernst Willhelm Contzen, appelle à un "changement de mentalité" non pas dans le seul secteur bancaire, qui garde une productivité trois fois plus élevée que le reste de l'économie, mais dans toute la société. "Chacun devrait être conscient du fait que la période dorée est révolue. Les revenus nets sont sous une pression croissante, les coûts sont en hausse, alors que la profitabilité et la productivité augmentent moins vite. La volatilité des résultats du secteur financier demeurera dans les prochains temps. Nous pouvons définitivement oublier les années en or, l'ère avant la fin de Lehman Brothers. Je pense que les années à venir affecteront beaucoup plus l'industrie bancaire que les deux années après la faillite de Lehman en 2005", a-t-il dit déclaré. Ernst Willhelm Contzen évoque d'ailleurs la possibilité qu'interviennent, dans le secteur financier, dès les prochains mois, des restructurations par l'envoi de personnel vers d'autres pays où les coûts sont moins élevés.
L'ABBL souligne aussi que cette tendance économique baissière affecte les ressources fiscales du gouvernement. En 2011, selon la CSSF, le secteur bancaire a livré 531 millions d'euros aux caisses de l'Etat contre 780 en 2007. De surcroît, les recettes sont devenues moins prévisibles qu'avant. Pour y remédier, l'ABBL demande le contrôle de la hausse des coûts du travail par le gel des salaries pour les deux prochaines années, lequel toucherait tous les secteurs d'activité, fonction publique incluse. Il conseille aux hommes politiques de tenir enfin leurs promesses d'austérité. "En la matière, le Luxembourg est sur la meme longueur d'onde que la plupart des autres pays européens, qui n'agissent pas quand s'il s'agit de mettre en pratique les mesures d'austérité." Ainsi malgré des annonces d'économies de 500 millions d'euros pour 2012, le déficit de l'Etat luxembourgeois aurait augmenté de 500 millions d'euros à l'issue du premier semestre. Pour le président de l'ABBL, les coûts du système social ne sont déjà plus soutenables aujourd'hui. "Nous ne devrions pas attendre plus longtemps, il faut agir. C'est le moment", dit-il.
Le président de l'ABBL s'est toutefois également montré "prudemment optimiste" sur le développement du secteur financier, grâce aux excellentes performances de l'industrie des fonds. Le cumul des actifs de 3385 sociétés du secteur, en flirtant avec la barre des 2 500 milliards d'euros, ont atteint "un niveau historique". Le bon développement de l'activité dite "Family offices" devrait de surcroît se poursuivre à la faveur du cadre légal propice du pays et de la sécurité de planification qui y règne. "Les investisseurs entrepreneurs ont assez de risque à supporter dans leur propre affaire, c'est pourquoi il est important pour eux de savoir que leur essor est géré dans un environnement stable", a-t-il déclaré, en soulignant l'importance-clé des 64 traités de non double imposition du Luxembourg, auxquels s'ajouteront 18 autres accords en cours de négociation.
Pour éviter la fuite des capitaux, l'ABBL lorgne également sur les accords Rubik mis sur pied par la Suisse, et notamment dans leur version négociée avec l'Allemagne. Ce système permet de sauvegarder le secret bancaire tout en assurant au pays de résidence du client de percevoir des impôts sur ces revenus. "Rubik sera une solution pour le Luxembourg également dès lors que l'accord sera signé entre la Suisse et l'Allemagne", a déclaré Jean-Jacques Rommes. La ratification du texte est toutefois pour l'heure compromise par l'opposition des écologistes et des socialistes allemands, sans le soutien desquels l'accord ne pourra pas franchir l'étape du Bundesrat.
Deux raisons expliquent que le Luxembourg espère négocier lui-même ce type d'accords avec des pays tiers. "La première est que le Luxembourg est en faveur d'une retenue à la source, et ainsi chaque pays aura le montant d'impôts qui lui est dû, et le second est que le Luxembourg est contre un échange automatique d'informations. Si un client paie l'impôt qu'il doit, il a toujours besoin d'un certain niveau de vie privée."
De surcroît, l'ABBL argumente encore son choix en avançant que l'échange automatique d'informations est discriminatoire vis-à-vis des activités transfrontalières parce que dans beaucoup de pays il n'y a pas d'échanges du genre. "Si un Allemand ou un Français ouvre un compte dans son pays ; il n'y a pas d'échange automatique d'information", fait-elle remarquer. Et l'association demande par ailleurs à ce que le Luxembourg soit mis sur un même pied d'égalité que la Suisse dans le débat autour du secret bancaire et l'échange automatique d'informations. Un pays non membre de l'UE comme la Suisse ne devrait pas, lorsqu'elle fait des affaires avec des pays de l'UE, être plus privilégiée que l'Etat membre qu'est le Luxembourg.
Le directeur de l'ABBL avait déjà eu l'occasion, lors d'un débat radiophonique en juin 2012, de faire part de son soutien réservé à l'Union bancaire. Lors de la conférence de presse, Jean-Jacques Rommes a confié qu'il était "prudemment favorable" à sa création. Il estime à vrai dire sa naissance "inéluctable." La création de cette union devrait aussi engendrer une mutualisation des garanties de dépôts en Europe. "Le risque c'est de devoir aider les autres, mais la chance, c'est d'être aidé par les autres", a-t-il déclaré.
L'ABBL explique également que ce nouveau fonctionnement nécessitera de revoir et préciser la répartition des tâches entre la CSSF et la Banque centrale du Luxembourg (BCL) qui avait fait savoir en mai qu'elle souhaitait obtenir plus de responsabilités en matière de surveillance. .
Le Tageblatt rapporte par ailleurs les propos critiques d'Ernst Wilhelm Contzen au sujet du projet de Taxe sur les transactions financières (TTF). "On devrait-peut être une fois demander, comment la taxe sur les transactions financières est née. De mon point de vue, c'est simplement parce que les politicens ont besoin d'un nouvel impôt, grâce auquel ils veulent soit désendetter le budget de l'Etat soit financer le Parlement européen." Le président se résigne à l'arrivée d'un nouveau prélèvement mais ne souhaite pas qu'il prenne la forme de la TTF : "Nous devons regarder la réalité en face. On a tellement joué gros avec cet impôt, que n'importe quelle sorte d'impôt viendra, mais pas celui-là et pas avec ce caractère général comme il est prévu."